Les défis juridiques de la fonte des glaciers en Suisse

Les défis juridiques de la fonte des glaciers en Suisse

En octobre 2023, nous avons pris connaissance du fait qu’une pelleteuse était en train de creuser le glacier Théodule à Zermatt afin de créer des pistes de ski. Cette nouvelle s’est révélée choquante, compte tenu du fait que les glaciers subissent déjà une fonte accélérée due aux dérèglements climatiques. Cet incident illustre clairement le manque de considération et de compréhension universelle à la problématique environnementale. 

À travers cet article nous examinerons le phénomène de la fonte des glaciers dans son contexte, tout en analysant les divers moyens mis en place pour tenter de ralentir le dérèglement climatique. Bien que le chemin soit encore long, il est nécessaire que chacun en prenne conscience, la première étape étant une sensibilisation à ce sujet. 


Fonte des glaciers dans le monde et en Suisse 

Contextualisation

267 milliards, voilà le nombre moyen par an de tonnes de glace ayant fondu sur l’ensemble de la planète entre 2000 et 2019[1]. Cette fonte massive a des conséquences dévastatrices sur l’équilibre environnemental de notre planète. 

Une étude dirigée par David Rounce de l’Université Carnegie Mellon aux États-Unis prévoit que d’ici 2100, 40% du volume des glaciers auront disparu, entraînant une perte vertigineuse de 80% du nombre total de glaciers[2]. Ces chiffres alarmants mettent en lumière une accélération dramatique de la fonte des glaciers, en particulier au cours des dernières années.

Le constat est sans appel pour les glaciers alpins, dont le volume a diminué d’environ 60% depuis 1850[3]. Une analyse menée par les chercheurs de l’ETH de Zurich et de l’Institut fédérale de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL révèle que le volume des glaciers suisses a été divisé par deux entre 1931 et 2016[4].

Prenons un autre exemple. Lors de l’année 2022-2023, la perte a atteint 4%, équivalant ainsi à la perte enregistrée entre 1960 et 1990[5]. Les répercussions sont sérieuses. Cette évolution accroît le risque de catastrophe naturelles, englobant des inondations, la perturbation de l’équilibre de la flore et de la faune[6], des glissements de terrain, ou encore la formation de lacs dans les glaciers, susceptibles de se déverser dans les vallées et d’éliminer des villages entiers[7]. Cette liste de conséquences n’est pas exhaustive, car elle s’étend également à la hausse du niveau de la mer entraînant la perte d’habitat pour les populations locales, des conditions météorologiques incertaines extrêmes, la fonte du permafrost libérant du méthane, du CO2 et des bactéries dans l’atmosphère, la menace d’espèces en voie de disparition, la perte d’eau douce due au mélange avec l’eau salée appauvrissant les réserves mondiales, ainsi que l’altération des courants océaniques, permettant initialement de réguler les températures[8].

Cette crise environnementale est principalement attribuée aux émissions de gaz à effet de serre résultant des activités humaines. Une action urgente et collective est nécessaire pour freiner cette tendance dévastatrice et préserver notre planète[9].

Législation mise en place

Accord de Paris

Pour que l’on puisse espérer un changement significatif, il est impératif de mettre en place une solution internationale[10]. Le 12 décembre 2015, la conférence des Nations Unies a adopté l’accord de Paris, fixant comme objectif, selon l’article 2, de limiter le réchauffement climatique « nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels ». Bien que l’accord de Paris soit juridiquement contraignant [11], il adopte une approche « bottom up », n’imposant rien aux États en les laissant élaborer leurs propres intentions[12]. La Suisse a ratifié l’accord le 6 octobre 2017 et s’est engagée à une réduction de moitié de ses émissions d’ici 2030 par rapport à 1990. Par ailleurs, la Suisse a également pris l’engagement de parvenir à zéro émission nette d’ici 2050[13], mettant en lumière la nécessité pour chaque pays de définir des objectifs ambitieux afin de répondre aux normes fixées par l’accord international. 

En Suisse 

Bien que la Suisse ne soit pas le plus grand émetteur de gaz à effet de serre, son engagement dans la lutte contre le changement climatique ne peut être négligé. En qualité de pays riche, la Suisse bénéficie de ressources supérieures à la moyenne mondiale et d’une stabilité économique et sociale, lui permettant de faire face aux enjeux climatiques[14].

Le 1er janvier 2013, la loi sur le CO2 est entrée en vigueur. Cependant, cette législation s’est avérée insuffisante, notamment, en l’absence de dispositions après 2030 et de mention de l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050[15]. En réponse à cette absence, le Conseil fédéral a proposé en 2017 une révision de la loi sur le CO2, visant à limiter l’augmentation globale de la température a moins de 2°C, même si l’objectif de l’accord de Paris est d’atteindre un seuil nettement inférieur à 2°C, idéalement à 1.5°C[16]. Tant la loi existante que la tentative de révision s’avèrent insuffisantes. 

Il convient également de noter que le droit suisse, plus précisément la Constitution, comprend des dispositions visant à assurer la protection de l’environnement. Notamment, l’article 73 indique que « [l]a Confédération et les cantons œuvrent à l’établissement d’un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l’être humain ». L’article 74 précise que « [l]a Confédération légifère sur la protection de l’être humain et de son environnement naturel contre les atteintes nuisibles ou incommodantes » de plus, « [e]lle veille à prévenir ces atteintes ». Pour finir, l’article 89 indique que « [d]ans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons s’emploient à promouvoir un approvisionnement énergétique suffisant, diversifié, sûr, économiquement optimal et respectueux de l’environnement, ainsi qu’une consommation économe et rationnelle de l’énergie ».

Malgré la présence de ces articles, nous constatons que les objectifs énoncés dans la Constitution fédérale ne sont pas pleinement réalisés[17].

Initiative

Le 26 août 2018 marque la création de l’association suisse pour la protection du climat, ayant pour but de concevoir un avenir avec zéro émission nette de gaz à effet de serre d’origine anthropogène et dépourvu d’utilisation d’énergie fossile[18]. En janvier 2019, une initiative pour la préservation des glaciers est lancée.

  • Texte de l’initiative 

L’initiative a pour but de compléter la Constitution fédérale en introduisant l’article 74a visant à concrétiser les dispositions déjà établies dans la Constitution. Cet article commence par définir à son alinéa 1, l’objectif de l’initiative, englobant à la fois la Confédération et les cantons, qui ont l’obligation d’intervenir dans le contexte de leurs responsabilités à l’étranger[19]. De plus, ce même alinéa intègre une stratégie visant à atténuer le réchauffement mais également à s’adapter en fonction de l’évolution climatique[20]

L’alinéa 2 établit l’objectif de parvenir à zéro émission nette pour l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre provoquées par les activités humaines d’ici 2050. Cela implique que toutes les émissions résultant des activités humaines doivent être éliminées au plus tard en 2050 par des puits de gaz à effet de serre sûrs. En d’autres termes, l’objectif est de neutraliser toutes les émissions, garantissant ainsi qu’elles ne présentent aucun danger pour l’homme et pour l’environnement[21]

Ensuite, l’initiative impose qu’ « aucun carburant ni combustibles fossiles ne sera mis en circulation en Suisse à partir de 2050 », avec des exceptions à définir ultérieurement dans une loi.

Pour finir, elle précise que les critères économiques et sociaux doivent être pris en compte. Autrement dit, les instruments de la politique climatique ne doivent pas exclure les personnes socialement défavorisées, les empêchant ainsi de participer pleinement à la vie sociale[22]. L’initiative est accompagnée de dispositions transitoires pour faciliter sa mise en œuvre.

  • Contre-projet

Bien que l’initiative ait recueilli 113’000 signatures, elle a été confrontée à plusieurs arguments. En août 2021, le Conseil fédéral a présenté son message en y incluant un contre-projet direct[23]. C’est-à-dire, un texte devant être soumis simultanément avec le texte de l’initiative. Le 2 mars 2022, le Conseil national a rejeté l’initiative pour les glaciers au profit d’un contre-projet direct, suscitant l’envoi de 8602 messages aux membres du Conseil national pour les inciter à ne pas rejeter l’initiative[24]

Par la suite, en avril 2022, la commission de l’environnement du Conseil national a introduit un contre-projet indirect à l’initiative, proposant des modifications à la loi sur le climat en vigueur. L’association à l’origine de l’initiative a exprimé sa volonté de retirer celle-ci à condition que le contre-projet indirect soit approuvé par le Conseil des Etats[25].

En septembre 2022, le parlement a approuvé la loi sur le climat, et quelques jours plus tard, le comité d’initiative a retiré l’initiative pour les glaciers[26]

La loi sur le climat vise à fixer trois objectifs, comme exprimé à son art. 1. Le premier concerne la « réduction des émissions de gaz à effet de serre et [l’] utilisation de technologies d’émission négative ». Le deuxième, « [l’]adaptation et [la] protection face aux effets des changements climatiques ». Pour finir, « [l’]orientation des flux financiers de manière à les rendre compatibles avec un développement à faible émission capable de résister aux changements climatiques ».

Bien que tous les articles de la constitution ne nécessitent pas l’adoption d’une loi pour être mis en œuvre, dans ce contexte particulier, le contre-projet présente un avantage en proposant une loi par rapport à l’initiative initiale. Cet avantage réside dans le fait qu’il n’exige pas l’ajout d’un nouvel article à la Constitution, évitant ainsi la nécessité d’élaborer une loi spécifique pour sa mise en œuvre.

Le 18 juin 2023, la loi sur le climat est adoptée à 59.1%[27], conduisant ainsi au retrait permanent de l’initiative pour les glaciers[28]

  • Nouvelle initiative 

La crise climatique continue de s’aggraver malgré l’adoption de la loi et la politique n’avance pas suffisamment vite[29]. L’entrée en vigueur de la loi et de l’ordonnance l’accompagnant est seulement prévue pour le 1er janvier 2025[30]. Or la situation exige une action immédiate. 

En février 2024, l’association suisse pour la protection du climat a déclaré son intention de lancer une nouvelle initiative populaire pour accélérer les actions en faveur du climat. Actuellement, les détails spécifiques de cette initiative ne sont pas connus[31]. Pour le moment, seule la première étape nous est accessible. Elle consiste à mener un sondage afin de garantir que l’initiative soit en accord avec les attentes de tous. Ci-dessous le lien vers le sondage auquel vous pouvez participer : https://klimaschutz-schweiz.ch/fr/news/es-reicht-noch-nicht-packen-wir-s-an.

Conclusion

Afin de lutter contre le dérèglement climatique, le moyen le plus efficace nécessite une approche à l’échelle internationale. En effet, pour observer des changements concrets, les États doivent prendre des mesures afin de concrétiser les objectifs de l’accord de Paris. Ceux-ci ne peuvent être atteints qu’avec la participation de tous les États, pour autant qu’ils mettent en place une législation appropriée.

C’est pourquoi il est crucial de s’informer, de voter et de reconnaître que chaque voix est importante si nous souhaitons faire progresser cette cause et ralentir le réchauffement climatique entraînant la fonte de nos glaciers.

Gwenaelle Viglino


[1] Glaciers noirs.

[2] WSL.

[3] La fonte des glaciers. 

[4] SCHMID.

[5] La fonte des glaciers.

[6] PISANI.

[7] La fonte des glaciers.

[8] WWF.

[9] Rapport.

[10] WWF.

[11] PETIT.

[12] AUVERLOT.

[13] Paris.

[14] Rapport.

[15] Ibid.

[16] Ibid.

[17] Rapport.

[18] Association.

[19] Ibid.

[20] Ibid.

[21] Ibid.

[22] Ibid.

[23] Chronologie.

[24] Chronologie.

[25] Ibid.

[26] Ibid.

[27] Résultats.

[28] FÜRST.

[29] Nouvelle initiative.

[30] Votation.

[31] Nouvelle initiative.


Bibliographie :

Rapports : 

HÄNGGI Marcel, Rapport explicatif des initiant-e-s relatif à l’initiative populaire pour un climat sain (Initiative pour les glaciers), Zürich, 20 août 2019 [cité : Rapport].

PETIT Yves, Rapport introductif « La lutte contre le réchauffement climatique après l’Accord de Paris : quelles perspectives ? », in Vertigo, 2018, [en ligne], URL : https://doi.org/10.4000/vertigo.19645 (dernière consultation le 19.02.24) [cité : PETIT].

Articles : 
AUVERLOT Dominique, L’accord de Paris : un accord bottom-up universel qui doit être traduit dans les actes, 2015, [en ligne], URL : https://www.strategie.gouv.fr/point-de-vue/laccord-de-paris-un-accord-bottom-universel-etre-traduit-actes (dernière consultation le 19.02.24) [cité : AUVERLOT].

JORIO Luigi, Vers un monde de glaciers noirs, in swissinfo.ch, 2021, [en ligne], URL : https://www.swissinfo.ch/fre/economie/vers-un-monde-de-glaciers-noirs/46677100 (dernière consultation le 16.02.24) [cité : Glaciers noirs].

JORIO Luigi, Pourquoi la fonte des glaciers nous concerne, in swissinfo.ch, 2023, [en ligne], URL : https://www.swissinfo.ch/fre/crise-climatique/la-fonte-des-glaciers-nous-concerne-tous/45810560  (dernière consultation le 16.02.24) [cité : La fonte des glaciers].

SCHMID Franziska, A historical perspective on glacial retreat, 2022, [en ligne], URL : https://ethz.ch/en/news-and-events/eth-news/news/2022/08/a-historical-perspective-on-glacial-retreat.html  (dernière consultation le 16.02.24) [cité : SCHMID].

PISANI Carlo/MISICKA Susan/GLATTHARD Jonas, in swissinfo.ch, 2021, [en ligne], URL : https://www.swissinfo.ch/fre/crise-climatique/les-alpes-suisses-sont-plus-chaudes-que-jamais/46297524 (dernière consultation le 16.02.24) [cité : PISANI].

FÜRST Sophie, La Suisse dit OUI à la loi climat, 2023, [en ligne] URL : https://gletscher-initiative.ch/fr/blog/la-suisse-dit-oui (dernière consultation le 23.02.24) [cité : FÜRST].

Sites :

https://www.wsl.ch/fr/news/zwei-von-drei-gletschern-weltweit-koennten-bis-2100-verschwinden/  (dernière consultation le 16.02.24) [cité : WSL].

https://www.wwf.fr/dossiers/les-causes-et-consequences-de-la-fonte-des-glaces  (dernière consultation le 19.02.24) [cité : WWF].

https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/info-specialistes/climat–affaires-internationales/l_accord-de-paris-sur-le-climat.html (dernière consultation le 19.02.24) [cité : Paris].

https://www.klimaschutz-schweiz.ch/fr (dernière consultation le 19.02.24) [cité : Association].

https://gletscher-initiative.ch/fr/blog/chronologie (dernière consultation le 19.02.24) [cité : Chronologie].

https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/va/20230618/can663.html (dernière consultation le 19.02.24) [cité : Résultats].

https://klimaschutz-schweiz.ch/fr/news/es-reicht-noch-nicht-packen-wir-s-an (dernière consultation le 23.02.24) [cité : Nouvelle initiative].

https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/dossiers/loi-climat.html (dernière consultation le 23.02.24) [cité : Votation].


Source image : Benoît Wisard, Zermatt, 2023 


close

Leave Comment