Le don d’ovule est actuellement interdit en Suisse, contrairement au don de sperme, qui est autorisé sous certaines conditions. Toutefois, cette interdiction fait l’objet de nombreuses discussions et pourrait être remise en question dans le cadre d’une révision de la Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA). En effet, lors de la séance du 29 janvier 2025, le Conseil fédéral a décidé de réviser entièrement la LPMA pour l’adapter au contexte actuel[1]. Dans cet article, nous explorerons le cadre juridique actuel et les évolutions législatives envisagées.
Le cadre juridique actuel – interdiction du don d’ovules
En Suisse, le don de sperme est autorisé sous certaines conditions, contrairement au don d’ovules, qui est interdit par l’article 4 de la Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA). Cet article interdit également le don d’embryons et la maternité de substitution. La LPMA prévoit des dispositions pénales aux articles 29ss LPMA en cas d’infractions à ses dispositions. En ce qui concerne le don d’ovules, « [e]st puni d’une amende de 100 000 francs au plus quiconque, intentionnellement […] utilise des ovules provenant de dons, développe un embryon conçu à la fois au moyen d’un ovule et de spermatozoïdes provenant d’un don ou transfère à une femme un embryon provenant d’un don » (37 let. c LPMA).
Au niveau constitutionnel, seul le don d’embryons et la maternité de substitution sont interdits (119 al.2 let. d Cst.). La LPMA va donc plus loin en prévoyant également l’interdiction du don d’ovules. Cette interdiction crée une « différence d’accès à la PMA[2] en fonction du sexe de la personnes infertile »[3]. En effet, en Suisse, un homme infertile ou risquant de transmettre une maladie grave peut avoir recours au don de sperme s’il est marié à sa partenaire (18 cum 3 al.3 LPMA). Aujourd’hui, une femme dans cette même situation ne peut pas avoir recours au don d’ovules en Suisse.
Pourquoi cette interdiction ?
Dès l’élaboration de la LPMA, l’interdiction du don d’ovules a suscité des débats. En effet, lors de la procédure de consultation de l’avant-projet de 1995 concernant la LPMA, certains participants estimaient qu’il s’agissait d’une inégalité de traitement entre les maternités éclatées et les paternités éclatées[4]. Il avait été avancé, sur la base d’expériences en matière d’adoption, qu’une maternité éclatée ne nuirait pas au développement de l’enfant. Or, d’autres participants estimaient qu’un enfant pourrait être plus sujet à des conflits affectifs en découvrant que sa mère sociale et juridique n’est pas sa mère biologique, comparé au cas où son père social et juridique ne serait pas son père biologique.
Finalement, dans le Message du Conseil fédéral, cette interdiction avait été justifiée par l’idée que « la procréation médicalement assistée ne doit pas donner naissance à des rapports familiaux qui s’écartent de ceux que la nature rend possibles ». Concernant le don de sperme, il avait été argué que « le père génétique n’assume pas toujours la responsabilité juridique de son enfant et que l’époux de la femme qui a donné naissance à l’enfant n’est pas nécessairement le père biologique de cet enfant », établissant ainsi un parallèle avec la procréation naturelle[5].
Une législation qui pousse au « Tourisme reproductif »
L’interdiction du don d’ovules en Suisse pousse certains couples à se tourner vers des pays voisins où le don d’ovules est autorisé. Une étude menée par l’université de Berne sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique a démontré qu’en 2019, sur 516 cas de personnes ou de couples domiciliés en Suisse ayant voyagé à l’étranger pour une procédure de reproduction, 82,17% des voyages concernaient un don d’ovules. Il s’agissait dans la plupart des cas de dons d’ovules réalisés en Espagne[6].
En Europe, il y a notamment la Norvège et l’Allemagne, en plus de la Suisse, qui interdisent clairement le don d’ovules. Quant aux autres pays, l’Autriche l’a légalisé en 2015, en Belgique, au Danemark, au Royaume-Uni, au Portugal, en Espagne, en Finlande ou encore en Suède, le don d’ovules est autorisé sous certaines conditions[7]. Les sanctions susmentionnées prévues dans la LPMA ne s’appliquent cependant pas aux dons d’ovules réalisés à l’étranger[8].
Vers une évolution de la loi ?
Depuis plusieurs années, l’interdiction du don d’ovules fait l’objet de débats et une volonté politique existe pour faire évoluer la LPMA. Fin 2022, le Parlement a adopté la motion de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture « Réaliser le désir d’enfant. Légaliser le don d’ovules pour les couples mariés »[9]. Cette motion demandait au Conseil fédéral de poser les bases légales pour autoriser le don d’ovules, afin de corriger une inégalité de traitement, permettant ainsi qu’un couple marié au sein duquel la femme est infertile et qu’un couple marié au sein duquel l’homme est infertile puisse avoir les mêmes possibilités de réaliser leur projet d’enfant. Autoriser le don d’ovules permettrait aussi d’éviter que les femmes infertiles soient contraintes de se rendre à l’étranger pour avoir recours à un don d’ovule[10].
Ce 29 janvier 2025, le Conseil fédéral a fixé les grandes lignes pour autoriser le don d’ovules.
Qu’est-ce qui changerait avec la révision de la LPMA ?
- Autorisation du don d’ovules pour corriger l’inégalité avec le don de sperme et limiter le recours au tourisme reproductif.
- Ouverture aux couples non mariés. Le don de sperme et d’ovules serait non seulement accessible aux couples mariés, mais également aux couples non mariés qui bénéficieraient dès lors de cette réforme.
- Protection des donneuses d’ovules. Un encadrement strict du don est nécessaire pour éviter les risques liés au traitement hormonal et à la procédure de prélèvement qui n’est pas comparable au don de sperme. Il y aurait également une obligation d’informer en détail les donneuses sur les risques. Une indemnisation serait possible pour la donneuse, mais un paiement direct serait interdit. L’enfant aurait également droit à connaître ses origines grâce à la tenue d’un registre, comme pour le don de sperme.
- Suppression ou assouplissement de la limite d’embryons générés par cycle. Actuellement limité à 12 embryons par cycle, ce seuil pourrait être supprimé ou augmenté pour éviter des contraintes inutiles et réduire les coûts des traitements.
- Prolongation de la durée de conservation du sperme, des embryons et des ovules. Actuellement limitée à 10 ans, 5 ans plus prolongation de 5 ans sous conditions (15 al.1 LPMA), le Conseil fédéral envisage de prolonger cette durée pour éviter la destruction d’embryons avant la fin de la planification familiale[11].
Questions encore ouvertes
Les grandes lignes étant fixées, il reste toutefois des interrogations. Par exemple, la question de l’importation et l’exportation de sperme et d’ovules demeure en suspens. Actuellement, aucune réglementation explicite n’encadre ces pratiques. Si le don d’ovules est autorisé, il faudrait déterminer sous quelles conditions l’importation serait possible, notamment pour garantir que les ovules proviennent de pays appliquant des standards de protection des donneuses comparables à ceux de la Suisse. De plus, la question de la limite d’âge des parents mérite d’être clarifiée. Aujourd’hui, aucune restriction fixe n’existe, bien que la loi exige que les couples puissent élever l’enfant jusqu’à sa majorité. Toutefois, un don d’ovules peut techniquement permettre une grossesse après la ménopause, ce qui soulève le débat sur l’éventuelle introduction d’une limite d’âge légale. Enfin, l’aspect financier reste ouvert. L’autorisation du don d’ovules ne signifie pas automatiquement une prise en charge des coûts par l’assurance maladie obligatoire. Leur prise en charge doit, de manière générale, respecter les conditions fixées par la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal)[12]. Une des conditions concernant l’étendue de la prise en charge étant que les prestations pouvant être prises en charge doivent être efficaces, appropriées et économiques (art. 32 al.1 LAMal).
Le lien de filiation d’un enfant né moyennant don de sperme s’établit automatiquement à sa naissance avec sa mère et l’époux/se de sa mère[13]. Ni l’enfant, ni l’époux/se de la mère ne peut contester ce lien de filiation (23 LPMA). Pour ce qui est de la filiation à l’égard de la mère, elle s’établit automatiquement à la naissance de l’enfant (252 al.1 CC). Selon la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine, il faudrait réfléchir à s’aligner à l’art. 23 LPMA en prévoyant des dispositions qui empêcheraient la mère et l’enfant de contester la maternité de la mère d’un enfant né moyennant don d’ovules[14].
Le Département fédéral de l’intérieur a été chargé de rédiger un projet de loi qui sera soumis à la consultation d’ici fin 2026[15].
Conclusion
L’interdiction du don d’ovules en Suisse est aujourd’hui remise en question. Face aux évolutions sociétales et aux avancées médicales, une réforme de la LPMA est en discussion et pourrait aboutir à une légalisation sous conditions, comme pour le don de sperme. Toutefois, ce changement nécessite encore une réflexion quant à certaines interrogations que la légalisation du don d’ovules amènerait. Il reste donc à voir comment le Département fédéral de l’intérieur parviendra à concilier ces différents enjeux dans son projet de loi.
Maéva Crausaz
[1] Procréation médicalement assistée : le Conseil fédéral fixe les grandes lignes pour autoriser le don d’ovules (22.02.2025).
[2] Procréation médicalement assistée.
[3] Le don d’ovules : considérations éthiques et juridiques, p. 4.
[4] Distinction entre « le lien biologique et le lien juridique unissant l’enfant et ses parents, le premier étant un lien de fait et le second un lien de droit. » (Margot Lisa, Le droit à la connaissance des origines de l’enfant né de procréation médicalement assistée, p. 697.) Lorsque l’on parle de parentalité éclatée, il s’agit alors d’un enfant qui ne descend ni de sa mère sociale, ni de son père social.
Maternité éclatée = enfant ne descend pas de sa mère sociale. Paternité éclatée = enfant ne descend pas de son père social.
[5] FF 1996 III 248.
[6] Transnationale Reproduktive Mobilität aus der Schweiz, p. 31 & 43.
[7] Le don d’ovules : considérations éthiques et juridiques, p. 11s.
[8] Le don d’ovules : considérations éthiques et juridiques, p. 10.
[9] Projets législatifs concernant la procréation médicalement assistée (25.02.2025).
[10] Motion 21.4341, Réaliser le désir d’enfant. Légaliser le don d’ovules pour les couples mariés.
[11] Fiche d’information : Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée.
[12] Ibidem.
[13] CR CC I-Guillod, art. 255, N1.
[14] Le don d’ovules : considérations éthiques et juridiques, p. 22.
[15] Procréation médicalement assistée : le Conseil fédéral fixe les grandes lignes pour autoriser le don d’ovules (25.02.2025)
Bibliographie :
Commission de la science, de l’éducation et de la culture, Motion 21.4341, Réaliser le désir d’enfant. Légaliser le don d’ovules pour les couples mariés, 2021. Disponible à l’adresse : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20214341 (Consulté le 25.02.2025).
Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine, Le don d’ovules : considérations éthiques et juridiques, prise de position n° 41/2022, 2022. Disponible à l’adresse : https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/medizin-und-forschung/fortpflanzungsmedizin/stellungnahmen-gutachten.html (Consulté le 25.02.2025).
Conseil fédéral, Message relatif à la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA), du 26 juin 1996, FF 1996 III 197ss. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/1996/3_205_197_189/fr (Consulté le 01.03.2025).
Margot Lisa, Le droit à la connaissance des origines de l’enfant né de procréation médicalement assistée, in FamPra.ch 2017, p. 696 – 724, Berne (Stämpfli Verlag AG) 2017.
Office fédéral de la santé publique, Fiche d’information : Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée, 30 janvier 2025. Disponible à l’adresse : https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/aktuell/medienmitteilungen.msg-id-103995.html#downloads (Consulté le 28.02.2025).
Pichonnaz Pascal/Foëx Bénédict/Fountoulakis Christiana (édit.), Commentaire romand, Code civil I, 2ème éd., Bâle (Helbing Lichtenhahn Verlag) 2023, (Cité : CR CC I-Auteur-e).
Siegl Veronika, Bigler Christine, Büchler Tina, Perler Laura et Schurr Carolin, Transnationale Reproduktive Mobilität aus der Schweiz. Interdisziplinäres Zentrum für Geschlechterforschung und Geographisches Institut, Universität Bern, 2021. Rapport rédigé sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique. Disponible à l’adresse : https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/medizin-und-forschung/fortpflanzungsmedizin/stellungnahmen-gutachten.html(Consulté le 25.02.2025).