Droits de l’enfant : « On ne vous demande pas la lune, juste une vie digne »

Droits de l’enfant : « On ne vous demande pas la lune, juste une vie digne »

Le 20 novembre est la date d’anniversaire de l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant. Dans le domaine de l’asile, à Genève, l’accueil des migrants mineurs non-accompagnés fait polémique. 



De manière globale, l’Europe fait aujourd’hui face à un défi toujours plus grand en matière de migration. En raison des conflits toujours plus importants, de l’insécurité dans de nombreux pays, de la pauvreté et du manque de perspectives, les flux migratoires se veulent de plus en plus nombreux. De cette crise en découle un nombre toujours plus élevé d’enfants arrivant aux frontières de l’Europe et en Suisse également. 

Depuis plusieurs années déjà, l’accueil de ces migrants mineurs non-accompagnés (MNA) fait polémique à Genève : manque de procédure d’accueil, hébergements inadaptés et suivis inadéquats pour ces enfants souvent démunis et dépassés par la situation. 


QUI SONT-ILS ?

L’appellation « requérant d’asile mineurs non-accompagnés » (MNA ou RMNA) désigne les enfants et les jeunes de moins de 18 ans séparés de leurs parents et privés du soutien d’une personne adulte qui arrivent en Suisse afin d’y trouver refuge. 

Ces enfants et adolescents ont pour la grande majorité un parcours migratoire chaotique et éprouvant. Si certains ont perdu leurs parents sur le chemin de l’exil en continuant la route seuls ou avec d’autres adultes, d’autres ont quitté leur famille à la recherche d’un avenir plus digne. 

La population des MNA en Suisse se compose majoritairement de jeunes hommes entre 16 et 18 ans qui ont pour la plupart subi des traumatismes dans leur pays d’origine ou durant les épreuves vécues pendant leur fuite (séparation avec leurs proches, violences physiques, déscolarisation ou encore travail forcé).


LA LÉGISLATION ACTUELLE EN SUISSE 

En Suisse, c’est la Loi sur l’Asile (LAsi) qui règle les questions liées au sort des migrants arrivant en Suisse. Ainsi, il ressort des premiers articles de cette loi que la Suisse octroie sa protection et une autorisation de séjour aux personnes qui sont persécutées et soumises à de sérieux préjudices dans leur pays d’origine ou dans l’impossibilité d’y retourner pour d’autres raisons humanitaires. 

Cette loi fédérale sur l’asile reste très légère sur la question des RMNA. Elle les mentionne dans un seul article pour nous rendre attentif sur leurs besoins particuliers puisqu’elle indique que la procédure les concernant doit être prioritaire et qu’une personne de confiance doit être à leur côté durant celle-ci. La loi précise que c’est le Conseil fédéral qui devra édicter des dispositions complémentaires « pour qu’il soit tenu compte dans la procédure de la situation particulière des femmes et des mineurs ».

C’est donc dans l’Ordonnance 1 sur l’asile (OA1) ainsi que dans le « Manuel Asile et Retour » émis par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) que l’on trouve ces quelques précisions concernant la procédure des migrants mineurs non-accompagnés. Le Tribunal administratif fédéral y fait également référence dans sa jurisprudence notamment afin de « prendre les mesures tutélaires adéquates ». 

Au niveau constitutionnel suisse, la protection des enfants et adolescent-e-s, ainsi que leur droit à l’intégrité et à l’encouragement de leur développement, sont ancrés à l’article 11 de la Constitution fédérale. 

Au niveau international, le Parlement suisse a également ratifié la Convention internationale des Nations Unies relatives aux droits de l’enfant (CIDE), entrée en vigueur en Suisse le 26 mars 1997. Cette Convention relève des droits fondamentaux et prime sur notre cadre légal fédéral. Elle mentionne notamment à son article 22 que chaque État est dans l’obligation de prendre des mesures appropriées pour permettre à un enfant qui cherche à obtenir l’asile de jouir de ses droits. Elle exige notamment que toutes mesures prises doivent faire prévaloir le bien-être de l’enfant.

En lien avec cette Convention, des « Principes Directeurs » non contraignants, ont été adoptés par le Haut Commissariat international pour les réfugiés (HCR) afin d’attirer l’attention sur les motifs d’asile spécifique des enfants mineurs. Le HCR constate qu’aujourd’hui encore beaucoup d’États se basent sur le parcours des requérants d’asile adultes pour prendre en charge les mineurs sans tenir compte des problèmes qui leur sont propres en tant qu’enfant.


QU’EN EST-IL EN SUISSE, PLUS PARTICULIÈREMENT À GENÈVE ? 

La Suisse n’échappe pas aux grandes vagues migratoires qui traversent l’Europe. Selon le rapport d’audit réalisé par la Cour des comptes de l’État de Genève, 2’736 nouvelles demandes d’asile ont été déposées par des RMNA en Suisse en 2015 (dont 29 % âgés de moins de 16 ans).

En ce qui concerne notre droit fédéral, on constate que malgré ces quelques précisions éparses existantes dans la législation suisse concernant directement les mineurs, la définition du « réfugié » donnée par notre droit reste exactement la même lorsqu’elle concerne une personne adulte ou un mineur. De ce fait, le problème central est que l’on perçoit ces jeunes d’abord comme des demandeurs d’asile avant de les considérer comme des enfants à protéger. 

En conséquence, après leur arrivée sur le territoire suisse, notamment à Genève, ils sont très souvent livrés à eux-mêmes. Le manque d’expérience dû à leur jeune âge fait qu’ils n’ont aucune connaissance de la procédure d’asile suisse et ne sont pas en mesure de revendiquer seuls leurs droits. 

À Genève, en 2018, 86 mineurs non-accompagnés ont été recensés par le Service de Protection des Mineurs genevois (SPMi) et plusieurs évènements et éléments actuels nous prouvent que les droits de ces enfants ne sont toujours pas respectés.


DES LOGEMENTS ET UN ENCADREMENT INADAPTÉS

Le 3 avril 2019, l’institution genevoise Hospice général venant en aide aux migrants a diffusé dans un communiqué de presse l’événement tragique survenu le vendredi 29 mars 2019. Ce jour-là, un jeune homme qui était venu chercher protection en Suisse en 2015 est décédé aux HUG (Hôpitaux universitaires genevois) après avoir décidé de mettre fin à ses jours au Centre d’hébergement pour mineurs non-accompagnés de l’Étoile ouvert en 2016 et situé au cœur de Genève.

Suite à ce drame, de nombreux éléments ont finalement interpellés les autorités qui jusqu’ici, malgré de nombreux signaux d’alarme, n’étaient pas décidées à prioriser la prise en charge de ces enfants.   

Centre d’hébergement pour mineurs non-accompagnés de l’Étoile, 2016, Genève.

Ce sont les camarades de ce jeune homme qui sont sortis du silence pour révéler leur condition de vie dans ce foyer dégradé voire insalubre et dénoncer le manque d’encadrement. Puis ce sont finalement les collaborateurs du foyer de l’Étoile qui ont rédigé une lettre fin août 2019, adressée à la Présidente de la Commission des affaires sociales du Grand Conseil, sur les impasses et difficultés auxquelles ils se heurtent depuis l’ouverture du foyer. Il en ressort, que même après plusieurs alertes datant déjà de 2016 et 2017, il n’a pas été tenu compte de la taille « inhumaine » du foyer, que plusieurs projets pédagogiques ont dû être abandonnés pour cause de manque de moyens et que les tâches socio-éducatives ont été négligées. 

Ce drame démontre en outre la difficulté du passage des jeunes RMNA à l’âge adulte ; une période où ces jeunes sont souvent fragilisés et marqués par un exil précoce et dans laquelle ils devraient évidemment bénéficier d’un encadrement particulier. 

De plus, il est à noter qu’un rapport d’audit de la Cour des comptes était déjà paru avant cet évènement, début 2018, mettant en lumière l’urgence de prise en charge de la vague de migrants mineurs arrivés en 2015 concernant notamment leurs conditions de vie, l’hébergement, le suivi scolaire et le manque de moyens mis à dispositions notamment quant à la prise en considération des pathologies psychiques de ces jeunes souffrant parfois de symptômes de stress post-traumatique, de troubles psychosomatiques, de dépressions, d’insomnies ou encore de troubles anxieux dus à leur passé. 

Si certains de ces mineurs sont directement considérés par le droit suisse comme étant requérant d’asile et placés dans des foyers inadaptés comme celui de l’Étoile, d’autres se voient être directement classés dès leur arrivée comme n’étant pas candidats à l’asile car provenant de pays considérés comme « sûrs » par les autorités suisses. Ceux-ci restent par conséquent errants sur le sol suisse et deviennent invisibles aux yeux des institutions d’aide aux migrants. Ils seront alors logés d’urgence à l’hôtel faute d’hébergement adéquat ou mis dehors par les gérants, se retrouvant dans l’obligation de dormir à la rue. 

Plusieurs témoignages de mineurs ont également été recensés en juin 2019 par un collectif « antiraciste » racontant leur condition de vie dans ces hôtels genevois souvent tenus par des gérants racistes et omnipotents. Ces mineurs expliquent se sentir souvent très seuls, incompris et totalement laissés pour compte.


UN DROIT À L’ÉDUCATION BAFOUÉ

Le 23 août 2019, trois jours avant la rentrée scolaire des enfants à Genève, ils étaient presque 500 manifestants dans les rues genevoises pour demander un suivi approprié et le droit à une formation au moins pour la durée où ces mineurs restent sur le territoire suisse. 

En effet, alors qu’en 2018, la Conseillère d’État en charge du DIP (Département de l’instruction publique), rendait la formation obligatoire jusqu’à 18 ans pour tous les mineurs sur le territoire genevois, les MNA s’en sont vu cette année à nouveau exclus.

Interdits d’accès à l’éducation, ces jeunes sont écartés de toute forme d’intégration et lorsqu’ils en font la demande, la procédure peut prendre des mois voir des années. Tel est le cas de certains jeunes qui attendent une réponse à leur demande de scolarisation depuis plus de deux ans.

Malgré plusieurs manifestations et lettres envoyées au Conseil d’État genevois la situation ne semble pas vouloir changer.

« L’éducation est un droit, non un privilège. »

Ici aussi pourtant, la Convention des droits de l’enfant dont la Suisse est signataire pose à son article 28 un droit pour chaque enfant à un accès à l’éducation et à l’enseignement. 

De plus, les Recommandations de la CDAS relatives aux jeunes mineurs non-accompagnés rappellent que tous les enfants migrants (y compris ceux tenus de quitter le pays) ont droit à un enseignement de base suffisant et gratuit en vertu de l’art. 19 de notre Constitution fédérale. 

La scolarisation et la formation sont pourtant des éléments fondamentaux de développement et d’intégration pour ces jeunes qui séjournent en Suisse. Elles sont importantes pour l’élargissement de leurs compétences mais encouragent également leur autonomie et leur responsabilisation. Elles constituent donc un acquis essentiel et nécessaire tant pour le retour et la réintégration des jeunes qui devront rentrer dans leur pays d’origine, que pour l’intégration de ceux qui séjourneront durablement en Suisse ou dans un pays tiers. 


UN ESPOIR ?

C’est tout récemment, soit le 2 octobre 2019, que le Conseil d’État genevois présentait enfin un plan d’action pour améliorer la prise en charge des requérants mineurs non-accompagnés (RMNA) entre 16 à 25 ans. Il exprime dans son communiqué vouloir mettre en place, d’ici la fin de l’année, des mesures afin de pallier à tous ces différents problèmes en se basant sur les nombreuses recommandations émises par la Cour des comptes et par les deux motions déjà déposées par le Grand Conseil du canton de Genève au mois d’août et septembre 2019.

Encore faudra-t-il que le Conseil d’État réussisse d’ici là à tenir toutes ses promesses. 


CONCLUSION

C’est à travers ces lacunes législatives, ces nombreux évènements et témoignages et ces multiples documents que l’on s’aperçoit que les pratiques suisses ne sont pas entièrement compatibles avec le droit interne et international concernant la protection de ces enfants en matière d’asile. 

Face à ces constats humainement inquiétants, il est malheureux d’observer que de tels droits pourtant fondamentaux ne sont aujourd’hui pas la priorité dans un pays tel que la Suisse. 

Il est avant tout important de se rappeler qu’ils sont des enfants avant d’être des réfugiés et que ces jeunes qui connaissent la précarité de la clandestinité méritent d’être traités de façon digne ce qui impliquerait un investissement actif des autorités à leur propos. Il s’agit de jeunes et d’enfants qui ont pour la plupart un vécu éprouvant qui nous est totalement inconnu et qui méritent d’être considérés en tenant compte de cette réalité. 

Il est donc de la responsabilité de chaque État, de la Suisse et du canton de Genève d’organiser une prise en charge adaptée, respectueuse des droits de l’enfant et tournée vers l’avenir. Car même si certains de ces jeunes ne resteront pas en Suisse de manière durable, il est primordial de leur octroyer des moyens de s’en sortir et de leur offrir un bagage qu’ils pourront utiliser dans leur futur. Il est ainsi indispensable qu’à l’heure d’aujourd’hui ces enfants ne restent pas sans hébergement, sans droit à l’éducation, et sans accompagnement car eux aussi forment et formeront la société de demain. 

Jeannine BOCCALI


BIBLIOGRAPHIE

Arrêt du Tribunal administratif fédéral E-1928/2014 du 24 juillet 2014, consid. 2.2.2.

Recommandation de la Conférence des directrices et directeurs des affaires sociales (CDAS) 2016 : [https://ch-sodk.s3.amazonaws.com/media/files/2016.05.20_MNA-Empf_farbig_f.pdf] (17.11.19).

Loi sur l’asile : [https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995092/index.html] (17.11.19).

Ordonnance 1 sur l’asile : [https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19994776/index.html] (17.11.19).

Manuel asile et retour : [https://www.sem.admin.ch/dam/data/sem/asyl/verfahren/hb/c/hb-c9-f.pdf] (17.11.19).

Convention relative aux droits de l’enfant : [https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19983207/index.html] (17.11.19).

Principes directeurs sur la protection internationale des enfants en matière d’asile : [https://www.unhcr.org/fr/4fd736c99.pdf] (17.11.19).

Cours des comptes, Rapport n°136, février 2018, audit de gestion et de conformité concernant les requérants mineurs non accompagnés (RMNA), État de Genève : [http://www.cdc-ge.ch/fr/Publications/Rapports-d-audit-et-d-evaluation/2018-N-133-a-144.html#] (17.11.19).

RTS : [https://www.rts.ch/info/regions/geneve/10414446-a-geneve-l-avenir-de-dizaines-de-mineurs-non-accompagnes-en-suspens.html] (17.11.19).

Communiqué de presse de l’Hospice général diffusé le 3 avril 2019 : [https://www.hospicegeneral.ch/sites/default/files/press-space/communique_hg_-_le_suicide_dun_jeune_adulte_au_foyer_de_letoile_interpelle.pdf] (17.11.19).

Lettre des collaborateurs du foyer de l’Étoile : [https://asile.ch/wp/wp-content/uploads/2019/09/LettreCollaborateursEtoile23-08-19.pdf] (17.11.19).

Témoignages de MNA : [https://asile.ch/wp/wp-content/uploads/2019/07/SouffrancedesMNA.pdf] (17.11.19).

Plan d’action du Conseil d’État genevois : [https://www.ge.ch/document/communique-presse-du-conseil-etat-du-2-octobre-2019#extrait-17534] (17.11.19).

Organisation suisse d’aide aux réfugiés : [https://www.osar.ch/news/dossiers-medias/mineurs.html] (17.11.19).

Manuel de prise en charge des enfants migrants : [http://www.enfants-migrants.ch/fr/sites/default/files/adem/u115/MANUEL_FR_WEB.pdf] (17.11.19).

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