Le COVID-19 et la libre circulation des marchandises (UE et Suisse) : Quid des masques et du matériel médical de protection ?

Le COVID-19 et la libre circulation des marchandises (UE et Suisse) : Quid des masques et du matériel médical de protection ?

Le masque : l’accessoire devenu l’une des principales préoccupations de tout un chacun. En effet, ainsi que le rappelle le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), il n’était, au début de la pandémie du COVID-19, ni détenu, ni produit en quantité suffisante en Suisse. Tel était également le cas pour d’autres biens médicaux (p.ex. gants, lunettes, visières et vêtements de protection, désinfectants pour les mains, médicaments…). Cette carence n’était en outre pas unique à la Suisse, mais frappait quasiment tous les pays.



Dans la société globalisée d’aujourd’hui, la libre circulation (des personnes, des marchandises, des services et des capitaux), est nécessaire à l’essor économique. Elle est d’autant plus nécessaire pour la Suisse, petit îlot flottant au milieu de l’océan bleu européen. Quoique cette assertion a été mise à mal par le coronavirus : Les Etats ont fermé leurs frontières, placé en quarantaine les voyageurs, instauré le confinement, érigé à nouveau des droits de douanes…

Ainsi, puisqu’il faut parler de libre circulation des marchandises, il convient dans un premier temps de la définir (infra I). Cela doit toutefois s’examiner sous l’angle de la crise sanitaire, en se focalisant ici sur les masques et autre matériel médical de protection. En outre, un échange impliquant par définition une réciprocité, nous aborderons donc dans un deuxième temps les conséquences de la crise sanitaire sur les importations (infra II), puis dans un troisième temps sur les exportations (infra III).


I. LA LIBRE CIRCULATION DES MARCHANDISES, QU’EST-CE ?

La libre circulation des marchandises pose des règles générales communes pour les échanges de marchandises entre les Etats. Elle interdit notamment les restrictions quantitatives (ou les mesures d’effets équivalent) ainsi que les entraves de nature pécuniaire (telles que droits de douanes ou impositions intérieures discriminatoires). Ces grands principes sont plus ou moins les mêmes dans toutes les zones et les accords de libre-échange.

Dans l’Union européenne, la libre circulation des marchandises est ancrée aux articles 28 et suivants du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Cette liberté fondamentale est un des grands principes du marché unique européen, qui d’où son nom, est censé constituer une zone de libre-échange unique. En cela, les frontières entre les Etats membres devraient virtuellement être effacées.

Quant à la Suisse, du fait de sa position géographique et de sa petite taille, celle-ci n’est pas en reste, notamment avec la Convention de l’Association européenne de libre-échange (AELE, RS 0.632.31) et l’Accord de libre-échange avec l’UE (ALE, RS 632.401). Elle a également conclu un réseau d’une trentaine d’accords similaires, dans le cadre de l’AELE ou de manière indépendante, avec des Etats tiers (p.ex. avec la Chine).

Pour le surplus, les échanges mondiaux peuvent s’examiner sous l’angle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), notamment avec l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT, RS 0.632.21) en ce qui concerne les échanges de marchandises.

Néanmoins, chacun de ces textes contient une clause portant sur des exceptions au libre-échange, notamment lorsqu’il s’agit de sauvegarder la santé publique (art. 36 TFUE, art. 20 ALE, art. 13 AELE et art. XX GATT).


II. QUID DES IMPORTATIONS ?

A. Les importations vers l’Union européenne

Pour pallier les manques en matériel médical de protection au sein de son territoire, l’Union européenne, et plus précisément la Commission européenne, a adopté le 3 avril 2020 la Décision (UE) 2020/491 relative à la franchise des droits à l’importation et à l’exonération de la TVA sur les importations octroyées pour les produits et instruments nécessaires à la lutte contre les effets de la pandémie de COVID‐19 au cours de l’année 2020. Le but étant d’assurer l’approvisionnement des pays européens, les importations sont donc grandement encouragées, principalement au niveau pécuniaire.

B. Les importations vers la Suisse

Tous ces biens susmentionnés ont dû être importés depuis l’étranger, car la Suisse n’en avait pas suffisamment et ne pouvait à court terme pas en produire suffisamment non plus. Par conséquent, le Conseil fédéral a rendu l’Ordonnance du 8 avril 2020 sur la suspension temporaire des droits de douane sur les biens médicaux (RS 632.103.1). Celle-ci restera en vigueur jusqu’au 9 octobre 2020. Elle constitue une mesure extraordinaire prise en cas de détresse générale, telle que prévue par l’article 6 de la Loi fédérale sur le tarif des douanes (LTaD, RS 632.10), et facilite ainsi la tâche des importateurs des biens susmentionnés. Ces derniers n’ont par conséquent plus besoin de fournir des preuves d’origine pour bénéficier des exemptions des droits d’entrée prévues par les accords de libre-échange.

De plus, malgré les fermetures des frontières, il fallait quand même pouvoir assurer l’approvisionnement du pays avec les biens de première nécessité, sans qu’il n’y ait de blocages ou d’embouteillages aux douanes. Par conséquent, l’Administration fédérale des douanes (AFD) a adopté le Règlement 10-27 du 29 avril 2020, lequel prévoit pour le transport de marchandises autorisées (p.ex. équipements de protection individuels et médicaments) un accès privilégié aux green lanes (voies prioritaires aux postes de douane).


III. QUID DES EXPORTATIONS ?

A. Les exportations à partir de l’Union européenne

Au début de la crise sanitaire, quasiment tous les pays membres disposaient de stocks largement insuffisants, tandis que les points de production de ce matériel se concentraient presque exclusivement en France, en Allemagne, en République tchèque et en Pologne. Au surplus, il n’est pas besoin de mentionner les tergiversations publiques de certains gouvernements quant à l’utilité et l’efficacité des masques, dans le simple but de pouvoir sauver la face au sujet desdites carences desdits masques.

Cela étant, il se trouve que les pays européens n’ont pas été touchés en même temps ni dans la même ampleur par le COVID-19. En conséquence, certains ont décidé unilatéralement de restreindre la libre circulation des personnes et pris des mesures pour freiner les exportations des biens médicaux de protection. En effet, selon le principe d’attribution (art. 5 par. 2 TUE), le domaine de la santé demeure de la compétence originaire des Etats membres, en tant qu’elle n’a pas été expressément transférée à l’Union. Cependant, toutes ces mesures mettaient en danger les libertés fondamentales du marché unique.

Partant, la Commission européenne a été contrainte d’adopter le Règlement d’exécution (UE) 2020/402 du 14 mars 2020 soumettant l’exportation de certains produits à la présentation d’une autorisation d’exportation, dont notamment le matériel médical de protection, décrit dans son Annexe 1 (p.ex. gants, masques, lunettes et visières de protection…). Il est à noter que ces autorisations concernent les exportations extracommunautaires, c’est-à-dire avec les pays tiers, et non entre les pays européens. Aussi, quoique la santé ne fasse pas partie de ses compétences exclusives, l’UE a finalement fait usage du principe de subsidiarité (art. 5 par. 3 TFUE) en imposant d’urgence un régime commun pour éviter l’anarchie, les Etats membres n’étant apparemment pas en mesure de se coordonner entre eux.

B. Les exportations à partir de la Suisse

Pour les mêmes raisons, les exportateurs helvétiques devaient demander une autorisation d’exportation au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). Ces restrictions suisses concernaient les mêmes équipements que les restrictions européennes, lesquels étaient énumérés dans l’annexe 3 de l’Ordonnance 2 COVID-19 du 13 mars 2020 du Conseil fédéral (RS 818.101.24).

Néanmoins, ces autorisations ont connu une grande Exception mutuelle concernant les échanges entre la Suisse et la zone UE/AELE. En effet, l’UE a décidé de ne pas soumettre à autorisation les exportations européennes de matériel médical de protection en direction des pays de l’AELE. La Suisse a donc décidé de faire de même envers les pays membres de l’UE ou de l’AELE. Elle maintiendra donc cette exception, pour autant que l’équivalent le soit aussi chez ses partenaires.

Pour finir, une fois la pénurie réglée et le pic de l’épidémie dépassé, le Règlement 2020/420 a été abrogé en date du 26 avril 2020. L’Ordonnance 2 COVID-19 l’a été également, un peu plus tardivement, le 22 juin 2020.


CONCLUSION

Pour porter une considération politique, c’est la libre circulation des personnes qui aura permis au coronavirus d’entrer en Europe et de s’y répandre, mais c’est la libre circulation des marchandises qui aura pu l’endiguer, par la coordination des efforts entre les différents gouvernements. Il appert toutefois que les pays se sont recentrés sur eux-mêmes, excipant du motif impérieux de santé publique. Ils ont facilité les importations pour assurer leur approvisionnement en équipements et denrées essentielles, mais ils ont restreint leurs exportations pour s’en conserver un stock suffisant. Cela transparaît notamment dans le fait que, tant dans l’UE qu’en Suisse, les textes légaux facilitant l’importation sont encore en vigueur. Toutefois, ceux restreignant les exportations ont déjà été abrogés (supra II/B).

Quoi qu’il en soit, la crise économique est sur le point de frapper, et elle frappera très fort. L’UE s’y prépare déjà avec le plan de relance à 750 milliards d’euros. Ainsi, pour conclure, deux questions :
La crise sanitaire est-elle totalement derrière nous ? Nul ne le sait. Arriverons-nous à nous relever de la crise économique ? Nul ne le sait.

Mais qu’importe, ne partons pas perdants !

Yannick LAMBIEL

étudiant en 2ème année de Droit à l’Université de Fribourg

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