« Bienvenue en enfer ! »

« Bienvenue en enfer ! »

Depuis 20 ans déjà, le Venezuela est sous le feu des projecteurs en raison de son instabilité politique. Le labyrinthe de la prison du Sebín nous mène dans un monde gorgé d’atrocités.



Ratifiée par la plus grande majorité des États, la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) est le fondement international des droits inhérents à chaque être humain.

L’article 5 de la DUDH prévoit que :

 « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »

Cette disposition est également détaillée au niveau national dans la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela dans son article 46 qui traite des droits civils :

« Toute personne a droit au respect de son intégrité physique, psychique et morale, en conséquence : aucune personne ne peut être soumise à des peines, tortures ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. (…) Toute personne privée de liberté sera traitée avec le respect dû à la dignité inhérente à l’être humain. (…) »

Bien que le Venezuela ne soit pas le seul Etat qui viole cette déclaration, l’intensité des pratiques adoptées dans ce pays, autrefois prospère, est déroutante. Avec ses conditions de détention, l’exemple du Sebín démontre un non-respect crasse de la législation « existante » au Venezuela.

A titre d’exemple, le labyrinthe de la prison du Sebín nous mène dans un monde gorgé d’atrocités. Dans l’analyse de la situation carcérale du Sebín, nous avons pu constater la violation des droits humains de niveau national et international. Et pour avoir parcouru la Constitution dans son ensemble, il nous semble difficile (voire impossible) de trouver un article respecté dans sa totalité. Les principes prônés par l’acte suprême qu’est la Constitution ne sont appliqués qu’en échange d’une contrepartie utile à l’état, au détriment de quoi les vénézuéliens sont victimes d’une justice plus qu’arbitraire. Du moment qu’un avantage personnel se présente, autorités, officiers et particuliers dérogent à la loi.

1’400 CHF pour un kilo de pommes ? Comment l’économie d’un pays peut-elle basculer ainsi ?


RAPPEL HISTORIQUE

2 février 1999 : Hugo Chavez est élu président de la République bolivarienne du Venezuela. Il instaure la Révolution bolivarienne : nouvelle Constitution, nationalisation des commerces, modification du drapeau national, changement du fuseau horaire, … Le pays commence à s’appauvrir considérablement.

14 avril 2013, Tribunal Suprême de Justice (TSJ) : le président Nicolas Maduro succède au président Chavez suite à son décès. L’horreur commence. L’accès à l’enseignement, aux soins médicaux et aux produits de première nécessité diminue de plus en plus. Dès sa réélection en 2018, le cauchemar s’amplifie : le nombre d’émigrés ne fait qu’augmenter ; les universités ferment ; les hôpitaux n’ont plus de ressources ; il faut désormais compter 3 heures de queue pour acheter un kilo de riz.

23 janvier 2019, avenue Francisco Miranda, 11:00 :  Juan Guaído s’autoproclame président par intérim de la République bolivarienne du Venezuela. Cet acte d’opposition contre Nicolas Maduro tend à rétablir un équilibre pour la population vénézuélienne. Souffle d’espoir de courte durée puisque Maduro réagit brutalement face aux actes salvateurs de Guaído. Il prive la population d’eau et d’électricité, organise l’incendie des camions d’aide humanitaire, engage des tireurs d’élite cubains pour servir son armée. Force est de constater que ce système politique dictatorial entraîne dans son sillage tout le système judiciaire avec son lot de corruption.


GROS PLAN SUR LE SEBÌN

Le véritable enfer commence en 2010, lorsque l’université nationale expérimentale de la sécurité installe son quartier général au Sebín (Servicio Bolivariano de Inteligencia Nacional). Comparable à la CIA des Etats-Unis, le Sebín règne sur le Venezuela. Aucune différence n’est faite entre les crimes majeurs ou mineurs. L’arbitraire est le mot d’ordre pour intimider et réprimer l’opposition politique.

Debout face à l’entrée principale, il suffit de lever les yeux pour sentir la pesanteur de l’atmosphère. Son architecture cyclonique entraîne les détenus dans un labyrinthe d’oppression. La partie visible de l’édifice n’est que la pointe de l’iceberg. Sous une tente de plastique, les gardiens surveillent les prisonniers au moyen de caméras et microphones. Ils ne sont ni formés, ni préparés psychologiquement. Leurs fonctions sont attribuées aléatoirement ; un jour ils autorisent ou refusent les visites, le lendemain, ils infligent des décharges électriques aux détenus.

Une fois la sécurité passée, la descente aux enfers débute. Du -1 au -4, les prisonniers politiques s’entassent. Dans une cellule prévue pour deux détenus, quinze se tiennent debout, attendant le privilège de s’allonger quelques heures. Soumis à l’insalubrité de la cellule, tous souffrent de maladies contagieuses. L’eau, la nourriture, l’accès aux soins médicaux et aux sanitaires sont quasiment inexistants. Seuls les plus chanceux d’entre eux (les prisonniers se trouvant à proximité de la porte) reçoivent la ration du jour servie sur une feuille de journal à même le sol.

Au -5 nous y sommes, destination finale : « La Tumba » (la tombe). Silencieuse, obscure et suffocante, la tombe divisée en 7 cellules alignées est le cauchemar de tous les prisonniers. Une fois enfermés, ils perdent toute notion du temps. L’ambiance est glaciale, intensifiée par la climatisation réglée en dessous de 0°C. En ouvrant la porte, les prisonniers sont éblouis ; le sol, les parois, et le peu de mobilier en ciment sont peints d’un blanc immaculé. Contraste extrême avec les traitements infligés aux détenus : privation d’eau et de nourriture, passages à tabac, décharges électriques, asphyxie de produits chimiques, simulacres d’exécution, viols, roulette russe… Souffrant déjà de diarrhées, vomissements, fièvres et hallucinations, la torture subie ne fait qu’aggraver leur état.

En résumé, le Sebín n’est qu’un organisme de répression et de mort au service de Maduro.


LES PRISONNIERS : BOURREAUX DU SEBÌN

Lorsqu’on entre en prison, il est impossible d’être certain d’en ressortir vivant. La plupart des établissements pénitenciers du pays sont contrôlés par les prisonniers eux-mêmes, sous l’autorité des chefs de gang appelés « pranes » (PRAN = Prisonnier, « Retué », Assassin, Né). Les pranes organisent la vie carcérale en imposant leurs règles dans un système d’autogestion hiérarchique par la terreur. Lorsqu’un pran est libéré, tous se battent pour prendre sa place « privilégiée ». Le pran vit dans une cellule extrêmement luxueuse : home cinéma, jacuzzi, accès à internet, nourriture, drogue, sexe à volonté. Il décide du lieu où seront enfermés les prisonniers (dortoir, cellule d’isolement, cage d’escalier), de la nourriture à laquelle ils auront droit, du « loyer » qu’ils devront lui payer mais surtout de la vie et de la mort de chacun. Pour survivre, il faut suivre leurs ordres à la lettre et bien souvent, effecteur d’infâmes tâches : tuer des enfants, violer des femmes, torturer des hommes. Les détenus qui en sont incapables se tournent vers leur seule issue de secours : le suicide. Alors que les plus cruels vont jusqu’à brandir les organes de leurs victimes comme « trophée de guerre ». L’horreur est telle qu’on préfère laisser les criminels gouverner tellement il est dangereux d’entrer dans les pénitenciers. Les pranes ont des contacts avec l’armée nationale qui les sollicite pour finir le « travail sale ».  Conscient du pouvoir engendré par la terreur et les atrocités des gangs des pranes, le gouvernement utilise cette option comme une alternative lorsqu’il se trouve confronté à des difficultés qui ne peuvent pas être gérées par la justice « officielle ».…

En réalité, ils sont la délégation de l’ombre du pouvoir étatique.

Anonyme


N.B. : Nos descriptions sont les fruits d’auditions de témoins qui ont pu entrer dans la prison du Sebín. Nous avons décidé de garder l’anonymat quant à la rédaction de cet article en raison des risques auxquels sont confrontés les individus qui investiguent sur le Venezuela actuellement. Enfin, nous désirons protéger l’avocate pénaliste C., ainsi que certaines personnes qui résident encore au Venezuela et qui ont vivement contribué à l’écriture de notre article. Nous leur en sommes fortement reconnaissant(e)s.
Si vous désirez plus d’informations sur ce sujet, nous vous prions de bien vouloir contacter l’association à l’adresse suivante : comite@lawcareerstart.ch.

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