Quand le droit de la concurrence freine les investissements étrangers

Quand le droit de la concurrence freine les investissements étrangers

L’économie mondiale actuelle favorise largement l’émergence de géants économiques. Qu’il s’agisse d’entreprises agroalimentaires ou technologiques, ces multinationales ont un impact non négligeable et peuvent exercer une pression sur les économies locales. Les États, tout en cherchant à attirer des investissements étrangers, doivent également veiller à préserver l’équilibre de leurs marchés nationaux en se protégeant contre les distorsions causées par des pratiques anticoncurrentielles.

Face à la mondialisation et à l’instauration d’un marché global, le droit de la concurrence demeure toutefois de nature étatique. Par conséquent, les entreprises doivent se conformer à différents régimes de concurrence en fonction du pays où elles investissent, ce qui rend leurs investissements plus complexes à instaurer.


Des restrictions nationales aux investissements étrangers

La France, en tant qu’acteur économique majeur de l’Union européenne, joue un rôle central dans la définition des politiques économiques et réglementaires qui influencent les flux d’investissements internationaux. L’article L. 151-1 du Code monétaire et financier (CMF)[1] garantit en principe la liberté des investissements entre la France et l’étranger. Cependant, cette liberté peut être restreinte pour des raisons de protection des intérêts nationaux dans des secteurs dits « stratégiques ». L’article L. 151-3 du même code soumet ainsi à autorisation préalable les investissements étrangers impliqués dans des activités qui participent à l’exercice de l’autorité publique ou concernent la sécurité nationale[2].

Comme en France, la Chine a également mis en place une protection de ses entreprises nationales via le droit de la concurrence. La loi anti-monopole chinoise, modifiée en 2022[3], accorde un traitement privilégié aux entreprises nationales contribuant à la sécurité nationale ou à l’économie du pays, allant ainsi à l’encontre du principe du traitement national[4].

À l’inverse, la Russie a adopté une approche différente. Dans les années 1990, elle a entrepris une politique de « démonopolisation » de son marché afin de lever les obstacles susceptibles de dissuader les investisseurs étrangers[5]. En favorisant la création de petites entreprises et en assouplissant la régulation de certains secteurs, la Russie a utilisé le droit de la concurrence comme un levier d’attractivité pour les capitaux étrangers. Cette stratégie visait à encourager l’implantation d’entreprises étrangères et à dynamiser son économie après la chute de l’URSS[6].

Des arbitrages internationaux marqués par les tensions entre protectionnisme et libre concurrence

Les tensions entre le droit de la concurrence et les standards de traitement des investisseurs étrangers se manifestent régulièrement dans la pratique. L’affaire United Parcel Service of America, Inc. (UPS) c. Canada[7] illustre comment une réglementation peut indirectement favoriser des acteurs locaux. UPS, concurrent de Postes Canada sur le marché de la livraison de colis, a soutenu que le gouvernement canadien favorisait ses propres entreprises en leur permettant d’accéder aux infrastructures de distribution de courrier. Toutefois, le tribunal a considéré que l’analyse devait se concentrer sur les actions de l’État lui-même et non sur celles d’une entreprise.

Une autre affaire marquante, S.D. Myers Inc. c. Canada[8], concernait l’interdiction d’exporter des déchets toxiques contenant des PCB vers les États-Unis. Si cette mesure semblait en apparence écologique, le tribunal arbitral a estimé qu’elle favorisait en réalité des entreprises canadiennes, violant ainsi les principes de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Conclusion

Le droit de la concurrence joue un rôle clé, non seulement en protégeant les marchés internes, mais aussi en influençant les flux d’investissements internationaux. Si certaines nations comme la Russie, utilisent le droit de la concurrence pour attirer les investisseurs étrangers, d’autres, comme la France ou la Chine, y voient un moyen de protection de leurs marchés. L’arbitrage international reflète ces tensions, mettant en lumière les difficultés d’articulation entre droit de la concurrence et droit international des investissements.

Samra Akasriou


[1] Code monétaire et financier, 01 janvier 2001.

[2] M. Lahouazi, «Contrôle des investissements étrangers », in Institut du droit de la concurrence (ed.), Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrence, Paris, 2023, N. 120456.

[3] Asiallians, Anti-Monopoly Law: New Revisions To Anti-Monopoly Law, 13 juillet 2022.

[4] Loi anti-monopole de la République populaire de Chine, 30 août 2007.

[5] Loi de la République socialiste fédérative soviétique de Russie sur la concurrence et la limitation des activités monopolistiques sur les marchés des marchandises, 22 mars 1991.

[6] P. Brunot, « Le droit de la concurrence en Russie : De nouvelles dispositions », Le courrier des pays de l’Est, no.1033, 2003, pp.71-73.

[7] United Parcel Service of America, Inc. (UPS) v. Government of Canada, Award on jurisdiction, Ad hoc arbitration, 22 novembre 2002.

[8] S.D. Myers Inc v. Government of Canada, Partial award, NAFTA arbitration, 13 novembre 2000.


Bibliographie :

Asiallians, Anti-Monopoly Law: New Revisions To Anti-Monopoly Law, 13 juillet 2022.

Code monétaire et financier, 01 janvier 2001.

Loi anti-monopole de la République populaire de Chine, 30 août 2007.

Loi de la République socialiste fédérative soviétique de Russie sur la concurrence et la limitation des activités monopolistiques sur les marchés des marchandises, 22 mars 1991.

M. Lahouazi, « Contrôle des investissements étrangers », in Institut du droit de la concurrence (ed.), Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrence, Paris, 2023, N. 120456.

P. Brunot, « Le droit de la concurrence en Russie : De nouvelles dispositions », Le courrier des pays de l’Est, no.1033, 2003, pp.71-73.

S.D. Myers Inc v. Government of Canada, Partial award, NAFTA arbitration, 13 novembre 2000.

United Parcel Service of America, Inc. (UPS) v. Government of Canada, Award on jurisdiction, Ad hoc arbitration, 22 novembre 2002.


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