Les droits de Tolkien : un bref historique (2<sup>ème</sup> partie)

Les droits de Tolkien : un bref historique (2ème partie)

Après plusieurs déboires relatifs à la bonne application de ses droits vus en première partie, Tolkien assure leur gestion par la création d’un organisme, le Discretionary Settlement. En parallèle, il vend les droits d’adaptation du Hobbit et du Seigneur des Anneaux qui finiront en mains de la Saul Zaentz Co. Après un premier film en 1977 et malgré un succès déjà indubitable, les œuvres du professeur vont connaître un nouvel essor avec les adaptations cinématographiques qu’on leur connait au début du XXIe siècle.



I. Droits milléniaux

Peter Jackson, alors sous contrat avec la société de production Miramax, propriété de Disney depuis 1993, les convainc d’acheter les droits du Seigneur des Anneaux et du Hobbit à Tolkien Entreprises pour les adapter en film[1]. En 1997, Miramax obtient donc les droits de passer les œuvres sur grand écran. Ceux-ci ne sont qu’une prérogative et la Saul Zaentz Co. demeure propriétaire des droits de Tolkien. Un différend contraignant Jackson à ne réaliser qu’un seul film d’une durée maximale de trois heures l’oblige à se tourner vers une nouvelle société, New Line Cinema, filiale de Warner Bros. pour parachever son projet[2]. Cette dernière se procure ainsi, et contre $12 millions et 5% des bénéfices, le droit de filmer[3]. La trilogie du Seigneur des Anneaux est une réussite planétaire : environ $2.9 milliards de box-office, $3 milliards supplémentaires en produits dérivés et des récompenses méritoires (trilogie avec le plus d’Oscars ; 3ème volet est le film le plus oscarisé au monde)[4]. Ce triomphe n’est pas sans conséquence puisque les héritiers du professeur se mêlent dès 2003 aux recettes et réclament leur part. Ainsi, une bataille juridique s’engage entre le Tolkien Trust associé à HarperCollins et New Line Cinema. Les recourants demandent $150 millions à titre d’indemnité, sur la base de l’accord signé par Tolkien en 1969 avec United Artists et prévoyant une rémunération à hauteur de 7.5% des bénéfices tirées des adaptations[5]. Finalement, un terrain d’entente aurait été trouvé entre les parties en 2009, qui d’après le Hollywood Reporter représenterait un versement de $100 millions aux plaignants[6]

La même issue est trouvée lors de la sortie de la trilogie du Hobbit (2012-2014). Cette fois, la saga est produite par New Line Cinema de concert avec MGM qui détient toujours les droits de distribution des adaptations. Le Tolkien Estate et HarperCollins intentent donc une action en dommages et intérêts contre Warner Bros. et Saul Zaentz Co. au motif que les droits cédés par Tolkien en 1969 ne comprenaient pas la possibilité de vendre des produits électroniques ou numériques. Selon eux, l’accord se limitait à la vente de produits dérivés tels que « des figurines, de la vaisselle, de la papeterie, des vêtements ou/et autre »[7]. La Tolkien Entreprises, renommée Middle-earth Entreprises en 2010 et Warner Bros. auraient donc outrepassé leurs droits causant un préjudice estimé par les demandeurs à $80 millions. Le litige est définitivement résolu en 2017 par un nouvel accord à l’amiable dont la hauteur du montant n’a toujours pas été révélée[8].  

En dépit de ces contentieux, Middle-earth Entreprises a octroyé et continue d’octroyer, parfois en concours avec New Line, des licences pour de nombreux produits dérivés, tant électroniques que matériels. Parmi les firmes ayant reçu la permission peuvent être citées : Magic The Gathering The Lord of The Rings (2023) ; The Lord of The Rings : Gollum (2023) ; LEGO Lord of The Rings ; etc.

II. Actualité

Alors que Christopher Tolkien démissionne début 2017, le géant Amazon acquiert pour $250 millions le 13 novembre 2017, le droit à la production d’une série « adaptant les évènements du Deuxième Âge décrits dans les appendices du Seigneur des Anneaux, ainsi que peut-être une partie des textes afférant publiés dans d’autres ouvrages (par ex. la carte de Númenor) »[9]. Amazon obtient cette licence non seulement par l’entremise de Middle-earth Entreprises mais aussi celle du Tolkien Estate et de New Line Cinema[10]. Amazon Prime Video produit donc la série sortie en 2022, Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de Pouvoir. Cette autorisation démontre la diminution de réticence des ayants droits de Tolkien quant à la production de nouvelles adaptations cinématographiques. 

Les années qui suivent sont marquées par de nombreux rachats, faisant passer les droits de Tolkien de société en société. En 2021, l’éditeur américain de Tolkien Houghton Mifflin est racheté par HarperCollins. En 2022, MGM est achetée par Amazon. La même année, la plus grande transaction depuis l’achat des droits de Tolkien par Saul Zaentc Co. est effectuée : Embracer Group, une société de distribution de jeu-vidéo suédoise s’offre Middle-earth Entreprises pour un montant avoisinant les $395 millions. Dès lors, la porte pour de nouveaux films portant sur l’univers de Tolkien est ouverte. Plusieurs accords ont déjà été conclus, tels que la collaboration entre Embracer et Amazon pour la production d’un nouveau jeu vidéo[11]. En outre, la Guerre des Rohirrim, un film animé, préquel aux films de Peter Jackson et développé par Warner Bros. et New Line Cinema devrait voir le jour en 2024[12].

En définitive, les droits de Tolkien sont scindés en deux grandes trames. D’une part, les droits d’adaptation visuels et de production de dérivés basés uniquement sur les romans du Hobbit et du Seigneur des Anneaux, vendus par Tolkien en 1969 et d’autre part, les droits d’auteur restés en mains de la famille Tolkien et de leurs organismes. Il semble important préciser que les relations et la hiérarchie entre les structures et les sociétés impliquées ne sont que très peu connues et que désépaissir la vraie portée des accords et des droits devient ardu, dû aux informations délivrées au compte-goutte. S’il a longtemps été difficile d’adapter les romans du professeur, l’acquisition des droits par Embracer Group et Amazon amorce la création de nombreux projets. Toutefois, cette gaine de droits n’est subordonnée qu’à l’échéance de la chute de l’œuvre de Tolkien dans le domaine public. Ainsi, le terme est fixé pour la Suisse, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni à 2044, soit 70 ans après la mort du professeur.

Alessio Trilles


[1] FATTEBERT, RTS.

[2] WATKIN, NZ Herald.

[3] Sociedad Tolkien Española, Los derechos de adaptación sobre la obras de Tolkien.

[4] DUPUY, Le Monde.

[5] RICH, The New York Times.

[6] SIMMONS, The Hollywood Reporter.

[7] FLODD, The Guardian.

[8] GARDNER, The Hollywood Reporter.

[9] STOCKER, Tolkiendil.

[10] KOBLIN, The New York Times.

[11] YOSSMAN, Variety.

[12] D’ALESSANDRO, Deadline.


Bibliographie :

D’ALESSANDRO Anthony, “Lord of the Rings : The War of the Rohirrim“ release delayed until December 2024, inDeadline, publié le 24 août 2023, accessible sur <https://deadline.com/2023/08/lord-of-the-rings-war-of-the-rohirrim-delayed-2024-1235527601/> (11.11.2023).

DUPUY Julien, L’exploitation de Tolkien, ses milliards, ses procès, ses déribes, in Le Monde, publié le 5 juillet 2012, accessible sur < https://www.lemonde.fr/culture/article/2012/07/05/l-exploitation-de-tolkien-ses-milliards-ses-proces-ses-derives_1729862_3246.html> (11.11.2023).

FATTEBERT Catherine, « Le seigneur des Anneaux », la trilogie mythique de Peter Jackson, in rts.ch, publié en novembre 2019, accessible sur <https://www.rts.ch/info/culture/cinema/10873838-le-seigneur-des-anneaux-la-trilogie-mythique-de-peter-jackson.html#chap07> (11.11.2023).

FLOOD Alison, Tolkien estate sues Hobbit producers over video and gambling games, in The Guardian, publié le 20 novembre 2012, accessible sur <https://www.theguardian.com/books/2012/nov/20/tolkien-estate-sues-hobbit-producers> (11.11.2023).

GARDNER Eriq, Warber Bros., Tolkien Estate settle $80 million “Hobbiz“ lawsuite, in The Hollywood Reporter, publié le 3 juillet 2017, accessible sur <https://www.hollywoodreporter.com/business/business-news/warner-bros-tolkien-estate-settle-80-million-hobbit-lawsuit-1018478/> (11.11.2023).

KOBLIN John, “Lord of the Rings“ series coming to Amazon, in The New York Times, publié le 13 novembre 2017, accessible sur <https://www.nytimes.com/2017/11/13/arts/television/lord-of-the-rings-series-amazon.html> (11.11.2023).

RICH Motoko, Tolkien heirs sue New Line over millions from “Rings“, in The New York Times, publié le 12 février 2008, accessible sur <https://www.nytimes.com/2008/02/12/business/media/12movie.html> (11.11.2023).

SIMMONS Leslie, Tolkien Trust sues New Line, in The Hollywood Reporter, publié le 12 février 2008, accessible sur <https://www.hollywoodreporter.com/business/business-news/tolkien-trust-sues-new-line-104620/> (11.11.2023).

Sociedad Tolkien Española, Los derechos de adaptación sobre las obras de Tolkien, in sociedadtolkien.org, publié le 4 mars 2022, accessible sur <https://www.sociedadtolkien.org/blog/2022/03/04/derechos-adaptacion-tolkien/> (11.11.2023).

STOCKER Vivien, Les droits sur l’œuvre de J. R. R. Tolkien, in Tolkiendil, publié le 25 février 2023, accessible sur < https://www.tolkiendil.com/tolkien/droits> (11.11.2023). 

WATKIN Tim, The “Rings“ movies, a potted history, in NZ Herald, publié le 7 février 2007, accessible sur <https://www.nzherald.co.nz/lifestyle/the-rings-movies-a-potted-history/2WZLGIQSO5FHTXW3ECVWM652UM/?c_id=200&objectid=232465> (11.11.2023).

YOSSMAN K. J., Embracer Group paid $395 million for “Lord of the Rings“ rights, in Variety, publié le 21 juin 2023, accessible sur <https://variety.com/2023/film/global/embracer-group-paid-395-million-for-lord-of-the-rings-rights-1235650495/> (11.11.2023).


Source image : https://pixabay.com/fr/photos/fleuve-vall%C3%A9e-montagnes-ruisseau-5794580/


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