A travers les yeux du client (I)

A travers les yeux du client (I)

Il y a 7 ans, Mélanie (prénom d’emprunt)  a subi un viol. Aujourd’hui âgée de 24 ans, sa maman et elle ont accepté de nous raconter l’histoire du procès. Nous avons interrogé Mélanie sur ses premiers contacts avec ses avocats, les policiers, les juges, l’avocat de la partie adverse ainsi que les procureurs.

Il nous paraît essentiel de relater le parcours émotionnel que peut traverser une victime entre sa prise de décision de porter plainte jusqu’au moment du verdict.



Comment as-tu choisi ton avocat ?

Le premier avocat était choisi sur la base d’un conseil de ma maman, je ne pense pas qu’il était vraiment spécialisé dans le domaine dont j’avais besoin, mais il ne me l’a pas dit.

C’est à dire ? Dans le droit pénal ?

Non. Peut-être pas dans le droit pénal mais dans le sujet précis. Je ne pense pas qu’il maîtrisait vraiment la chose. Il était très vague. Puis au fur et à mesure de la procédure, il me disait qu’il fallait abaisser ma plainte ou il me disait qu’on allait se contenter d’autre chose.

Et comment s’est passé le premier rendez-vous ?

Cela s’est passé assez normalement. C’était comme parler à un psychologue. J’essayais de donner le plus de détails possibles par rapport à ce que j’avais vécu. Il m’a fait bonne impression. Il était à l’écoute, mais c’est plutôt dans la procédure qu’il était moins… actif.

Avais-tu déjà déposé plainte ?

Oui. Avant d’avoir consulté un avocat j’ai porté plainte auprès de la police à la Jonction. D’ailleurs, je déconseille de déposer une plainte pénale sans avoir vu un avocat avant évidemment.

Pourquoi évidemment ?

Car lors du dépôt de plainte, chaque mot peut laisser sous-entendre des choses qui ne nous viennent pas à l’esprit. Parfois, on dit « peut-être », « je crois », et rien que cela peut être transformé par l’avocat de la partie adverse à notre désavantage.

Comment s’est passé le dépôt de plainte ?

J’étais face à un policier qui me demandait d’expliquer les faits, d’expliquer la raison de ma plainte. J’ai dû expliquer le déroulement de tous les faits de toute la soirée ainsi que de toute la journée en détail. Il me posait des questions précises.

Comment s’est passée la procédure avec le premier avocat ?

Il y a eu un vide au début. Pendant une année, il ne s’est rien passé à cause d’un certain procureur. Le rôle de mon avocat aurait été de relancer la procédure, de me tenir au courant, chose qu’il n’a pas faite parce qu’il n’était pas vraiment intéressé. Il ne me croyait pas tellement.

Il ne croyait pas ce que tu lui racontais ?

Je pense qu’il croyait ce que je racontais mais…. Comment dire… Pour lui, ce n’était pas quelque chose de très important en fait. Pour lui, c’était juste une petite histoire qui a mal tourné. Par la suite, il a commencé à me dire, après 3 ans de procédure, qu’il fallait que je revoie ma plainte à la baisse.

Comment se sont déroulées les premières audiences avec le procureur ?

Nous étions dans une salle, le procureur, mon avocat, moi et les deux accusés accompagnés de leur avocat. Le procureur posait plus de questions à la partie adverse. Il a demandé aux accusés comment ils avaient vécu cette soirée-là. Le procureur ciblait vraiment ses questions. Pendant les audiences, mon avocat me soutenait assez. Il m’écrivait des petits mots pendant que je parlais pour me rendre attentive à ce qu’il était vraiment important de dire. Les audiences étaient assez longues. Au fur et à mesure des questions et des réponses, je sentais que le procureur se faisait ses hypothèses. Il commençait à juger de savoir s’il allait donner suite à ma plainte ou si allait classer l’affaire, parce que finalement il ne voyait pas assez d’éléments pour faire un procès.

Est-ce que tu as senti qu’il était à la limite de classer l’affaire ?

Non. Je voyais qu’il me comprenait totalement mais il essayait vraiment de comprendre le déroulement des faits.

As-tu été confrontée aux mensonges des accusés ?

Oui. Mais c’était assez flagrant parce qu’il y avait tellement de versions différentes que le procureur a même demandé de simplifier la procédure. La partie adverse devait accepter la plainte en avouant les faits et pouvait grâce à cela bénéficier d’une réduction de peine. La partie adverse était prête à accepter la procédure simplifiée, mais lorsque le procureur a envoyé la demande de simplification au tribunal, il manquait leurs aveux. Donc, ça n’a pas été accepté au tribunal. Le tribunal a d’ailleurs jugé que le dossier n’était pas complet et il a alors fallu que le procureur le reprenne.

Comment se sont passés tes premiers contacts avec les juges ?

La fille : Les juges sont un peu comme le procureur. Ils ne reviennent pas sur l’ensemble des faits mais ciblent vraiment leurs questions. Ils vont essayer de comprendre où est-ce qu’un doute peut s’installer. La maman : Au tribunal les juges ont vraiment essayé de voir qui disait vrai. Ils ont essayé de confronter les différentes versions.

Pourquoi avoir décidé de te séparer de ton premier avocat ?

Il n’était pas vraiment engagé. Je pense que la longueur particulière de la procédure l’a découragé. La maman : Il pensait que nous n’allions pas gagner. La fille : Pour lui c’était une perte de temps. Il le voyait plutôt comme cela. Je pense qu’il ne savait pas vraiment quoi apporter. Pas assez combatif.

Et comment as-tu choisi ton deuxième avocat ?

Plusieurs personnes m’ont conseillée et plusieurs fois le nom de cet avocat est revenu.

Et pourquoi avoir choisi deux hommes ?

Alors, mon professeur de droit me disait qu’il fallait que je prenne une femme et j’ai contacté une femme très connue. Mais à chaque fois que je la contactais, je n’avais pas de réponse donc je pense qu’elle était très occupée. Comme on m’a conseillé à deux reprises le deuxième avocat, j’ai fait confiance.

Sur les conseils d’amis ?

Non. J’ai demandé à mon professeur de droit au collège pour adulte et à des personnes qui ont travaillé avec lui.

D’autres avocats ?

Non. Plutôt des psychologues qui ont vu la situation. Ma psychologue le connaissait extrêmement bien. Elle lui a expliqué la situation. Également ma situation financière car je ne pouvais pas vraiment payer le tarif plein.

As-tu pu prendre contact avec lui rapidement ?

Oui. Il m’a pris tout de suite, le jour même où ma psychologue lui a parlé de moi. Il m’a appelée et m’a dit de venir l’après-midi même pour discuter.

Comment s’est passé le premier contact ?

Dès que je l’ai vu, cela m’a fait du bien. Il était très à l’écoute. Il a commencé par se présenter et m’a ensuite parlé de questions éthiques. Il m’a dit qu’il avait déjà défendu des agresseurs et que si ça me gênait, je devais le lui dire. Il me comprendrait. Il m’a expliqué que c’était un besoin professionnel que de défendre ce genre de personne. Il m’a aussi demandé très rapidement d’expliquer les faits.

Est-ce que tu l’as trouvé psychologue ?

Oui beaucoup. Il y a des choses dont je parlais et il me disait qu’il ne voulait pas savoir. Je ne sais pas pour quelle raison mais… voilà.

Donc très délicat ?

La fille : Oui.  La maman : Il nous a même demandé de ne pas venir durant une journée d’audience car il savait que cela allait être trop difficile pour nous. Il était vraiment très délicat.

Trois adjectifs qui le définissent ?

Ben… Je ne sais pas, mais je le trouvais très très bien. Je ne pense pas que j’aurais pu trouver mieux. Il avait vraiment une très belle approche psychologique.

Est-ce que le lien qui s’est créé entre vous est allé au-delà du lien professionnel ?

Alors non, c’est toujours resté très professionnel.

Donc là si tu le revoyais…

Ah, je pense qu’on serait content bien sûr, mais ça reste professionnel quand même.

Et à quel moment avez-vous abordé la question du tarif ?

Il ne m’a jamais parlé de cela et ne m’a jamais envoyé de facture.

Et quelles ont été les différences entre cet avocat et l’ancien ?

Il savait tout de suite ce qu’il fallait me demander. Il savait tout en fait.

Plus concrètement, comment s’est passée la prise en charge du dossier ?

Comme c’est un avocat avec beaucoup de grosses affaires, il déléguait une grande partie du travail à ses stagiaires.

Donc tu étais plus proche des stagiaires ?

Oui. Je parlais énormément avec les stagiaires, qui étaient d’ailleurs toutes des filles.

As-tu souvent revu après ton avocat après le premier rendez-vous ?

Juste une fois avant d’aller au tribunal. A ce moment-là, il m’a préparé aux questions de la partie adverse. Il m’a indiqué les points sur lesquels ils allaient appuyer. Il m’a poussée à bout pour voir comment j’allais réagir.

Poussée à bout ?

Il allait vraiment au fond des choses. Il était gênant, très cru et….  La maman : Limite agressif. La fille : Voilà. Il me montrait jusqu’où cela pouvait aller.

Il jouait un rôle à ce moment-là ?

Non. C’était toujours lui, mais les questions qu’il posait étaient vraiment incisives. C’est là que j’ai pu me rendre compte de ce qui pouvait ne pas paraître très clair pour les juges.


A suivre…

Mattéo DÉTRAZ

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