ChatGPT et la propriété intellectuelle en droit suisse

ChatGPT et la propriété intellectuelle en droit suisse

L’utilisation de ChatGPT est au cœur de nombreux questionnements, notamment dans les milieux scolaires et estudiantins, en ce qui concerne sa validité, son efficacité ainsi que sa légitimité. Dans cet article, nous abordons deux aspects primordiaux de l’utilisation du ChatGPT dans le milieu scolaire : le droit d’auteur intervient-il dans cette utilisation ? Cette dernière est-elle punissable du point de vue du plagiat ?

En plus de répondre aux questions susmentionnées, il est également intéressant d’ouvrir la réflexion autour du débat dans lequel certains s’interrogent sur la manière d’utiliser l’IA plutôt que de l’interdire, ainsi que les domaines touchés par l’IA.



1. ChatGPT

Tout d’abord, il est important de comprendre le contexte dans lequel s’inscrivent toutes ces questions. C’est pourquoi nous devons définir ce qu’est ChatGPT. ChatGPT est une intelligence artificielle (ci-après IA) « générative capable de rédiger des dissertations, indiscernables de celles écrites par un humain »[1]. Cette IA a été créée par OpenAI, une société américaine spécialisée dans l’IA. Il s’agit d’un modèle de langage, autrement dit, c’est un outil conversationnel qui répond à son interlocuteur sous forme de messages écrits cohérents à l’aide d’une simple demande écrite[2]. Elle est dite « faible » puisqu’elle ne fonctionne que par la probabilité du mot suivant, elle n’a pas de conscience de sa propre existence ni d’affects[3]. Le fonctionnement de ChatGPT consiste à lui poser des questions par écrit, ce à quoi elle répond soit par des phrases construites, soit par des textes qu’elle génère notamment en imitant divers styles littéraires. Elle peut également résoudre des problèmes mathématiques, corriger et simplifier un texte. Elle se base sur le deep learning, elle est capable d’apprendre et « mime la faculté de conceptualisation propre à l’humain et qui fait que nous sommes capables de distinguer un chat, d’un chien »[4].

2. LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE EN DROIT SUISSE

La propriété intellectuelle en droit suisse regroupe en réalité diverses propriétés intellectuelles attribuées selon le domaine protégé. Nous retrouvons alors les brevets d’inventions, les marques et les designs ainsi que le droit d’auteur et les droits voisins. La propriété intellectuelle protège les biens immatériels afin d’empêcher une appropriation abusive de l’œuvre par un tiers. Elle trouve sa source de protection dans plusieurs traités nationaux, bien que cette dernière reste territoriale. En droit suisse, les lois fédérales comme la loi fédérale sur les brevets d’invention (LBI), la loi fédérale sur la protection des marques et indications de provenance (LPM), la loi fédérale sur la protection des designs (LDes) et la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (LDA) en sont le fondement[5].

Dans notre champ de réflexion, le droit qui nous intéresse le plus et qui est au cœur des débats, est le droit d’auteur. Sa protection légale s’applique aux œuvres. Ainsi, pour qu’une œuvre soit protégée, il faut que cette dernière remplisse les critères fixés à l’art. 2 al. 1 LDA ; « elle doit être une création de l’esprit, avoir un caractère individuel et être une œuvre littéraire ou artistique »[6]. Pour appréhender une œuvre, il est important d’avoir en tête que la protection ne s’applique pas en fonction de la valeur ou de la qualité de l’œuvre ; il faut comprendre les termes de littérature et d’art au sens large. De plus, le but des œuvres n’a aucune pertinence en la matière. On retrouve dans la LDA aux art. 2 al. 2-4, une liste non exhaustive d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Par ailleurs, les œuvres dites dérivées sont également protégées et sont réglementées par l’art. 3 LDA, il s’agit d’une œuvre « conçue à partir d’une ou de plusieurs œuvres préexistantes »[7].

Un principe essentiel du droit d’auteur est que l’œuvre doit être exprimée, autrement dit ce n’est pas l’idée qui est protégée mais sa concrétisation. En d’autres termes, « l’expression concrète est l’objet de la protection, et non l’idée en soi »[8]. De plus, la protection est automatique, aucune formalité n’est requise. Cependant, elle connaît une limite dans le temps qui est de 70 ans après le décès de l’auteur (29-30 LDA)[9].

Il est par ailleurs important de préciser dans ce contexte que l’auteur ne peut être compris que comme la personne physique qui a créé l’oeuvre (art. 6 LDA). L’auteur peut bien entendu céder ses droits ou avoir des co-auteurs, mais il doit toujours s’agir de la personne « qui attribue une forme à une démarche artistique »[10] et remplir les critères de l’art. 2 al. 1 LDA. Ainsi, le titulaire a le droit de disposer librement de son œuvre et se voit attribuer le droit moral (reconnaissance, divulgation et respect de l’intégrité) et les droits patrimoniaux (avantages économiques de son utilisation)[11].

En dehors de la libre utilisation d’une œuvre protégée à un cercle restreint/privé (cf art. 19 LDA), celle-ci tombe dans le domaine public un fois la durée de protection échue, ce qui implique qu’elle peut être utilisée par tout un chacun[12].

3. LES RISQUES ET LES CONSÉQUENCES

Alors, quel est le lien entre le contenu créé par l’IA et le droit d’auteur ? Comme définit, l’auteur ne peut être qu’une personne physique ; autrement dit tout contenu produit par une IA n’est pas protégé par le droit d’auteur et est donc librement utilisable par tout un chacun. Cependant, le logiciel qui définit l’IA est protégé par le droit d’auteur. Ce dernier ne permet pas d’attribuer la création de l’IA au créateur du logiciel. Autrement dit, ce dernier n’obtient donc pas de droit d’auteur sur l’œuvre créée par l’IA. Cependant, si l’humain travaille en parallèle avec l’IA et que l’activité principale de création revient à l’humain, le logiciel étant un instrument, l’œuvre créée est protégée[13]. En revanche, et c’est là qu’il faut faire attention, ChatGPT peut, dans les textes qu’il produit, reprendre des contenus protégés par le droit d’auteur[14]. Il est alors important de s’assurer que le contenu utilisé n’est pas du contenu protégé.

Dans les milieux scolaires et estudiantins, qu’en est-il de l’utilisation du ChatGPT lors de la rédaction d’une dissertation ou d’un travail de Bachelor/Master ? Au vu de l’intérêt que suscite récemment ChatGPT, il n’est pas anodin d’entendre dire que des étudiants se sont aidés de l’IA pour rédiger tel ou tel devoir. Mais est-ce qu’une telle pratique peut entraîner l’invalidation du devoir en question, puisqu’il implique l’utilisation de l’IA ?

La réponse, du point de vue du droit d’auteur, est de s’assurer que le contenu utilisé pour générer la réponse de ChatGPT n’est pas du droit protégé par le droit d’auteur, pour qu’aucune violation ne soit reprochée à l’étudiant. Il semblerait, a priori, que ce soit la seule préoccupation suite à la réflexion menée ci-dessus. En revanche, ajoutons à notre réflexion l’aspect du plagiat. Le plagiat est un problème de citation irrégulière au sens de l’art. 25 LDA. Bien que le plagiat trouve son fondement dans la LDA, il importe peu que l’œuvre soit du domaine public ou non. Autrement dit, il est nécessaire de citer ChatGPT. Or l’on peut se questionner sur la réelle fiabilité de cette source[15]. Il existe différents types de plagiat ; pour les éviter il est important de traduire, citer régulièrement et reformuler. Les sanctions en cas de plagiat sont réglementées à l’art. 68 LDA, l’individu s’expose à une amende[16].

De plus, dans des travaux universitaires, il est généralement exigé une déclaration de non-plagiat, comme celle de l’Université de Genève[17], qui contient en son deuxième paragraphe l’élément : « rédigé de manière autonome ». Autrement dit, cette déclaration exclut l’aide à la rédaction de ChatGPT.

Cependant, la question est de savoir comment reconnaître une telle utilisation et la différencier du travail effectué par l’étudiant. Cette question reste ouverte. Bien que la société OpenAI ait sorti un outil capable de détecter l’utilisation de cette IA dans la rédaction d’un texte, celui-ci peut manquer de précisions[18]. Une autre option, pour éviter tout soupçon, serait alors de retourner aux épreuves écrites à la main en interdisant tout ordinateur[19]. Cependant, cette interrogation mène à aborder la question sous un autre angle. D’autres pensent qu’il serait plus judicieux d’avertir et de renseigner les personnes, ainsi que les étudiants, à utiliser l’IA de manière conforme et pertinente dans les réponses produites et sur la responsabilité pour les usages menés[20].

4. CONCLUSION

En conclusion, après avoir passé en revue en quoi consiste largement le droit d’auteur et ce qu’est ChatGPT, nous parvenons à la conclusion que l’utilisation telle quelle de cette IA soulève des questions auxquelles il est difficile de donner une réponse claire et précise, mais autour desquelles on peut évoluer et rendre attentif l’utilisateur de ChatGPT. Le tout, dans un travail de rédaction exigé en milieu estudiantin, est de s’assurer de la fiabilité de ses sources, de son mode de citation régulier et, bien entendu, de rédiger son travail soi-même pour éviter tout soupçon de plagiat.

Cependant, il est bon de relever que l’utilisation de cette IA se trouve au cœur de nombreux autres domaines, et que la rédaction en soi d’un document à l’aide d’une IA, parce qu’on connaît, par exemple, une certaine difficulté en orthographe, ne diffère pas grandement de l’aide sollicitée auprès d’un tiers[21]. De plus, ces questions se posent également lors d’une rédaction de lettre motivation, de CV ou encore d’une rédaction de plaidoirie ou d’une décision de justice, à l’aide de l’IA[22].

Elodie Pérotin


[1] https://www.bilan.ch/story/lutilisation-de-chatgtp-par-les-etudiants-inquiete-les-enseignants-817223178542 (consulté le 18.03.2023)

[2] https://www.numerama.com/sciences/1200230-cest-quoi-chatgpt-on-a-laisse-chatgpt-repondre-a-la-question.html (consulté le 18.03.2023)

[3] https://www.radiolac.ch/actualite/suisse/chat-gpt-la-i-qui-interroge-les-specialistes/ Interview de Nicolas CAPT, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies au barreau de Genève, 0min15-0min23 (consulté le 18.03.2023)

[4] https://www.bilan.ch/story/lutilisation-de-chatgtp-par-les-etudiants-inquiete-les-enseignants-817223178542 (consulté le 18.03.2023)

[5] http://www.ma-societe.ch/fr/tout-sur-les-societes/propriete-intellectuelle.html#:~:text=La%20propri%C3%A9t%C3%A9%20intellectuelle%20vise%20%C3%A0,l’approprier%20de%20mani%C3%A8re%20abusive(consulté le 18.03.2023)

[6] https://ssa.ch/fr/portrait/le-droit-d-auteur/ (consulté le 18.03.2023)

[7] Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins art. 3 (RS 231.1) en vigueur depuis le 1er juillet 1993

[8] https://ssa.ch/fr/portrait/le-droit-d-auteur/ (consulté le 18.03.2023)

[9] Idem (consulté le 18.03.2023)

[10] Idem (consulté le 18.03.2023)

[11] Idem (consulté le 18.03.2023)

[12] Idem (consulté le 18.03.2023)

[13] https://www.lextechinstitute.ch/quelle-protection-pour-les-creations-de-lia/#:~:text=En%20droit%20suisse%2C%20la%20situation,d’apr%C3%A8s%20l’art ; https://francoischarlet.ch/2017/intelligence-artificielle-auteure-oeuvre/ (consulté le 18.03.2023)

[14] https://www.ige.ch/fr/blog/articles-du-blog/kuenstliche-intelligenz-koennen-ki-tools-urheberrecht-verletzen (consulté le 18.03.2023)

[15] https://www.bilan.ch/story/lutilisation-de-chatgtp-par-les-etudiants-inquiete-les-enseignants-817223178542 (consulté le 18.03.2023)

[16] https://libguides.graduateinstitute.ch/droit-dauteur/plagiat (consulté le 18.03.2023)

[17] https://www.unige.ch/fti/files/3014/6192/5552/non-plagiat.pdf (consulté le 18.03.2023)

[18] https://www.numerama.com/sciences/1200230-cest-quoi-chatgpt-on-a-laisse-chatgpt-repondre-a-la-question.html (consulté le 18.03.2023)

[19] https://www.radiolac.ch/actualite/suisse/chat-gpt-la-i-qui-interroge-les-specialistes/ Interview de Nicolas CAPT, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies au barreau de Genève, 1min49 à 2min12 (consulté le 18.03.2023)

[20] https://www.letemps.ch/economie/chatgpt-un-utilisateur-averti-vaut-deux (consulté le 18.03.2023)

[21] https://www.radiolac.ch/actualite/suisse/chat-gpt-la-i-qui-interroge-les-specialistes/ Interview de Nicolas CAPT, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies au barreau de Genève, 3min04-3min28 (consulté le 18.03.2023)

[22] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/esprit-de-justice/l-impact-du-chatgpt-sur-la-justice-et-sur-nos-vies-3012762 (consulté le 18.03.2023)


Bibliographie :

Loi fédérale :

Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins art. 3 (RS 231.1) en vigueur depuis le 1er juillet 1993

Sites internet :

http://www.ma-societe.ch/fr/tout-sur-les-societes/propriete-intellectuelle.html#:~:text=La%20propri%C3%A9t%C3%A9%20intellectuelle%20vise%20%C3%A0,l’approprier%20de%20mani%C3%A8re%20abusive(consulté le 18.03.2023)

https://libguides.graduateinstitute.ch/droit-dauteur/plagiat (consulté le 18.03.2023)

https://ssa.ch/fr/portrait/le-droit-d-auteur/ (consulté le 18.03.2023)

https://www.bilan.ch/story/lutilisation-de-chatgtp-par-les-etudiants-inquiete-les-enseignants-817223178542 (consulté le 18.03.2023)

https://www.ige.ch/fr/blog/articles-du-blog/kuenstliche-intelligenz-koennen-ki-tools-urheberrecht-verletzen (consulté le 18.03.2023)

https://www.letemps.ch/economie/chatgpt-un-utilisateur-averti-vaut-deux (consulté le 18.03.2023)

https://www.lextechinstitute.ch/quelle-protection-pour-les-creations-de-lia/#:~:text=En%20droit%20suisse%2C%20la%20situation,d’apr%C3%A8s%20l’art ; https://francoischarlet.ch/2017/intelligence-artificielle-auteure-oeuvre/ (consulté le 18.03.2023)

https://www.numerama.com/sciences/1200230-cest-quoi-chatgpt-on-a-laisse-chatgpt-repondre-a-la-question.html(consulté le 18.03.2023)

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/esprit-de-justice/l-impact-du-chatgpt-sur-la-justice-et-sur-nos-vies-3012762 (consulté le 18.03.2023)

https://www.radiolac.ch/actualite/suisse/chat-gpt-la-i-qui-interroge-les-specialistes/ Interview de Nicolas CAPT, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies au barreau de Genève (consulté le 18.03.2023)


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