La cyberpédocriminalité, un fléau grandissant

La cyberpédocriminalité, un fléau grandissant

La cyberpédocriminalité n’est pas un fait nouveau, cependant elle connaît une croissance favorisée par plusieurs facteurs technologiques et par l’importance, toujours plus accrue, des réseaux sociaux. Il est important d’en parler, de mettre la lumière sur ces phénomènes, malgré la gêne que cela peut susciter, puisqu’il est important de rappeler que la violence exercée contre les enfants est réelle, qu’elle soit physique ou virtuelle[1].

Nous passerons en revue les diverses formes de cyberpédocriminalité qui peuvent exister, tout en nous concentrant particulièrement sur la pratique du live streaming et l’incrimination de ce dernier.

Cet article n’a pas vocation à détailler la criminalisation exacte et exhaustive des actes portant atteinte à l’intégrité physique et morale des enfants, mais il a pour but de prévenir et dénoncer ces infractions, ainsi que de mettre en lumière les dispositions pénales du droit suisse sous lesquelles ces faits peuvent tomber.



1. FORMES DE CYBERPÉDOCRIMINALITÉ

Tout d’abord, une petite précision concernant le vocabulaire employé est nécessaire. Il faut clarifier la distinction entre les termes pédophile et pédocriminel. Le premier concerne les personnes qui « se sentent exclusivement attirées sexuellement par des enfants »[2], il s’agit d’un diagnostic psychiatrique. Le pédocriminel est celui qui a commis une infraction comportant un abus ou une exploitation sexuelle de l’enfant[3]. Bien qu’il soit possible que les deux termes se confondent en une seule et même personne, nous faisons le choix d’utiliser les termes de pédocriminel et (cyber)pédocriminalité, notamment pour effacer tout signe d’affection que l’on peut retrouver dans le terme pédophilie, qui ne reflète pas la réalité[4].

Ainsi, la cyberpédocriminalité peut prendre diverses formes, tout aussi graves les unes que les autres dans l’atteinte à la dignité de l’enfant et son développement sexuel. On peut alors dénoncer les pratiques telles que le cyber grooming, la sextorsion et les situations de pornographie enfantine.

Le cyber grooming, entendu au sens strict, selon la Convention de Lanzarote[5], est le fait de proposer intentionnellement une rencontre à un enfant dans le but de commettre une infraction établie à son encontre (actes d’ordre sexuel ou pornographie enfantine) par le biais des technologies de communication et d’information[6]. Au sens large, la notion comprend également « toutes les étapes antérieures à la rencontre »[7] (manipulation, mise en confiance) sans que la condition de la rencontre soit remplie[8].

La sextorsion regroupe trois scénarios qui ont tous en commun de menacer la victime mineure de la diffusion de matériel sexuel la mettant en scène. Ce qui les distingue est la contrepartie réclamée en échange de la non-diffusion du matériel en question. Le premier scénario implique une contrepartie monétaire, l’auteur réclamant une somme d’argent. Le deuxième implique la réclamation d’autres images et, finalement, le troisième scénario est un mélange des deux précédents : une contrepartie à la fois monétaire et impliquant la réclamation de nouvelles images. La distinction des scénarios est nécessaire puisqu’ils font appel à des normes pénales d’incrimination distinctes[9].

La pornographie enfantine concerne la production, la distribution, la possession et la consommation de matériel pédopornographique, ou le recrutement d’un mineur à de telles fins. En droit suisse, une distinction est faite entre la pornographie douce et la pornographie dure : la pornographie dure est illicite en toute situation tandis que la pornographie douce, quant à elle, est illicite si « elle est exposée à un mineur de moins de 16 ans ou en public, ou lorsqu’elle est offerte à une personne sans y avoir été invité »[10].

2. LA DÉNONCIATION DU LIVE STREAMING

Une quatrième forme de cyberpédocriminalité prend de plus en plus de place et mérite une dénonciation plus particulière tant la pratique en est aberrante. Le live streaming connaît un essor inquiétant, dû notamment à la crise Covid ayant aggravé les violences intrafamiliales et ayant empêché les voyages pédocriminels. De plus, l’infraction a également été favorisée par « la banalisation de l’Internet et des smartphones »[11].

Mais en quoi consiste le live streaming ? Il s’agit de produire, à des fins de commercialisation, des vidéos en direct, comportant des violences sexuelles sur des enfants. Les actes d’ordre sexuel peuvent être commis soit par un adulte sur un enfant, soit par un enfant sur lui-même. Les spécificités sordides de cette pratique, dans la plupart des cas, sont qu’il s’agit non seulement de parents qui font subir ces actes à leurs enfants mais que, de plus, la personne qui passe la commande de la vidéo peut indiquer quelles violences il souhaite voir. Par ailleurs, la commande de ces vidéos peut tout autant se faire sur le darkweb[12] que sur des sites légaux[13]. Une autre dimension catastrophique de ce phénomène est son aspect international : « les commanditaires […] appartiennent à toutes les classes sociales »[14], tandis que les victimes sont généralement issues de milieux pauvres et étrangers[15]. Ainsi, bien que le phénomène ait premièrement été sanctionné il y a de cela quelques années, il continue à augmenter et reste difficilement détectable. De plus, l’identification des victimes est complexe[16].

3. INCRIMINATION EN DROIT SUISSE

Sur le plan pénal en droit suisse, l’incrimination de ces actes se fait par plusieurs dispositions contenues principalement au cinquième titre du Code pénal (ci-après CP) intitulé : « Infractions contre l’intégrité sexuelle ». Par souci de clarté et par besoin de se contenir au sujet principal de cet article, qui est le live streaming, seule l’incrimination de ce dernier état de fait sera exposée ci-dessous.

La pratique du live streaming tombe sous le coup de l’art. 187 al. 1 CP. Selon cette disposition, il s’agit d’actes d’ordre sexuel avec des enfants ; ainsi commettre un acte d’ordre sexuel sur un enfant, l’inciter à le commettre ou l’y mêler peut être puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Par ailleurs, que les actes soient commis par un adulte ou par l’enfant lui-même, l’art. 187 al. 1 CP trouve tout de même application.

De plus, ces faits peuvent également correspondre à l’art. 197 al. 3 CP. Il s’agit « d’une incitation à participer à une représentation pornographique »[17] et est passible, toujours selon l’art. 197 al. 3 CP, d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Cependant, dès qu’il y a un contact physique entre l’auteur et la victime, l’art. 187 CP prime[18].

L’aspect de la contrepartie financière fait tomber les faits sous le coup de l’art. 196 CP, actes d’ordre sexuel avec des mineurs contre rémunération, passible d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Cette disposition s’applique simultanément avec l’art. 187 CP[19].

Enfin, la personne qui commande ces horribles vidéos pourrait être considérée comme instigateur ou auteur médiat des infractions citées[20].

En conclusion, comme cela a été constaté à la fois en Allemagne et en Suisse[21] ainsi qu’en France[22], le phénomène est en augmentation et ne se limite pas aux frontières géographiques. Il semblerait par ailleurs que le système légal mis en place ne soit pas satisfaisant, comme le soulignent les Revendications de Protection de l’enfance Suisse[23].

Somme toute, ces infractions sont d’une grande gravité et ont de lourdes conséquences sur le développement sexuel d’un enfant, il est donc important d’en parler afin de prévenir ce phénomène, et d’agir pour lutter contre lui.

Elodie Pérotin


[1] Protection de l’enfance, protection contre la violence sexuelle sur Internet p.6

[2] https://www.skppsc.ch/fr/sujets/abus-sexuel/abus-sexuels-sur-des-enfants/

[3] https://www.parents.fr/enfant/education-et-vie-sociale/nouvelles-technologies/cyberpedocriminalite-comment-proteger-nos-enfants-et-bien-agir-numeriquement-964407

[4] https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/affaire-gabriel-matzneff/pourquoi-vaut-il-mieux-parler-de-pedocriminalite-plutot-que-de-pedophilie_3778825.html

[5] Convention du Conseil de l’Europe portant sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, ratifiée par la Suisse.

[6] Caneppele, Protection des mineurs face aux cyber-délits sexuels p.12

[7] idem p.12

[8] idem p.13

[9] idem pp.16-17

[10] idem p.11

[11] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/11/viols-d-enfants-en-ligne-la-myopie-francaise_6165071_3232.html

[12] « Le dark web, aussi appelé web clandestin1 ou encore web caché1, est le contenu de réseaux superposés qui utilisent l’internet public, mais qui sont seulement accessibles via des logiciels, des configurations ou des protocoles spécifiques ». : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dark_web

[13] https://www.bfmtv.com/police-justice/pedocriminalite-l-inquietant-essor-des-commandes-de-viols-d-enfants-en-direct-sur-internet_AV-202206230346.html

[14] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/11/viols-d-enfants-en-ligne-la-myopie-francaise_6165071_3232.html

[15] https://www.bfmtv.com/police-justice/pedocriminalite-l-inquietant-essor-des-commandes-de-viols-d-enfants-en-direct-sur-internet_AV-202206230346.html

[16] https://www.bfmtv.com/police-justice/pedocriminalite-l-inquietant-essor-des-commandes-de-viols-d-enfants-en-direct-sur-internet_AV-202206230346.html

[17] Caneppele, Protection des mineurs face aux cyber-délits sexuels p.18

[18] Idem p.18

[19] Idem p.18

[20] Idem p.18

[21] Protection de l’enfance, protection contre la violence sexuelle sur Internet pp.2-5

[22] https://www.bfmtv.com/police-justice/pedocriminalite-l-inquietant-essor-des-commandes-de-viols-d-enfants-en-direct-sur-internet_AV-202206230346.html

[23] Protection de l’enfance, protection contre la violence sexuelle sur Internet chap. 4 p. 13


Bibliographie

Protection de l’enfance Suisse, La protection des enfants contre la violence sexuelle sur Internet-prise de position sur la situation en Suisse, Bern, 2022 (cité : Protection de l’enfance, protection contre la violence sexuelle sur Internet).

Stefano Caneppele/Christine Burkhardt/Amandine Da Silva/Lachlan Jaccoud/Fabian Muhly/Sandra Ribeiro, Mesures de protection des enfants et des jeunes face aux cyber-délits sexuels, Etude sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociale, Lausanne, 2022 (cité : Caneppele, Protection des mineurs face aux cyber-délits sexuels).

Sites internet (tous dernièrement consultés le 29 avril 2023) :


Source image : https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femme-serieux-coder-femelle-5473956/


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