Le café est le meilleur ami des étudiant.es. Il leur permet de se réveiller le matin, de marquer des temps de pause durant les périodes de révision, de les soutenir pendant les examens ou encore de rencontrer d’autres personnes de la faculté. Quand on pense au café, il est impossible de songer à une autre marque que Nespresso, la marque de café développée par Nestlé. En effet, celle-ci s’impose comme un leader mondial des capsules, des machines et accessoires à café. Le but de ce court article est de montrer ces enjeux par l’intermédiaire du « Cas Nespresso », dont le jugement[1] a été rendu récemment.
Derrière une multinationale de la taille de Nestlé, un bon nombre d’équipes se chargent de conseiller et guider l’entreprise sur le plan juridique. Un pan très important est celui de la propriété intellectuelle. Le but du droit de la propriété intellectuelle est de protéger des idées ou créations de l’esprit contre toute utilisation non autorisée par un tiers. Ces biens étant immatériels, il est complexe d’en assurer la propriété comme on le ferait pour un bien tangible. Il existe un numerus clausus de droits de la propriété intellectuelle pouvant être protégés . Les plus connus d’entre eux sont les droits d’auteurs concernant la propriété artistique ainsi que les brevets, marques et designs concernant la propriété industrielle du créateur/inventeur.
Le cas que nous analysons est relatif au droit à la marque. Il existe diverses marques pouvant être enregistrées. Dans l’arrêt Nespresso, il s’agit de la marque dite tridimensionnelle. Le but de celle-ci est de protéger la forme d’un produit ou son emballage. Par exemple, la forme de la célèbre bouteille Coca-Cola est protégée, car elle constitue une marque tridimensionnelle. Néanmoins, la loi prévoit des motifs absolus d’exclusion, afin de protéger l’abus de l’enregistrement de cette marque. La violation de l’un de ces motifs a pour conséquence la nullité de la marque déposée. Le motif analysé dans l’arrêt ci-dessous est celui du « techniquement nécessaire ».
Ces dernières années, Nestlé a soutenu que Ethical Coffee Company (ci-après : ECC), une société fribourgeoise, violait sa marque tridimensionnelle déposée pour ses capsules. La multinationale vaudoise réclamait donc que ECC soit strictement interdite de commercialiser ses capsules compatibles aux machines à café Nespresso. De son côté, la marque fribourgeoise a argumenté qu’elle n’avait commis aucune contrefaçon de marque puisque la forme et la géométrie de la capsule Nespresso est techniquement nécessaire pour utiliser le système Nespresso. Ceci a pour conséquence que la marque tridimensionnelle déposée doit être déclarée comme étant nulle.
Sur le fond, le Tribunal cantonal vaudois[2] a notamment examiné si les concurrents de Nespresso disposaient d’autres solutions alternatives, c’est-à-dire qu’ils ne subiraient pas de désavantages par rapport à la capsule Nespresso. Le Tribunal a décidé que seules les capsules compatibles avec le système Nespresso pouvaient être retenues dans l’appréciation du cas. De même, les capsules qui présentaient des désavantages, par exemple en raison d’une forme moins optimale, étaient jugées raisonnables si elles apportent des avantages au consommateur ou au marché, par exemple un impact écologique plus avantageux. La Cour a donc estimé que la forme de la marque n’était pas techniquement nécessaire.
Néanmoins, le Tribunal a donné raison à ECC, estimant que la marque tridimensionnelle avait une forme commune, et que cette forme ne pouvait être enregistrée comme marque que si elle s’était imposée comme telle par l’usage, ce que Nestlé n’a pas réussi à prouver, selon le Tribunal cantonal.
Par sa décision du 7 septembre 2021, le Tribunal fédéral suisse a confirmé la décision du Tribunal cantonal, tout en critiquant son raisonnement sur deux aspects. Premièrement, des coûts supplémentaires même mineurs représentent un désavantage dans l’examen de solutions alternatives raisonnables. Les concurrents ne doivent pas s’accommoder d’alternatives moins efficaces. Deuxièmement, les capsules doivent se distinguer suffisamment des capsules commercialisées par Nespresso, sur le marché et dans l’esprit du consommateur, pour qu’elles constituent des solutions alternatives raisonnables.
Après examen par le Tribunal fédéral, aucune autre capsule ayant été présentée dans le cadre du jugement ne pouvait être considérée comme raisonnable. Par conséquent, le Tribunal fédéral a jugé que la forme des capsules déposée par Nestlé était techniquement nécessaire. La marque tridimensionnelle est donc nulle et doit être annulée.
Cet arrêt nous montre à quel point les grandes sociétés sont actives sur le marché, toujours à la recherche de concurrents et de nouvelles idées pour se maintenir au haut de l’échelle. Nous pouvons également ressentir les enjeux qui tournent autour du droit à la marque. En effet, la propriété intellectuelle est directement liée au droit de la concurrence, car des sommes d’argent mirobolantes sont perpétuellement en jeu. Cet arrêt nous montre aussi que le droit permet de protéger le « petit poucet » d’une affaire et de contrer l’appétit des plus grands de ce monde.
Antoine DOBRYNSKI
[1] ATF 4A_61/2021 du 7 septembre 2021.
[2] Arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 8 décembre 2020 (n° 27/2020 ; CM11.036478).
BIBLIOGRAPHIE
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MARBACH, E., DUCREY, P., & WILD, G. (2017). Immaterialgüter-und Wettbewerbsrecht, 4. Aufl., Bern.
https://www.letemps.ch/economie/epuise-guerre-juridique-contre-nespresso-ethical-coffee-company-faillite (21.10.2021).
Image: https://pixabay.com/images/id-1833012/ (consulté le 22.10.2021).