Président au Tribunal des Prud’Hommes

Président au Tribunal des Prud’Hommes

Interview avec Frédéric Gisiger

Par Palak Bakshi

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Frédéric Gisiger était précédemment le directeur de la Brasserie Lipp, au Centre de Confédération de Rive. Mais il est aussi un des présidents d’audience du Tribunal des Prud’Hommes, le tribunal genevois qui est spécialisé en droit du travail. Plus spécifiquement, les litiges entre employés et employeurs.  

J’ai eu l’occasion de lui poser quelques questions sur la nature de ce poste. Il m’a aussi parlé de son parcours et des raisons qui l’ont conduit à choisir cette voie professionnelle.



  • Est-ce que vous avez fait des études en droit ?

Oui, mais pas initialement.

J’ai fait mes études professionnelles à l’école hôtelière de Strasbourg. Et j’avais un peu d’avance par rapport aux années scolaires donc j’ai fait le cursus le plus long possible parce que je voulais faire l’école hôtelière de Lausanne et eux ne prenaient des candidats qu’à partir de 18 ans. L’année de mes 16 ans, je venais d’avoir mon bac en France, à Strasbourg. J’ai commencé par la base et finalement j’ai fait sept années là-bas, le cursus le plus long. J’ai fait une spécialisation en cuisine, en salle, en gestion d’hôtellerie, j’ai fait un brevet et une maîtrise. Dans ces sept ans, je suis passé par tous les départements en hôtellerie et restauration. Ça m’a permis d’avoir une vision objective du métier dans lequel je voulais exercer parce que c’est devenu une passion.

Pendant ces études, j’ai créé un syndicat des extras. Il plaçait des collaborateurs en extras auprès d’entreprises de restaurants qui en avaient besoin pour le week-end. S’il y avait des événements particuliers ou quelque chose comme ça. Et il y en avait notamment un pour lequel je travaillais qui avait besoin d’un réservoir d’une dizaine de personnes chaque week-end. Et pour dépanner ses restaurateurs, je faisais ce qu’on appelle des fiches de salaires : je déclarais les salaires en m’assurant que tout soit fait dans les règles. Les restaurateurs avaient juste à payer leur dû aux collaborateurs. Et moi, je faisais toutes les déclarations auprès de l’URSSAF, en France (comme les caisses de compensation suisse). En même temps, je prenais aussi un salaire parce que tout travail mérite un salaire. C’était très enrichissant, pas le sens monétaire mais dans mon développement d’entrepreneur tel que je suis devenu après. 

Après, ce cursus, je suis revenu en Suisse pour travailler. J’avais été aiguillé pour faire l’ouverture du « Harry’s Bar » à Genève. C’était au Confédération Centre, un concept de piano bar/restaurant, assez élitiste. Dans ce projet, j’ai pu appliquer toutes les formations que j’avais faites pendant mes études. Le projet avait pris un peu de retard à cause de problèmes de permis et d’autorisation, ce genre de choses. Et ça fonctionne dans le sens que comme tout est avec autorisation, on attend. On attend que les autorités nous accordent les permis et tout. Le projet était retardé d’environ sept-huit mois. 

Pendant ce temps, je suis allé à Lausanne où je m’étais fait engager comme chef/barman à l’hôtel Royal Savoy. Là, j’ai développé aussi le chiffre d’affaires et de nouveau, j’arrivais à attirer une clientèle en dehors de l’hôtel. C’était une très bonne période. Et je ne regrette pas cette période parce que finalement ça m’a ouvert un tout petit peu sur le potentiel d’une activité économique. C’était une expérience géniale parce que quand on a fait l’ouverture du Harry’s bar (je précise que l’ouverture du Harry’s Bar a eu lieu l’ouverture de la Brasserie Lipp), moi je faisais partie de toute la partie back office de la partie administratif de Lipp et je m’occupais aussi de la partie back office de Harry’s Bar mais aussi de l’exploitation. Donc ça voulait dire que je partageais mon temps entre ces trois fonctions. J’ai eu de la chance parce qu’au Harry’s Bar, j’ai eu un directeur général qui m’a assisté plus que je ne l’ai assisté, c’est-à-dire que c’est finalement moi qui faisais tout, et lui il me laissait tout faire. J’ai fait les salaires, les engagements, les déclarations d’assurance, tout. Il faut savoir que dans une entreprise, l’essence de l’entreprise c’est la clientèle, le moteur de l’entreprise c’est les collaborateurs. Les collaborateurs sont une partie intégrante et importante de l’entreprise. Si les collaborateurs ne sont pas bien, on ne peut pas travailler comme il faut.

Chemin faisant, le Harry’s Bar c’était une étape. C’était pas rien, il y avait quand même 25 personnes. Et Lipp, à l’époque, avait 60 collaborateurs. Le directeur général de Lipp a eu des ennuis de santé et on m’a proposé de prendre sa succession. J’ai donc pris sa succession. J’ai fait les choses un peu différemment. J’ai assaini toute la partie ressources humaines. Lui, il gérait ça de manière très paternaliste, donc les gens pouvaient avoir des permis ou non, autorisation ou pas, ceux qui avaient une autorisation gagnaient 200.- de plus que ceux qui n’en avaient pas pour le même travail. Il n’y avait pas d’équilibre. C’était donc pas très sain comme situation. Là, aussi, j’ai pris mon bâton de pèlerin. Je vais pas aller en détail mais en gros, j’ai regarder avec les syndicats, avec les autorités, le chômage, tout le monde. J’ai fait tout ce qui pouvait me permettre d’avoir des collaborateurs en règle.

Et c’est à cette époque qu’on m’a demandé de venir et d’être actif dans la société des cafetiers, en étant actif au sein de la corporation qu’on représente. Après, j’aurais pu faire d’autres engagements, mais c’est un choix. Et en étant très sensible à la gestion des ressources humaines, surtout par rapport au droit du travail, je me suis dit, « Tiens, je vais me tourner vers la juridiction des Prud’Hommes ». Alors, j’ai commencé comme juge assesseur. Et puis, j’y ai trouvé ma voie complémentaire. Complémentaire, pourquoi ? Et bien parce que finalement, bien que l’activité que je pratiquais m’était débordante parce que quand on gère des collaborateurs, on gère une entreprise relativement conséquente, on s’habitue à tout l’aspect « droit » du travail comme faire les salaires, suivre les directives du droit du travail, etc. Petit à petit, j’ai pris goût à cette activité « Prud’Hommal ». Ça me permettait de faire totalement le vide, dans le sens où je faisais quelque chose pour ma corporation. Je rendais service et je me sentais utile pour ma corporation. Tout en étant efficace et efficace au sein de mon activité professionnelle.

J’étais tenté par devenir président. C’est bien d’être juge assesseur, de donner son point de vue, de partager, mais en même temps, c’est quand même un rôle relativement limité. Le président est police d’audience. Il guide la conversation et pose les questions, quelque chose qu’un juge assesseur ne peut pas faire. J’ai passé mon brevet de président vers 1999-2000. Étant désireux de devenir président, on m’a dit qu’il fallait faire un brevet de président d’audience. Ça impliquait des cours de droit à l’université, donnés par le professeur Gabriel Aubert. Je me suis pris au jeu, j’ai suivi des études entre 12:00 et 14:00 pendant plus d’une année, plusieurs fois par semaine. Il y a un examen final. Et il faut obtenir ce brevet pour pouvoir devenir président. On est nombreux au départ de la formation mais moins nombreux après. Les employeurs ont une liberté que les salariés n’ont pas nécessairement. C’est plus compliqué, si les cours tombent pendant leur temps de travail. Il y a donc une sélection qui se fait par rapport à l’engagement et le temps qu’on peut consacrer aux cours selon ses disponibilités. 

Le brevet de président arrive environ tous les 4 ans. Et juste parce qu’on a le brevet ne veut pas dire qu’on peut présider une audience. Après, il faut faire sa place parmi les groupes interprofessionnels pour pouvoir s’affirmer et se dire, « oui, je vais faire un bon président ». C’est un peu comme le permis de conduire. Juste parce qu’on a un permis ne veut pas dire qu’on sait conduire. C’est donc en pratiquant qu’on devient plus efficace. Et moi, j’ai eu de la chance, j’étais intéressé et je m’appliquais et finalement, c’est devenu une passion pour moi.

  • Au Tribunal des Prud’Hommes, il y a la pratique d’avoir des professionnels dans un domaine particulier pour présider la séance. Pourquoi ? Et quels sont les domaines traités ?

Le tribunal a cette pratique pour que les parties soient écoutées correctement et qu’elles soient bien comprises. Quelqu’un qui pratique le métier dont il est question ou du même domaine que les parties comprendra mieux les implications. C’est pour mieux comprendre leur point de vue, car les présidents et leurs tribunaux ont une connaissance de leur monde et donc des sensibilités différentes. Cette pratique assure la justice la plus laïque et impartiale possible.

Il y avait douze groupes quand j’avais commencé. Mais à partir de 2024, il n’y aura plus que 4 groupes aux Prud’hommes. Le premier groupe gère tous les métiers du secteur primaire comme les agriculteurs, les paysagistes, et cetera. Le deuxième gère les services de personnes avec l’hôtellerie, la restauration, les transports. Le troisième touche les banques et les assurances. Finalement, le quatrième concerne tous les autres métiers qui restent comme les médecins, les diplomates, les informaticiens, et cetera.

Il y a des présidents et des assesseurs (un employé et un employeur est présent pour chaque audience) de tous les métiers qui travaillent avec les Prud’hommes.

  • Quelles sont les responsabilités d’un.e président.e ? Quel est le fonctionnement du tribunal ?

Je dois bien connaître le dossier. Et ensuite, je guide le débat. Le président est la police de l’audience. Il ou elle fait en sorte que la procédure soit respectée, qu’il n’y ait pas des débats à charge ou décharge. On ne pose pas de questions ouvertes et on fait en sorte que les avocats interviennent le moins possible.

Ensuite, on délibère avec notre tribunal. Avec nos assesseurs qui sont à côté, qui écoutent et s’expriment pendant qu’on essaye de trouver une bonne solution. 

On est là pour faire appliquer le droit et prendre des décisions saines et justes. Les parties font valoir leur droit. Chacun a le droit d’exprimer leur situation, de montrer leur rage, de se faire entendre, qui qu’ils soient. On ne fait pas de distinctions entre les deux parties comme la partie faible ou la partie forte : elles ont autant de droit l’une et l’autre. C’est un moyen de s’assurer que la justice est accessible à tous et que les parties, à la fin de l’affaire, ont une paix entre eux.

Pour le fonctionnement du tribunal, il y avait deux phases. Avant, on utilisait la loi sur la juridiction des Prud’Hommes (LJP) qui était assez ouverte. Ça pouvait partir dans tous les sens. On pouvait avoir des sujets sur tout, on pouvait déborder sur tout. Mais en 2011, le système a changé. On a mis en place le Code de Procédure Civile (CPC) et ce dernier, qui est appliqué aujourd’hui, est beaucoup plus rigoureux. Là, il y a deux types de procédures : simplifiée (qui va jusqu’à 30’000.-) et ordinaire (à partir de 30’000.- et plus), là c’est plus complexe. On ne peut pas déroger au code. 


Source image : https://pixabay.com/fr/photos/dame-justice-l%C3%A9gal-droit-justice-2388500/


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