KlimaSeniorinnen : Ces personnages de roman qui incarnent le militantisme climatique suisse sur la scène internationale

KlimaSeniorinnen : Ces personnages de roman qui incarnent le militantisme climatique suisse sur la scène internationale

Ce cliché ne provient pas d’une scène du tournage du film Goliath, mais bien de l’audience qui a eu lieu le 31 mars dernier à la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg.  Anne Mahrer, au centre de la photo, a septante et quelques printemps et fait partie de l’association “Ainées pour la protection du climat” ou “KlimaSeniorinnen” en allemand. Depuis 2016, elles se battent pour que la Confédération effectue de réels changements dans sa politique de l’environnement, sans imaginer qu’elles entreraient dans l’histoire. 



LES AÎNÉES ET LA JUSTICE CLIMATIQUE

Ces doyennes de l’activisme suisse qui avaient pour seule ambition d’alerter le gouvernement suisse des conséquences des changements climatiques, et plus particulièrement des canicules qui ont un réel impact sur la vie des personnes âgées, se sont senties immédiatement légitimes à exiger que les femmes et les hommes politiques en exercice répondent de leur inaction. Elles ont pour but de mettre la Suisse face à ses responsabilités en ce qui concerne les objectifs climatiques fixés, conformes au droit international.  Selon elles, “elle a échoué dans son objectif de réduire les émissions nationales de gaz à effet de serre de 20% jusqu’à 2020. Et avec le NON à la loi sur le CO2 en juin 2021, la Suisse n’a pas d’objectif climatique national au-delà de 2021.”[1]

C’est en été 2016, durant la canicule qui battait, à l’époque, de nombreux records en matière de température maximale enregistrée depuis le 19ème siècle, qu’elles créent leur association et se mettent rapidement à la rédaction d’une première requête qu’elles déposent  au Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC). Ce n’est que quelques mois plus tard qu’elles reçoivent une réponse décevante de leur part, qui ne souhaite pas donner suite à leur requête.

Un mois plus tard, en mai 2017, les aînées pour le climat décident de faire appel au Tribunal administratif fédéral au bout du lac de Zürich. La déception est à nouveau au rendez-vous en décembre de la même année lorsque le même Tribunal, à Saint-Gall, décide de ne pas donner raison aux plaignantes. 

Résolues à ne pas abandonner, les KlimaSeniorinnen font appel en 2018 au Tribunal fédéral de Lausanne, qui va également les éconduire près d’un an et demi plus tard. 

Alors que la pandémie du coronavirus n’a fait que renforcer leurs convictions relatives au danger sanitaire que représente la crise environnementale et climatique, elles annoncent puis remettent en 2020 un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Contre toute attente, c’est réellement cette ténacité qui leur donnera enfin raison. En 2021, l’affaire prend un tournant puisque la CEDH répond présent et positivement à leur requête en promettant que l’affaire sera traitée de façon prioritaire. C’est en 2022, qu’elle tient promesse, puisque la requête des plaignantes est confiée à la Grande Chambre de la Cour, qui n’est sollicitée que pour des affaires particulièrement délicates et de grande ampleur. 

UNE JURISPRUDENCE NAISSANTE À LA CEDH ?

Si l’historique de l’affaire est familier à certain.e.s, la suite des événements reste encore flou. En effet, c’est une vraie première dans l’Histoire que la Cour traite d’un cas relatif au réchauffement climatique et à sa corrélation avec les droits humains fondamentaux. La Cour a mobilisé dix-sept juges, qui ont entendu les plaignantes ainsi que leurs avocat.e.s. 

Alors que la France (pour ne citer qu’elle) a déjà été récemment condamnée pour inaction climatique, lors de l’affaire du siècle par un tribunal national, les KlimaSeniorinnen et tous leurs soutiens ont pour espoir que leur affaire fasse jurisprudence dans les tribunaux européens. En effet, deux autres cas portant sur l’inaction climatique des Etats seront également jugés par la Grande Chambre de la cour, l’un français, l’autre portugais. Toutes les autres affaires ont été suspendues en attendant ces premiers arrêts qui feront jurisprudence dans les Etats du Conseil de l’Europe en la matière.

LE GOUVERNEMENT SUISSE A-T-IL UNE CHANCE DE S’EN SORTIR ?

Alors qu’il dénonce une judiciarisation qui ne peut que “créer des tensions sous l’angle de la séparation des pouvoirs et risque de court-circuiter le débat démocratique[2], le gouvernement est ferme sur sa position: il n’y a aucune violation de le Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992 et il y a “défaut manifeste de fondement”. Dans la lettre de quarante-huit pages adressée à la Cour, l’Office fédéral de la justice (OFJ) qui représente la Suisse devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, admet l’urgence de la lutte contre le réchauffement climatique, mais estime que cela ne peut être du ressort que d’un seul gouvernement faisant cavalier seul. De plus, il expose que des mesures de prévention sont prises par les cantons chaque année pour protéger au maximum les personnes vulnérables, lors des grosses canicules. 

A première vue, le gouvernement suisse a toutes ses chances de convaincre la Cour sur le fond de la poursuite. En revanche, il n’est en aucun cas exclu que les juges ne soient pas sensibles à l’échec notable de la Suisse concernant ses objectifs en matière de réduction des gaz à effets de serre, d’autant plus après la publication récente du dernier rapport du GIEC, sur l’importance cruciale d’une baisse drastique de ces émissions.

Selon l’un des avocats des plaignantes “La Suisse n’a aucune excuse. Si un pays aussi riche et technologiquement avancé ne fait pas sa part, quel espoir avons-nous que d’autres réussissent à répondre au défi auquel nous faisons face?[3]

Alors que l’argumentaire du gouvernement ne repose assez manifestement que sur des faits politiques et non pas juridiques, la Cour analysera les considérations de chacune des parties et rendra son verdict dans quelques mois. 

UNE VICTOIRE TOUT DE MÊME ?

Il faudrait le demander directement aux plaignantes. Cependant, on peut souligner le courage et la ténacité de ses 2000 femmes qui se battent depuis 2016 pour une justice climatique juste et protectrice des individus et de l’environnement. Anne Mahrer, Rosmarie Wydler-Wälti, Pia Hollenstein, Rita Schirmer-Braun, Oda  Müller, Jutta Steiner, Elisabeth Stern, Norma Bargetzi-Horisberger, Stefanie Brander, Heidi Witzig, Christiane Brunner, Elisabeth Joris, pour n’en citer qu’une partie infime, auront définitivement écrit l’histoire en se battant jusqu’à Strasbourg pour une cause qui leur est chère.

Jasmina Widmer


[1] https://ainees-climat.ch/notre-action-en-justice/

[2] https://www.klimaseniorinnen.ch/wp-content/uploads/2023/02/53600_20_GC_OBS_GVT_SUI_05_12_22.pdf

[3] https://lecourrier.ch/2023/03/29/ainees-entendues/


Sources internet:

https://www.illustre.ch/magazine/ces-combattantes-suisses-qui-se-battent-pour-le-climat-a-strasbourg-590180, Alessia Barbezat, Ces combattantes suisses qui se battent pour le climat à Strasbourg,  dernière consultation le 11 avril 2022

https://ainees-climat.ch, Aînées pour la protection du climat Suisse, dernière consultation le 12 avril 2022

https://www.rts.ch/info/suisse/13902440-les-ainees-pour-le-climat-plaident-devant-la-cedh-contre-la-suisse.html RTS, Les Aînées pour le climat plaident devant la CEDH contre la Suisse, dernière consultation le 10 avril 2022

https://www.letemps.ch/opinions/cedh-gouvernement-suisse-bricole-climat, Laurence Martin,  Jean-Yves Pidoux, A la CEDH, le gouvernement suisse bricole avec le climat, dernière consultation le 12 avril 2022

https://www.arcinfo.ch/suisse/climat-plainte-contre-la-suisse-pour-non-respect-des-droits-humains-examinee-fin-mars-a-la-cedh-1269504, KEYSTONE – ATS, Climat: plainte contre la Suisse pour non-respect des droits humains examinée fin mars à la CEDH, dernière consultation le 12 avril 2022

https://lecourrier.ch/2023/03/29/ainees-entendues/, Sophie Dupont, Les Aînées entendues à Strasbourg, dernière consultation le 12 avril 2022

Convention: 

https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1994/1052_1052_1052/fr, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, RO 1994 1052, entrée en vigueur pour la Suisse le 21 mars 1994

Image:

https://www.illustre.ch/magazine/ces-combattantes-suisses-qui-se-battent-pour-le-climat-a-strasbourg-590180 , David Wagnières, l’Illustré, dernière consultation le 15 avril 2022 


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