L’abus d’autorité, une infraction qui fait l’actualité suisse

L’abus d’autorité, une infraction qui fait l’actualité suisse

Que ce soit dans le canton genevois avec la votation populaire genevoise récusé « Je protège la police, qui me protège » offrant une immunité judiciaire au policier ou dans l’actualité vaudoise, suite à la confirmation de l’ouverture d’une instruction pénale du Ministère public vaudois à l’encontre de la conseillère d’État, Valérie Dittli, pour des faits potentiellement constitutifs d’abus d’autorité[1], l’article 312 CP se retrouve indirectement et directement dans l’actualité suisse et plus particulièrement l’actualité suisse romande.



Analyse de l’article de l’abus d’autorité

Sous le titre 18, infraction contre les devoirs de fonction et les devoirs professionnels, l’article 312 CP stipule que « [l]es membres d’une autorité et les fonctionnaires qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, ou dans le dessein de nuire à autrui, abusent des pouvoirs de leur charge, sont punis d’une peine privative de liberté de cinq au plus ou d’une peine pécuniaire ».

Même s’il s’agit de la première norme au Titre 18 du Code pénal, l’article 312 CP ne peut être ni traité comme une norme générale, ni comme une norme subsidiaire en relation avec d’autres infractions.[2]

Dans les prochains sous-titres, ci-dessous, nous allons principalement nous concentrer sur les éléments objectifs et subjectifs constitutifs de l’infraction d’abus d’autorité (article 312 CP).

Pour de plus amples d’informations concernant cette infraction, nous vous invitons à lire les pages concernant l’article 312 CP dans le Commentaire Romand CP II.

Informations générales 

L’article 312 CP constitue un délit propre pur, un terme technique qui signifie que la condition  concernant la qualité d’auteur n’est satisfaite que lorsque celui-ci est pourvu d’une qualité particulière.[3] Dans le cadre de l’infraction d’abus d’autorité, cette qualité spécifique de l’auteur se traduit par le fait d’occuper une fonction de membre d’autorité ou de fonctionnaire pour une autorité suisse.[4] La fonction de membre d’autorité ou de fonctionnaire a pour conséquence que l’on classe l’article 312 CP dans les délits des fonctions en raison de l’utilisation de l’auteur de sa profession afin d’obtenir un avantage illicite dans son intérêt ou pour celui d’un tiers.[5]

Cette disposition a deux objectifs, d’une part, protéger l’intérêt de l’état d’avoir à sa charge des fonctionnaires ayant une attitude loyale et qui usent de leur statut et pouvoirs confiés « en ayant conscience de leur devoirs » et d’une autre part, l’intérêts des citoyens à ne pas faire face à un « déploiement de puissance étatique incontrôlé et arbitraire ».[6]

Deux derniers éléments généraux sont, en outre, importants à mettre en évidence dans l’exercice de cette norme pénale. Tout d’abord, il faut souligner que l’infraction d’abus de l’autorité n’est pas liée par des conclusions élaborées concernant de sanctions disciplinaires en relation avec le même comportement que jugé dans l’examen d’une infraction sur l’article 312 CP.[7] Enfin, il est nécessaire de souligner que la négligence n’est pas réprimée dans le cadre de l’article 312 CP. Par conséquent, l’erreur sur les faits n’est donc pas applicable.[8]

Éléments objectifs constitutifs 

Le premier élément objectif constitutif est la qualité de membre d’autorité ou de fonctionnaire dans le cadre de la condition d’auteur.

En premier lieu, nous allons nous concentrer sur l’appellation de « membre d’autorité ». Ce terme définit une personne exerçant un des trois pouvoirs de l’État, c’est-à-dire le pouvoir exécutif, législatif, judiciaire. Cela peut être effectué au sein d’un groupe ou de façon individuelle.[9]  La qualification de membres d’autorités est donnée même si la personne n’exerce qu’une partie du pouvoir, à condition que ce pouvoir ne soit pas subordonné.[10] Pour vous donner des exemples, les conseillers d’États, le juge, les parlementaires, les différents types de procureurs sont considérés comme des membres d’une autorité.[11]

En second lieu, l’appellation d’un fonctionnaire trouve sa définition directement dans la loi, à l’article 110 ch.3 CP qui stipule que « [p]ar fonctionnaire, on entend les fonctionnaires et les employés d’une administration publique et de la justice ainsi que les personnes qui occupent une fonction publique à titre provisoire, ou qui sont employés à titre provisoire par une administration publique ou la justice ou encore qui exercent une fonction publique temporaire ». Cette notion se différencie de la notion de membre d’autorité par le fait que le fonctionnaire est subordonné à une autre fonction.[12] Ce terme de fonctionnaire inclut les personnes qui effectuent des tâches publiques « pour autant qu’il s’agisse d’une activité effectuée dans le cadre d’un monopole ou de la prédominance de l’État ». Sont traités comme tels, les curateurs, les agents de polices cantonaux et communaux ou encore les fonctionnaires du fisc.[13]

Le deuxième éléments constitutifs objectifs est l’abus de pouvoir. Cette condition est réalisée par l’auteur lorsqu’il « accomplit un acte de puissance publique et qu’il en abuse ».[14] Deux notions ressortent de la phrase précédente.

La première notion est celle de l’accomplissement d’un acte de puissance publique, appelé également exercice de la puissance publique. Il s’agit en soit de l’accomplissement d’un acte ou le fait d’entreprendre une mesure comprise dans les agissements ordinairement intégrés dans la fonction de membre d’autorité ou de fonctionnaire. Dans le cadre de l’article 312 CP, ces derniers exercent cette puissance publique à travers soit d’un acte de disposition de droit public ou soit d’un acte matériel de contrainte lors de l’exercice de son activité professionnelle. La contrainte peut s’exercer par l’usage de force physique ou de pressions psychologiques.[15] Enfin,  la considération de légitimité du but de l’acte matériel n’est pas prise en compte dans l’analyse de l’abus d’autorité.[16]

Le deuxième terme, plus complexe à déterminer, est l’abus. L’abus est constitué lorsque l’auteur fait un usage de ses pouvoirs officiels de façon contraire à ce qui est permis. Cela signifie plus précisément qu’il ou elle dépasse les limites en usant de son autorité avec effet obligatoire.[17] Le but visé par l’auteur ne doit pas être nécessairement lié à sa fonction, il suffit « qu’il agisse sous le manteau de celle-ci ».[18]

Le Petit commentaire du code pénal exige un seuil de gravité pour considérer un agissement comme abusif. Selon cette doctrine, le seuil de gravité est atteint lorsqu’il existe une « violation insoutenable à des règles applicables ».[19] Cependant, le Commentaire Romand du Code pénal II a souligné, dans son ouvrage, que le Tribunal fédéral ne prenait pourtant pas en compte cette exigence. Nous aborderons cette disparité de point de vue, plus tard, dans le chapitre sur les enjeux de l’article 312 CP

Revenant à la notion plus générale d’abus dans l’accomplissement d’un acte de puissance publique, il faut que l’acte en question et plus particulièrement la décision du membre de l’autorité ou du fonctionnaire soit rendu à l’égard d’un ou plusieurs particuliers c’est-à-dire d’un ou plusieurs sujets de droits externes à l’administration. De plus, cet acte doit régler obligatoirement une situation juridique de façon contraignante.[20]

Pour finir sur les éléments objectifs constitutifs de l’infraction 312 CP, nous aimerions attirer votre attention sur un cas de jurisprudence. Le cas concerne le jugement du Tribunal fédéral auprès d’un conseiller administratif communal ayant procédé à l’annulation d’amendes d’ordre par simple envie de complaisance et par favoritisme. L’instance judiciaire a qualifié le favoritisme d’abus de pouvoir. En effet, selon le Tribunal fédéral, il s’agit d’une violation d’un devoir spécifique par l’exploitation d’une position officielle. Cela est pénalement punissable en raison de l’exploitation de sa position officielle en dehors du cadre de sa fonction. Cet arrêt met en évidence que le champ d’application a été étendu par le Tribunal fédéral en incluant également les situations de favoritisme dans les intérêts d’un tiers dans la qualification d’abus d’autorité et cela au détriment de la collectivité. Cette jurisprudence a également permis d’inclure dans les futurs jugements l’abus d’autorité en raison d’un préjudice causé à l’État.[21]

Éléments subjectifs constitutifs

L’intention doit porter sur tous les éléments objectifs constitutifs [22], dont la conscience du rôle de membre de l’autorité.[23] Toutefois, la condition de l’intention n’est pas remplie si l’auteur pensait avoir agi de manière conforme au droit ce qui signifie qu’il n’avait pas conscience d’abuser de son autorité.[24]

Le dessein spécial est rempli dans deux hypothèses alternatives. 

La première est celle du dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, l’illicéité de l’avantage effectuée à travers le moyen utilisé par l’auteur ou le but poursuivi par celui-ci.[25]Pour que l’infraction se produise, le but ne doit pas être obligatoirement réalisé mais il faut tout de même que le comportement soit « apte à atteindre le but poursuivi ». L’avantage illicite peut être immatériel, comme l’atteinte à l’image d’une personne ou matérielle.[26] Par conséquent, l’avantage n’est pas obligatoirement économique.[27]

La deuxième hypothèse est le dessein de nuire à autrui. On peut déduire que le dessein de nuire est accompli lorsque l’auteur utilise « des moyens excessifs, même s’il poursuit un but légitime ».[28] On admet également ce dessein quand « la description du comportement objectif de l’auteur à qui l’on reproche un recours disproportionné à la force, sans aucune raison ».[29]

En cas de défaut de dessein spécial dans les deux hypothèses, le comportement pourra être potentiellement qualifié d’une violation de devoirs de service, sortant du cadre pénal et intégrant ainsi le cadre du droit disciplinaire.[30]

Consommation de l’infraction 

Est considéré comme consommé l’infraction par la commission de l’acte abusif sans qu’il ne soit nécessaire que le but de l’auteur se réalise. [31]

La procédure 

Une requête expresse doit être délivrée à la suite d’indices minimaux d’une conduite pénalement « relevante » ainsi que de la mise en évidence d’éléments suffisant pour suspecter une conduite pénalement illicite. Ce n’est qu’à la suite de cette requête qu’une poursuite pénale peut être entamée. Le fait que la personne visée par l’enquête soit en fonction ou pas n’a aucune importance pour la procédure lors de ces étapes précises.[32]

Les enjeux de cette infraction

La qualité d’auteur n’est pas l’élément le plus complexe de l’article 312 CP, car les deux qualifications sont à plusieurs reprises citées dans les articles de Code Pénal. L’intention et le dessein spécial se traitent également de la même façon dans d’autres infractions pénalement répréhensibles.

Le principal enjeu est la détermination et les limites du terme d’abus, notion indéterminée, laissant une grande marge d’appréciation au juge. En vue des lectures faites (cf. bibliographie) et de nos réflexions personnelles, deux questions se posent, selon nous.

Tout d’abord, nous pouvons nous questionner si la notion d’abus n’est pas excessivement vague. En effet, si la notion était davantage déterminée cela permettrait une application correcte de la disposition. Cela diminuerait également une insécurité juridique concernant l’application de la norme à la fois pour les membres d’autorités et des fonctionnaires et pour les personnes privées qui décideraient de recourir à cette infraction. Toutefois, en raison d’une augmentation de compétence de l’État, la notion d’abus était indéterminée permettant l’appréhension de plus de comportements suspicieux de dépasser les limites des pouvoirs conférés par l’État et cela dans des domaines divers et à différents rangs.

Pour déterminer la notion d’abus, nous pouvons nous poser la question si l’on doit exiger « une violation insoutenable à des règles applicables », condition non requise par la jurisprudence.

L’infraction d’abus d’autorité peut paraître parfois comme une menace pour tous les actes commis par un membre de l’autorité ainsi que des fonctionnaires dans le cadre de leurs pouvoirs officiels. Lorsque la fonction est menacée par de trop risques de sanctions, cela peut avoir pour conséquence un ralentissement dans les agissements et les procédures de travail des membres d’autorités ou des fonctionnaires.

La condition d’une violation insoutenable à des règles applicables met une limite toujours certes indéterminée mais nécessaire pour éviter des procédures pénales pour tous agissements. Cela rappelle les motivations de l’initiative « Je protège la police qui me protège » qui avait pour but d’éviter de trop nombreuses procédures pénales à l’encontre des policiers ce qui pouvait ralentir les fonctionnaires dans leur travail.

Cependant, une exigence trop élevée dans le seuil de gravité pourrait aussi laisser passer des abus considérés peut-être mineurs, mais des abus quand même. N’oublions pas que l’article sur l’abus d’autorité permet de renforcer la crédibilité ainsi que le respect dans la relation qu’entretient l’État avec les particuliers. Si l’on admet des abus considérés comme plus légers, cela risque de briser une relation de confiance entre les personnes privées et son État, représenté par ses membres de l’autorité et ses fonctionnaires.

De plus, l’article 312 CP protège l’individu de libertés fondamentales comme l’égalité de traitement. Rappelons que l’article 35 alinéa 2 de la Constitution Suisse, exige qu’une personne, assumant une tâche de l’État, respecte les droits fondamentaux. Il est donc favorable au respect de cette norme que cette sanction pénale ait une large interprétation, permettant ainsi de prendre compte le plus de cas d’abus d’autorité afin d’éviter tout cas, même considéré moins grave, des valeurs fondamentales dans notre Constitution.

En conclusion, la notion d’abus fera encore des débats dans les mois voire dans les années à venir afin de savoir où l’on pose les limites de ce terme et comment l’appréhender. L’affaire Dittli fera potentiellement raviver des débats autour de cet article 312 CP. 

Laeticia Monteiro Azevedo


[1] « Le Ministère public vaudois confirme l’enquête sur Valérie Dittli pour abus d’autorité » RTS, 8 octobre 2025.

[2] CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 13

[3] PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, rem. prél. aux art. 312 à 322bisN 1.

[4] PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, rem. prél. aux art. 312 à 322bisN 3.

[5] PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, rem. prél. aux art. 312 à 322bisN 6.

[6] PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, art. 312 N 3.

[7] CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 11.

[8] CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 32.

[9] PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, art. 312 N 6.

[10] Corboz  N.1 Art 312 CP

[11] CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 19.

[12] PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, art. 312 N 6.

[13] CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 20

[14] PP PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, art. 312 N 9.

[15] PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, art. 312 N 10.

[16] CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 15.

[17] PP PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, art. 312 N 16.

[18] Corboz  N.7 Art 312 CP.

[19] PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, art. 312 N 19.

[20]CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 24.

[21] CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 26.

[22]  Corboz N.9 Art 312 CP.

[23]  CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N

[24]  PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, art. 312 N 22.

[25]  PC CP-Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou, art. 312 N 24.

[26] BSK StGB-Heimgartner, Art. 312 N 23.

[27] CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 31.

[28] Droit pénal et procédure pénale – Rétrospective 2023, Jurisprudences et analyses – Législation, 2024, p. 4

[29] Jeanneret Yvan, Les faits à l’épreuve de la maxime d’accusation / I. – V., dans: Bohnet François (éd.), Les faits en procédures civile, pénale et administrative, Bâle, Neuchâtel 2023, p. 183.

[30] CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 15.

[31] CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 33.

[32]  CR CP II-Postizzi/Salmina, Art. 312 CP N 37.


Bibliographie 

CORBOZ Benard/PIAGET Emmanuel, Les infractions en droit suisse, 3e éd., Berne, (Stämpfli Editions) 2010.

DUPUIS Michel/MOREILLON Laurent/PIGUET Christophe/BERGER Séverine/MAZOU Miriam /RODIGARI Virginie (édit.), Petit Commentaire Code pénal, 2e éd., Bâle (Helbing Lichtenhahn) 2017 (cité : PC CP-AUTEUR-E).

MACALUSO Alain/MOREILLON Lauren (edit.), Commentaire romand, Code pénal II, Bâle (Helbing Lichtenhahn) 2025 (cité : CR CP II-AUTEUR-E).

« Le Ministère public vaudois confirme l’enquête sur Valérie Dittli pour abus d’autorité » RTS, 8 octobre 2025.

Jeanneret Yvan, Les faits à l’épreuve de la maxime d’accusation / I. – V., dans: Bohnet François (éd.), Les faits en procédures civile, pénale et administrative, Bâle, Neuchâtel 2023, p. 183. 

Droit pénal et procédure pénale – Rétrospective 2023, Jurisprudences et analyses – Législation, 2024, p.


Source de l’image : https://unsplash.com/fr/photos/outil-en-bois-brun-sur-surface-blanche-veNb0DDegzE


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