Palais Bourbon, 16 mars 2023. Sous les huées de membres de l’Assemblée nationale, la Première ministre Elisabeth Borne déclenche l’article 49.3, engageant ainsi la responsabilité de son gouvernement sur l’ensemble du projet de réforme des retraites. Depuis, de nombreuses voix s’élèvent, affirmant que le recours à cet article est un déni de démocratie. Or, est-ce réellement le cas ?
Depuis le 19 janvier 2023, des milliers de Français manifestent contre un projet de réforme qui, entre autres, ferait reculer l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Cette réforme, initiée par le gouvernement, a notamment pour objectif de faire face à une dégradation des caisses de retraites, ainsi qu’au vieillissement général de la population[1]. Or, si les personnes à l’origine de ce projet pensaient que deux petites années de plus passeraient facilement inaperçues – après tout, la France est l’un des pays européens où l’âge légal de départ à la retraite est le plus bas – elles se sont lourdement trompées : les grèves s’enchaînent, et il se passe difficilement une journée sans que la colère des citoyens français ne fasse les gros titres dans la presse ou les choux gras des réseaux sociaux.
La colère est encore montée de plusieurs crans durant le mois de mars. En effet, jusqu’alors, les opposants pouvaient se permettre d’espérer : après l’échec des élections législatives, le gouvernement d’Emmanuel Macron, dépourvu de majorité absolue, se trouve en position d’infériorité à l’Assemblée nationale. Il y avait donc de fortes chances que le projet de réforme soit rejeté. Si cette histoire était une partie de Uno, les ténors de l’opposition siégeant à l’Assemblée auraient pu crier UNO et se préparer à abattre leur dernière carte en se frottant les mains. La partie est finie, on ne touche pas aux retraites. Sauf que…
Sauf que, au Uno, l’adversaire peut, parfois, sortir la (terrible) carte « +4 ». Sauf que, dans la « vraie vie », il y a le fameux article 49.3, qui a permis à la Première ministre de faire passer le projet de réforme sans avoir à le soumettre au vote de l’Assemblée nationale. La bataille autour des retraites est donc loin d’être terminée.
L’ARTICLE 49.3 EN QUESTION
Mais quel est donc cet article 49.3 de la Constitution française dont on entend tant parler ? Instauré en 1958, cet article prévoit que :
Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues […]. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session.[2]
Cette procédure a été, dès l’origine, inscrite afin d’éviter des blocages à l’Assemblée. En effet, pour gagner du temps et empêcher les votes, certains députés n’hésitent pas à multiplier les amendements, jouant sur des détails infimes comme sur les mots, comme l’explique Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel :
[…] au lieu de débattre, on stoppe la discussion, on obstrue, on dépose des amendements pour changer un adverbe par un autre… Ce ne sont pas des amendements qui conduisent à une vraie discussion […].[3]
Dominique Rousseau ajoute que cet article permet de « mettre les députés devant leurs responsabilités », sans leur enlever de pouvoir mais en leur laissant la possibilité de renverser le gouvernement « si leur bataille n’est pas politicienne mais politique ».[4]
Si l’article 49.3 permet de passer « par-dessus » l’Assemblée nationale, cela ne signifie pas que le projet de loi entrera automatiquement en vigueur. En effet, comme écrit dans la Constitution, les opposants ont vingt-quatre heures pour déposer une motion de censure. En cas de succès de cette dernière, le gouvernement est renversé et, par conséquent, l’adoption du texte est annulée. Il est également important de noter que, en cas de rejet de la motion de censure, ou en l’absence de cette dernière, le projet doit encore être soumis, en deuxième lecture, au Sénat. Or, l’article 49.3 ne s’applique pas à ce dernier.
UN DÉNI DE DÉMOCRATIE ?
Le déclenchement de l’article 49.3 est-il, stricto sensu, un déni de démocratie ? Plusieurs éléments semblent compromettre cette accusation. En effet, depuis son entrée en vigueur en 1958, cette procédure a été utilisée près d’une centaine de fois. Or, à l’heure actuelle la France est toujours officiellement une démocratie. De plus, il ne s’agit pas d’une loi surgie du néant, mais d’une loi inscrite dans la Constitution.
Dans le cas du projet de réforme des retraites, une motion de censure transpartisane a été déposée par le groupe LIOT et examinée le 20 mars 2023, avant d’être rejetée – à neuf voix près. Là encore, les députés n’ont pas été « bâillonnés », un vote ayant eu lieu. Il est également important de rappeler que l’histoire ne s’arrête pas à un « passage en force » suite à l’utilisation de l’article 49.3. En effet, la Première ministre a également saisi le Conseil constitutionnel, chargé de se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois et, dans certains cas, de règlements. Une seconde saisine a aussi été déposée par l’opposition de gauche et d’extrême droite. Or, le 14 avril 2023, le Conseil valide l’essentiel du texte, tout en censurant certains points n’appartenant pas à une loi de finance.[5]
Au Uno, la partie ne s’arrête pas lorsque l’on doit prendre quatre cartes supplémentaires. En France, le débat sur la réforme des retraites ne s’est pas arrêté le 16 mars 2023, lorsque la Première ministre a engagé la responsabilité de son gouvernement et déclenché l’article 49.3 de la Constitution. D’autres procédures ont suivi, et il serait par conséquent faux de considérer que l’usage de l’article 49.3 soit, en lui-même, un déni de démocratie. Cet article ne cherche pas à affirmer si, oui ou non, Emmanuel Macron a raison de vouloir réformer les retraites, ni à prétendre que l’article 49.3, si controversé, devrait être aboli.
Peut-être que la politique, en France, va mal. Peut-être que la démocratie va mal. Peut-être que le pays va mal. Peut-être que le gouvernement d’Emmanuel Macron n’a pas réussi à s’imposer et que sa faiblesse est illustrée dans le cas du projet de réforme des retraites. La liste des « peut-être » est longue mais, en ce qui concerne le déclenchement de l’article 49.3, il paraît difficile de contester que, au regard de la loi, le gouvernement a joué selon les règles, en utilisant les cartes qu’il avait en main.
Sophie DUPRAZ
[1] RTS, 2023
[2] Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr
[3] Radiofrance (2020) : https://www.radiofrance.fr
[4] Ibid.
[5] Wikipédia : https://fr.wikipedia.org
Bibliographie :
GOUVERNEMENT.FR, « L’article 49.3 : comment ça marche ? », URL : https://www.gouvernement.fr (consulté le 20.04.2023)
IMBACH, R. & GEOFFROY, R. (2023) « Comment fonctionne l’article 49.3, utilisé pour la onzième fois par Elisabeth Borne ? », Le Monde, [en ligne], URL : https://www.lemonde.fr (consulté le 20.04.2023)
LÉGIFRANCE, Constitution du 04 octobre 1958 ; article 49, URL : https://www.legifrance.gouv.fr (consulté le 20.04.2023)
RADIOFRANCE, (2020), « Dominique Rousseau : « Le 49-3 n’est pas un déni de démocratie » », URL : https://www.radiofrance.fr (consulté le 20.04.2023)
RTS, (2023) « Elisabeth Borne déclenche sous les huées l’article 49.3 pour faire passer sa réforme », URL : https://www.rts.ch (consulté le 20.04.2023)
VERNAY, S. (2022), « Le « 49.3 » est-il un déni de démocratie ? Le gouvernement peut-il tomber ? Le point en six questions », Ouest France, [en ligne] URL : https://www.ouest-france.fr (consulté le 20.04.2023)
VIE PUBLIQUE, « Le recours à l’article 49.3 de la Constitution : dans quels cas ? », URL : https://www.vie-publique.fr(consulté le 20.04.2023)
Wikipédia :
- Conseil constitutionnel (France), URL : https://fr.wikipedia.org (consulté le 20.04.2023)
- Réforme des retraites en France en 2023, URL : https://fr.wikipedia.org (consulté le 20.04.2023)
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