Refonte potentielle du droit international des investissements par le prisme du soft power

Refonte potentielle du droit international des investissements par le prisme du soft power

Les prédictions du début du XXIème siècle qui annonçaient que le pouvoir armé des Etats céderait sa place au soft power semblent aujourd’hui désuètes. Les conflits armés en Europe, en Afrique ou au Moyen-Orient montrent que les puissances modernes usent encore de la force, dans sa conception la plus violente. Cette utilisation « brute » de la force est appelée hard power. Traditionnellement, elle se rapporte aux conflits armés mais englobe plus largement toute forme de coercition, que cela soit par les armes, la cyberpiraterie ou les sanctions économiques. 



Définitions

Joseph Nye, professeur émérite de l’Université d’Harvard et d’autres intellectuels du début du XXIème siècle affirmaient que le hard power était justement dépassé et que les relations de pouvoir modernes seraient gouvernées majoritairement par le soft power. Contrairement au hard power, le soft power permet à une entité d’atteindre des objectifs par la persuasion ou l’attraction, et non par la coercition. La culture, le sport, les investissements étrangers et même la philosophie peuvent être utilisés comme des armes dans ce contexte. Malheureusement, même si cela fait des siècles que l’on sait que l’esprit est une arme plus puissante que l’épée, l’histoire montre que l’épée s’est bien souvent mise au service de l’esprit. L’actualité récente démontre que cette tendance ne s’est pas totalement inversée. 

Problématique

Toutefois, le soft power a bel et bien gagné en importance au cours de ces dernières années. Les pays l’utilisent pour, par exemple, gagner une meilleure image, comme le Qatar qui a organisé la Coupe du monde de football en 2022 ou l’Arabie saoudite qui investit massivement dans la culture sous l’influence de Mohamed Ben Salmane[1]. Les investissements étrangers se trouvent aussi au centre de stratégie de soft power. Ces stratégies, en apparence douces, cachent parfois des objectifs pouvant causer des dommages importants aux Etats qui en feraient les frais. A l’inverse, l’utilisation des investissements étrangers peut être bénéfique pour le plus grand nombre et influencer positivement les relations internationales

Définition d’investissements étrangers et enjeux

Les investissements étrangers (IDE) désignent le « mouvement de capitaux destiné à obtenir une influence sur une entreprise étrangère ». Les types d’ IDE sont variés, allant du financement à la création d’une entreprise dans un pays étranger au simple prêt effectué à une entreprise sise à l’étranger.[2]. Les investissements étrangers sont donc au cœur de l’économie mondiale[3]. Ils permettent le développement rapide de certains secteurs de l’économie pour les pays importateurs de capitaux. Aux USA par exemple, on peut penser notamment aux investissements étrangers qui ont été effectués dans le secteur de la technologie dans la Silicon Valley ou les nombreuses entrées d’argent venant de l’étranger à Hollywood[4]

D’un autre côté, ils permettent à des entités étrangères de gagner de l’influence en dehors de leurs frontières. Cela pose un certain nombre de problématiques pour les Etats hôtes de ces investissements. En effet, les investissements et prises de contrôle d’entreprises nationales peuvent être effectués par des entreprises étatiques d’un Etat tiers, ce qui crée un risque d’ingérence ou de dépendance à cet Etat étranger. La Chine est souvent critiquée sur ce plan. Que cela soit en Afrique dans le secteur minier ou en Europe dans le secteur maritime, le pays du milieu est perçu comme une menace de part sa politique d’investissement offensive[5]

Si la menace de la Chine peut être relativisée dans bien des cas, la menace de stratégie d’influence sous fond de soft power est bien réelle. La venue de capitaux étrangers peut être perçue positivement, notamment dans les pays en développement. Ils peuvent créer une bonne image du pays exportateur de capitaux qui pourra ensuite plus facilement exporter ses capitaux. Ces IDE, attirés en quelque sorte par une stratégie de soft power, peuvent se révéler néfastes et avoir des conséquences semblables à des stratégies plus classiques de hard power. Comme dit ci-dessus, ingérence et dépendance sont des risques importants qui poussent de plus en plus les Etats à légiférer afin de se protéger de ces menaces invisibles. 

Etat du droit international des investissements

Jusqu’à ce jour, le droit international des investissements est très diffus. Il n’existe pas de traité international sur les investissements étrangers ce qui cause un grand éparpillement des textes légiférant le sujet. Le principal, voire unique type de source du droit international des investissements ont longtemps été les traités bilatéraux d’investissements (TBI). Ils se définissent comme « des accords relatifs au traitement par un État des investissements effectués par des personnes physiques ou des sociétés ressortissantes d’un autre Etat »[6]. A l’origine, ces traités étaient marqués par de fortes inégalités entre pays importateurs (traditionnellement des pays en développement) et exportateurs de capitaux (traditionnellement des pays développés et anciennes puissances coloniales). De nos jours, ces derniers bénéficient encore d’avantages disproportionnés par rapport aux pays recevant les investissements. Ces traités sont aussi caractérisés par leurs lacunes.

Afin de pallier ces lacunes, on assiste depuis une dizaine d’années à un changement du droit international des investissements. De plus en plus d’Etats légifèrent au niveau national afin de parer certaines problématiques liées à ces TBI. Dans l’Union européenne, chaque Etat est tenu d’adopter une législation de ce type depuis 2024[7]. En Suisse, la loi fédérale sur l’examen des investissements étrangers devrait entrée en vigueur ces prochaines années[8]. L’objectif premier de ces textes est de contrer les problématiques liées aux investissements étatiques et aux risques d’ingérence. Afin d’atteindre ces objectifs, les investissements étrangers seront filtrés afin de refuser les IDE qui présentent une menace pour les pays hôtes d’investissement. A noter que ces exemples concernent des pays qui sont historiquement exportateurs de capitaux, ce qui souligne que les défis concernent aussi les grandes puissances traditionnelles.

Le continent africain disposera aussi prochainement d’un texte encadrant les IDE qui sera incorporé dans le récent accord de libre-échange continental, la ZLECAf[9]. Le protocole sur l’investissement de la ZLECAf prévoit d’autres solutions que le filtrage des investissements. Celui-ci prévoit de traiter le problème en amont en diversifiant les investissements intercontinentaux afin de concurrencer les sources d’investissements étrangers existantes, notamment chinoises. La coopération entre Etat permet en effet d’agir conjointement afin d’obtenir des objectifs communs. Ainsi, les accords de libre-échange apparaissent aussi comme étant de potentielles solutions aux menaces que peuvent représenter certains IDE.

Le paysage normatif des investissements étrangers risque ainsi de changer ces prochaines années. La multiplication de ces textes nationaux et la création d’accords de libre-échange pourraient à terme réduire la portée des TBI. Ces derniers sont d’ailleurs en train de changer. S’ils étaient à l’origine caractérisés par les relations Nord-Sud et leurs lacunes, ils sont de plus en plus complets et abordent des thématiques progressistes comme la protection de l’environnement[10].

Conclusion

En conclusion, le droit international semble subir une véritable refonte, due notamment aux stratégies d’influences douces. Les nouvelles et futures législations/moyens de protection s’éloignent des tendances traditionnelles, parfois qualifiées de néo-coloniales, pour se tourner vers des stratégies basées sur l’entraide et la protection mutuelle. Dans le futur, le rôle des TBI devra peut-être être repensé ou relativisé. Ils pourraient en effet perdre en importance à cause de nouveaux textes venant les supplanter. Ils pourraient en revanche être utilisés comme des lex specialis, qui permettraient aux Etats contractants de définir plus précisément leurs objectifs et défis communs. En somme, la collaboration et la coopération ont le potentiel de fonder le futur du droit international des investissements.

Amine Mreyah


[1] S. Rahal, En visite en France, “MBS” affûte le soft power culturel de l’Arabie saoudite, 16 juin 2023, (visité le 29 décembre 2024), disponible sur : https://www.telerama.fr/debats-reportages/en-visite-en-france-mbs-affute-le-soft-power-culturel-de-l-arabie-saoudite-7016042.php.

[2] Eurofiscalis, Qu’est-ce qu’un Investissement direct à l’étranger ? Définition, (visité le 01 mars 2025), disponible sur: <https://www.eurofiscalis.com/lexiques/investissement-direct-a-letranger/>.

[3] OCDE, Investissements directs étrangers (visité le 01 mars 2025), disponible sur: <https://www.oecd.org/fr/themes/investissement-direct-etranger-ide.html>.

[4] N. Mingant, Hollywood à la conquête du monde : Marchés, stratégies, influences, CNRS Editions, Paris, 2016, pp. 193-213.

[5] Parlement Européen, Etude réalisée pour la commission TRAN – Investissements chinois dans les infrastructures maritimes européennes, septembre 2023, p. 2.

[6] CIRDI, Traités d’investissement, (visité le 01 mars 2025), disponible sur: <https://icsid.worldbank.org/fr/ressources/traites-d-investissement>.

[7] CIRDI, Traités d’investissement, (visité le 01 mars 2025), disponible sur: <https://icsid.worldbank.org/fr/ressources/traites-d-investissement>.

[8]Admin.ch, Loi fédérale sur l’examen des investissements étrangers : le Conseil fédéral approuve le message, 15 décembre 2023, (visité le 25 janvier 2025), disponible sur : <https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-99460.html>.

[9] Projet du Protocole à l’Accord portant création de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine sur l’Investissement, 21 janvier 2023.

[10]  Reciprocal Investment Promotion and Protection Agreement between the Government of the Kingdom of Morocco and the Government of the Federal Republic of Nigeria, 03 janvier 2016, (TBI Maroc- Nigeria 2016).


Bibliographie:
Admin.ch, Loi fédérale sur l’examen des investissements étrangers : le Conseil fédéral approuve le message, 15 décembre 2023, (visité le 25 janvier 2025), disponible sur : <https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-99460.html>.

CIRDI, Traités d’investissement, (visité le 01 mars 2025), disponible sur: <https://icsid.worldbank.org/fr/ressources/traites-d-investissement>.

Eurofiscalis, Qu’est-ce qu’un Investissement direct à l’étranger ? Définition, (visité le 01 mars 2025), disponible sur: <https://www.eurofiscalis.com/lexiques/investissement-direct-a-letranger/>.

N. Mingant, Hollywood à la conquête du monde : Marchés, stratégies, influences, CNRS Editions, Paris, 2016.

OCDE, Investissements directs étrangers (visité le 01 mars 2025), disponible sur: <https://www.oecd.org/fr/themes/investissement-direct-etranger-ide.html>

 Parlement Européen, Etude réalisée pour la commission TRAN – Investissements chinois dans les infrastructures maritimes européennes, septembre 2023.

Projet du Protocole à l’Accord portant création de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine sur l’Investissement, 21 janvier 2023

Reciprocal Investment Promotion and Protection Agreement between the Government of the Kingdom of Morocco and the Government of the Federal Republic of Nigeria, 03 janvier 2016, (TBI Maroc- Nigeria 2016).

 Règlement (UE) 2019/452 du Parlement Européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union (R (UE) 2019/452).

 S. Rahal, En visite en France, “MBS” affûte le soft power culturel de l’Arabie saoudite, 16 juin 2023, (visité le 29 décembre 2024), disponible sur : <https://www.telerama.fr/debats-reportages/en-visite-en-france-mbs-affute-le-soft-power-culturel-de-l-arabie-saoudite-7016042.php>.


Source image : https://pixabay.com/fr/illustrations/politique-%C3%A9conomie-diplomatie-6956758/


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