Le droit au suicide assisté : le droit de vivre oui, mais pas que

Le droit au suicide assisté : le droit de vivre oui, mais pas que

Quelle est la portée du droit à l’assistance au suicide ? Jusqu’où va l’intervention de l’État dans le processus ? Voyons quelle est la concrétisation juridique suisse derrière ce droit, revendiqué par certains et critiqué par d’autres.



QUELQUES DÉFINITIONS ET PROBLÉMATIQUES SOUS-JACENTES

Le suicide assisté se caractérise par l’acte de fournir un environnement et des moyens à une personne suicidaire pour qu’elle puisse mettre fin à ses jours. L’acte est ainsi accompli par le suicidant lui-même. Il se différencie de l’euthanasie, en ce que cette dernière relève de la maîtrise d’un tiers, souvent un médecin, qui provoquera le décès de l’individu. Il convient donc de ne pas confondre les deux pratiques[1].

Alors que le suicide médicalement assisté est illégal dans la plupart des États, certains font exception : la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, cinq états des États-Unis, le Canada, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et l’Autriche. À noter que d’autres pays ont légalisé le suicide assisté à travers des décisions de justice, mais non par le biais de bases légales à part entière[2].

Le sujet fait l’objet de beaucoup de controverses. En effet, alors que le droit à la vie est consacré depuis longtemps à l’art. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH ; RS 0.101), le « droit à mourir » a lui aussi émergé pour les personnes désirant mourir et être assistées dans leur acte. Pour les détracteurs, l’État se doit de protéger la vie et l’intégrité physique de ses citoyens. Tolérer de cette manière l’assistance au suicide serait une porte ouverte aux dérives et, finalement, à une dévalorisation globale de la vie humaine. Cette thématique s’inscrit donc dans un contexte de tensions.


QUID DU DROIT SUISSE ?

Comme vu précédemment, le suicide assisté est légal en Suisse. Cependant, certains actes s’y apparentant a priori sont pénalement répréhensibles. Dans ce contexte, les art. 114 et 115 du Code pénal suisse (CP ; RS 311.0) sont les plus susceptibles d’intervenir. 

Art. 114 CP – Meurtre sur demande de la victime : “Celui qui, cédant à un mobile honorable, notamment à la pitié, aura donné la mort à une personne sur la demande sérieuse et instante de celle-ci sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

L’art. 114 CP constitue une infraction dite privilégiée par rapport au meurtre, en ce sens qu’elle punit moins sévèrement l’auteur de l’infraction. En effet, ici l’auteur est poussé par la victime elle-même à commettre le meurtre.

La victime doit avoir convaincu l’auteur de mettre fin à ses jours. Dans cette mesure, le consentement, la seule expression du souhait de mourir, la simple acceptation de sa mort ou la légèreté de la victime vis-à-vis du fait d’être tuée ne suffisent pas. Pour que la demande soit sérieuse, il faut que la victime soit capable de discernement au moment d’exprimer sa demande, c’est-à-dire qu’elle doit en comprendre la nature et l’étendue. Il faut également que la demande ait un caractère instant : la victime doit presser l’auteur à commettre le meurtre[3].

Enfin, l’auteur de l’infraction doit avoir eu conscience du caractère sérieux et pressant de la demande de la victime et doit avoir eu la volonté de céder à un mobile honorable. Comme exemple d’un tel mobile, la loi ne cite que la pitié. Plus généralement, le mobile honorable réside souvent dans la volonté de l’auteur de mettre fin aux souffrances de la victime[4].

Art. 115 CP – Incitation et assistance au suicide : “Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Cette fois-ci, la disposition légale mentionne le suicide en tant que tel. L’auteur de l’infraction doit avoir incité ou prêté assistance à un suicide. Cette condition est réputée remplie lorsque l’auteur fournit à la personne des médicaments, une arme ou du poison[5]. En outre, le texte précise que, pour être punissable, l’auteur doit effectivement avoir engendré une tentative ou une consommation du suicide. 

L’intention de l’auteur est nécessaire, le dol éventuel étant suffisant. Cependant, un mobile dit égoïste est au surplus requis. Cela sous-entend que l’auteur cherche à satisfaire ses intérêts personnels. Il le fait généralement pour assouvir sa cupidité, sa vengeance, sa méchanceté, etc…[6]

Par conséquent, la législation fédérale suisse ne réprime l’assistance au suicide que dans la seule mesure où le mobile de l’assistant était égoïste. L’euthanasie demeure cependant illégale, car elle est punie par l’art. 114 CP, même si l’auteur agit honorablement.


ET QU’EN DISENT LE TRIBUNAL FÉDÉRAL ET LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME (COUR EDH) ?

Parmi les arrêts importants en la matière, il convient d’en aborder trois.

En 2011, dans une affaire suisse portée à la Cour EDH, Haas c. Suisse[7], le tribunal strasbourgeois a confirmé l’avis du Tribunal fédéral selon lequel le droit à l’autodétermination comprend également la possibilité de choisir le moment et les modalités de sa mort. Elle a admis également que l’exigence d’une ordonnance permettant de se procurer du Natrium Pentobarbital (NaP), la substance principalement utilisée dans le cadre du suicide assisté, était recevable car elle protégait l’intérêt des personnes à ne pas prendre de décisions trop hâtives ou de devenir les victimes d’abus. En effet, cela pourrait se révéler réellement préjudiciable de faciliter à outrance l’accès à une telle substance[8].

En 2014, la Cour a à nouveau été saisie suite à un jugement du TF, dans l’affaire Gross c. Suisse[9]. Alors que l’affaire était relativement similaire à la précédente, les juges ont décidé cette fois-ci que le manque de conditions légales claires dans le droit suisse pour accéder à une substance létale, et donc au suicide assisté, n’était pas admissible. Cette grosse incertitude serait prompte à provoquer de l’angoisse chez les patients. La Cour conclut ainsi à une violation de l’art. 8 CEDH, consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale, et invita la Suisse à tirer ses exigences au clair[10].

En 2016, suite à l’adoption de nouvelles règles sur la santé dans le canton de Neuchâtel (voir infra), la Fondation Armée du Salut Suisse et la Société coopérative Armée du Salut Oeuvre Sociale ont formé un recours en matière de droit public pour attaquer cette nouvelle loi et demander son annulation[11]. Les recourants ont fait valoir une atteinte à la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.), dans la mesure où l’obligation de tolérer le suicide assisté dans ces établissements contrevient à leurs convictions religieuses. Ils ont également soulevé que la loi ne respectait pas l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), en différenciant ladite obligation pour les institutions publiques et privées. Ce fut l’occasion pour le TF de rappeler que l’État n’a pas une obligation positive de garantir le suicide assisté. En revanche, et ici la Cour suprême a apporté un changement majeur, l’État se doit de garantir l’autonomie de la personne suicidaire et veiller ainsi à ce que son choix ne se trouve pas illicitement entravé. Il n’y a pas de “droit de mourir”, il y a plutôt une “liberté de mourir”[12]


L’AUTONOMIE DES CANTONS PREND LES DEVANTS

Face au silence du droit fédéral, certains cantons ont adopté des réglementations en matière d’assistance au suicide, en particulier dans les établissements sanitaires. 

L’art. 27d LSP (Loi sur la santé publique) est entré en vigueur dans le canton de Vaud en 2013 et prévoit que “[l]es établissements sanitaires reconnus d’intérêt public ne peuvent refuser la tenue d’une assistance au suicide en leur sein, demandée par un patient ou un résident”, si certaines conditions sont remplies[13]

L’art. 35a LS (Loi de santé) entré en vigueur dans le canton de Neuchâtel en 2015 prévoit, de manière très similaire à la législation vaudoise, que “[l]es institutions reconnues d’utilité publique doivent respecter le choix d’une personne patiente ou résidente de bénéficier d’une assistance au suicide en leur sein, par une aide extérieure à l’institution”, dès lors que certaines conditions sont satisfaites[14].

L’art. 39A LS (Loi sur la santé) entré en vigueur dans le canton de Genève en 2018 s’inspire aussi largement du texte vaudois : “Les établissements médicaux privés et publics (EMPP) et les établissements médico-sociaux (EMS) ne peuvent refuser la tenue d’une assistance au suicide en leur sein, demandée par un patient ou un résidant, si les conditions suivantes sont remplies […]”[15]. Contrairement aux deux autres cantons, elle étend le champ d’application de la mesure aux institutions privées. 

Les autres cantons se sont refusés à modifier leur législation et ne veulent ainsi pas obliger les établissements sanitaires à tolérer l’intervention d’associations d’aide au suicide. Les institutions de ces cantons sont néanmoins libres de prévoir leur propre politique en la matière, et donc de l’autoriser ou non. 


DES ASSOCIATIONS SUISSES

Dans la lignée de sa politique relativement libérale concernant le suicide assisté, la Suisse possède des associations proposant leurs services en la matière. Parmi les plus connues, l’association Exit propose ainsi l’assistance au suicide pour les personnes atteintes soit d’une maladie incurable, soit de souffrances intolérables, soit de polypathologies invalidantes liées à l’âge[16]. L’association revendique “le droit et la possibilité de refuser un éventuel acharnement thérapeutique au cas où celui-ci leur paraîtrait abusif[17]. L’idée est que les personnes membres d’Exit puissent également se soustraire à la douleur que leur provoque leur condition et accéder à des soins palliatifs ou au suicide assisté, tout cela selon leur libre volonté. 

Récemment, en mai 2022, de nouvelles directives de la Fédération des médecins suisses (FMH) sont venues durcir la pratique pour les médecins. Désormais, ceux-ci doivent notamment prévoir au moins deux entretiens avec la personne voulant mettre fin à ses jours. En outre, cette dernière doit prouver que sa souffrance est insupportable. Ce changement a été mal accueilli par les associations d’aide au suicide, considérant que ce droit se trouve dès lors gravement entravé[18]


En définitive, cet article avait pour objectif de présenter une vue d’ensemble de la problématique en Suisse. Nous avons pu voir que le droit fédéral punit l’euthanasie mais tolère l’assistance au suicide, si elle n’a pas été effectuée par égoïsme. Dans cette mesure, la Cour EDH attend de la Suisse qu’elle clarifie les exigences requises pour accéder au suicide assisté. De son côté, le Tribunal fédéral semble s’ouvrir de plus en plus à la consécration d’une “liberté à mourir”. Quelques cantons ont quant à eux profité du silence fédéral pour établir leurs propres lois. Nonobstant, il y a lieu de se demander si le législateur suisse décidera à l’avenir de véritablement se positionner sur les conditions d’accès au droit au suicide assisté afin d’écarter les incertitudes qui subsistent, et notamment les divergences entre les institutions sanitaires. 

 Laura PEREZ GARCIA


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Aide_au_suicide

[2] Ibid.

[3] CR CP II-Hurtado Pozo/Illànez, CP 114 ; Corboz p. 55.

[4] CR CP II-Hurtado Pozo/Illànez, CP 114 ; Corboz, p. 56

[5] Corboz, p. 62.

[6] CR CP II-Hurtado Pozo/Illànez, CP 115 ; Corboz p. 63.

[7] Cour EDH, 20 janvier 2011, affaire Haas contre Suisse, nº 31322/07.

[8] Galetti, p. 46-47.

[9] Cour EDH, 30 septembre 2014, affaire Gross contre Suisse, n° 67810/10.

[10] Galetti, p. 47.

[11] ATF 142 I 195.

[12] ATF 142 I 95, consid. 3.4.

[13] https://prestations.vd.ch/pub/blv-publication/actes/consolide/800.01?id=258cb2db-b772-411c-b0c5-6ed80967c762

[14] https://rsn.ne.ch/DATA/program/books/rsne/htm/8001.htm

[15] https://silgeneve.ch/legis/data/rsg/rsg_k1_03.htm

[16] Conditions requises d’après le site internet d’Exit.

[17] https://www.exit-romandie.ch/exit-a-d-m-d-fr10.html

[18] https://www.rts.ch/info/suisse/13110092-durcissement-des-conditions-pour-le-suicide-assiste-en-suisse.html


RÉFÉRENCES

CORBOZ Bernard, Les infractions en droit suisse, Volume I., Berne (Stämpfli), 2010.

GALETTI Benedetta S., L’assistance au suicide dans les institutions sanitaires publiques et privées, in ex ante 1/2021, p. 45. 

MACALUSO Alain/MOREILLON Laurent/QUELOZ Nicolas (édit.), Commentaire romand, Code pénal II, Bâle (Helbing Lichtenhahn) 2017 (cité : CR CP II-Auteur).

TEICHMANN Fabian/CAMPRUBI Madeleine/GERBER Léonard, Le droit au suicide médicalement assisté, in sui generis 2021, p. 117.

Aide au suicide, Wikipédia [https://fr.wikipedia.org/wiki/Aide_au_suicide] (26.09.2022)

Site de l’association Exit [https://www.exit-romandie.ch] (26.09.2022)

Durcissement des conditions pour le suicide assisté en Suisse, publié le 20 mai 2022 par Gabriela Cabré [https://www.rts.ch/info/suisse/13110092-durcissement-des-conditions-pour-le-suicide-assiste-en-suisse.html] (03.10.2022)


Photo d’illustration : https://www.pexels.com/fr-fr/photo/homme-dans-chemise-bleue-tenue-femme-dans-robe-bleue-6129685/


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