Traité sur la charte de l’énergie : un traité controversé ?

Traité sur la charte de l’énergie : un traité controversé ?

Du 6 au 18 novembre 2022 s’est déroulée la 27ème édition de la conférence des parties à la Convention de l’ONU sur le climat : la COP 27. Alors que les conséquences du réchauffement climatique ne cessent de préoccuper la planète entière, la COP 27 apparaît comme un ultime espoir pour trouver des solutions durables. Cependant, parmi les sujets abordés, un traité international semble freiner les moyens d’action de nombreux pays.



QU’EST-CE QUE LE TRAITÉ SUR LA CHARTE DE L’ÉNERGIE ?

Le traité sur la charte de l’énergie est un traité international qui a été conclu le 17 décembre 1994 à Lisbonne. Parmi la cinquantaine de contractants que compte le TCE se trouve notamment la Suisse, pour qui le traité est entré en vigueur le 16 avril 1998. Ce dernier a pour objet la promotion de « la coopération à long terme dans le domaine de l’énergie » sur le plan européen mais aussi international, comme nous l’indique l’art. 2 TCE.

Historiquement, le traité sur la charte de l’énergie a été conclu à la sortie de la guerre froide. Il avait donc pour aspiration d’amoindrir les déchirements entre l’Europe et l’Asie suite au rideau de fer. À l’origine, il s’agissait d’une réelle avancée dans le domaine de la coopération internationale. En effet, c’est « le premier et l’unique accord intergouvernemental contraignant qui s’applique à toutes les formes d’énergie […] et à toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement ». [1] Sur la base de ce traité, les États contractants sont libres d’organiser la gestion de leurs ressources. En revanche, « une fois qu’un pays membre autorise les investissements étrangers dans son secteur énergétique, les investisseurs concernés ont le droit de bénéficier d’un traitement équitable en vertu du TCE et de demander réparation par voie d’arbitrage international ». [2]

C’est ainsi que durant la COP 27, Emmanuel Macron, le président français a annoncé le retrait de la France du TCE. Il s’agit d’une grande avancée pour les démarches écologiques. Néanmoins, ce retrait ne prendra techniquement effet qu’en 2043, soit 20 ans plus tard, et ne garantit pas l’absence de poursuite juridique entre temps.[3] En effet, parmi les dispositions du TCE, l’art. 47 ch. 3 nous indique que le traité continue à s’appliquer pour une période de 20 ans « à compter du moment où le retrait de la partie contractante du présent traité prend effet ». Il s’agit d’une clause de protection des investisseurs qui, dans un contexte climatologique alarmant, pose de nombreux problèmes pour la préservation de l’environnement. 

De fait, ce traité est utilisé comme une menace auprès des États contractants qui souhaiteraient notamment entamer des transitions énergétiques moins gourmandes en ressources fossiles. Les procès introduits par des investisseurs contre ces États sont nombreux et se multiplient. Les investisseurs fossiles se basent sur la violation de leur protection au sens de l’art. 10 al. 1 TCE pour enclencher un règlement du différend à l’amiable (art. 26 al. 1 TCE) ou, le cas échéant, intenter une action devant un tribunal d’arbitrage. 

À titre d’exemple, suite à la décision de fermer ses centrales à charbon d’ici 2035-2038, l’Allemagne s’est engagée à payer 4,35 milliards d’euros d’indemnité aux exploitants de centrales à charbon. [4] Une partie de cette somme est destinée à l’entreprise allemande RWE qualifiée durant de nombreuses années comme étant la plus polluante d’Europe de par sa grande émission de CO2. [5] L’indemnité a pour objectif d’éviter les potentielles poursuites basées sur le TCE de la part des exploitants d’énergies fossiles. Le cas de l’Allemagne n’est pas unique. En effet, malgré son retrait en 2016 du TCE, le 24 août 2022, l’Italie a été condamnée, par un tribunal arbitral international, à verser à la société pétrolière britannique Rockhopper une somme de 190 millions d’euros plus intérêts pour lui avoir refusé la réalisation de nouveaux forages le long de ses côtes. [6]


QUEL AVENIR POUR LE TCE ?

« La France a décidé de se retirer du Traité sur la charte de l’énergie, ce qui était un point important demandé par beaucoup que nos services ont pu instruire » [7] 

Emmanuel Macron, Discours au Conseil européen, Bruxelles, 21/10/2022 

Perçu comme un frein à l’application des mesures écologiques, il s’agit désormais d’une dizaine de pays qui souhaitent ou envisagent de se retirer du TCE. Le traité sur la charte de l’énergie est controversé et son avenir incertain.

Le 22 novembre 2022, après quatre années de discussion, le TCE qui, pour la première fois, faisait l’objet d’une révision, aurait dû être modernisé. Cette révision aurait permis au TCE de s’harmoniser avec les objectifs prévus à l’art. 2 al. 1 de l’Accord de Paris. [8] Selon cet accord entré en vigueur le 4 novembre 2016 dans les 196 États parties à la COP 21, il s’agissait de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le but de « limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2, de préférence à 1,5 degré Celsius, par rapport au niveau préindustriel ». [9] Alors que la révision du traité devait se faire de manière unanime, plusieurs pays membres de l’Union Européenne, dont notamment la France, l’Italie et les Pays-Bas, ont réalisé un blocage en s’abstenant de voter. [10] De ce fait, la modernisation du TCE a été reportée en avril 2023. [11]

Pour conclure, l’avenir du traité sur la charte de l’énergie ne semble pas glorieux et tend vers un retrait progressif des États contractants qui estiment les modernisations insuffisantes. Sept États contractants du TCE ont déjà annoncé leur retrait. Ainsi, la modernisation du traité ne pourra pas avoir lieu, faute d’unanimité au sein de l’Union Européenne. Lors du report de la modernisation, le parlement a demandé « à la Commission européenne de proposer rapidement une sortie coordonnée de l’Union Européenne » du TCE. [12]


QUELLE EST LA POSITION DE LA SUISSE ?

Le 11 mars 2021, le parti socialiste suisse a déposé une motion au Conseil fédéral, dans le but d’obtenir le retrait de la Suisse du TCE.  Néanmoins, le Conseil fédéral a proposé de refuser la motion dans un avis du 12 mai 2021. Il a affirmé que « le TCE n’empêche pas ses États membres de poursuivre une politique énergétique ambitieuse et ne limite pas non plus leur droit de réglementer » et qu’un tel retrait irait à l’encontre des intérêts de la Suisse. [13] De plus, selon lui, les risques qu’un investisseur d’énergies fossiles attaque la Confédération helvétique sont faibles car ces investisseurs sont peu nombreux sur le territoire et que les infrastructures ne sont pas remises « en cause par la politique énergétique de la Suisse ». [14]


QUELLES RÉACTIONS DE LA PART DES CITOYENS ?

Suite à la Conférence de Charm el-Cheikh, c’est-à-dire la COP 27, nous pouvons observer que le TCE s’est dévoilé au public sur les réseaux sociaux. Des influenceurs engagés contre le réchauffement climatique, telle que @graine_de_possible sur Instagram, ont partagé au plus grand nombre des explications et des comptes rendus des évènements de la COP 27, ainsi que des éclaircissements concernant la problématique du TCE. 

De plus, cinq personnes âgées de 17 à 31 ans ont décidé de porter plainte à la Cour européenne des droits de l’homme, en tant que victimes du réchauffement climatique, contre 12 États membres de l’Union européenne. Ils habitent en Suisse, en France, en Belgique, en Allemagne et en Grèce, et souhaitent prouver qu’ils sont victimes du TCE. De ce fait, ils espèrent obtenir une obligation de retrait  des États contractants au traité.[15]

« I am afraid at each time there is a storm, and for months I couldn’t walk in the forest because of the creek. I didn’t want to see anything related to this dramatic event. Two weeks ago, one of my classmates found an article about our damaged house while searching my name in Google Images, and all the traumatic memories came back. I couldn’t handle it. »  [16]

Marion, 31 ans, Crassier, Suisse, plaignante à la CourEDH

En parallèle, un site spécialement dédié au retrait des États contractants du TCE a été ouvert dans le but d’énoncer les avancées en la matière.[17] La mobilisation de la population est de plus en plus active et des pétitions ont été créées dans le but de faire entendre l’avis des citoyens. 

Pour conclure, le TCE est un moyen de pression utilisé par les investisseurs d’énergies fossiles afin de garantir leurs activités sur le territoire des États contractants. Entré en vigueur en 1998, il semble de nos jours ne plus être en adéquation avec le contexte de réchauffement climatique alarmant et représente un frein pour la transition écologique. Certains États contractants ont déjà franchi le pas en annonçant leur sortie du TCE. En tant que citoyens, nous avons aussi notre rôle à jouer en nous engageant et en donnant notre avis. 

Carole PETOT


[1] WILSON, p.10

[2] Ibid.

[3] WILSON, p.10.

[4] GENDRE ; FEBVRE.

[5] D.C.

[6] ROCKHOPPER EXPLORATION PLC.

[7] CHALLENGES.

[8] SECRETARIAT GENERAL DETEC.

[9] NATIONS UNIES.

[10] CONCEPCION.

[11] Ibid.

[12] DUPRÉ, Sortie du TCE.

[13] LE PARLEMENT SUISSE.

[14] Ibid.

[15] DUPRÉ, Plainte devant la CEDH.

[16] EXIT ECT.

[17] Ibid.


Bibliographie  

CONCEPCION Alvarez, « Le traité sur la charte de l’énergie modernisé n’a pas pu être adopté », 23/11/ 2022[en ligne], URL : https://www.novethic.fr/actualite/energie/transition-energetique/isr-rse/le-traite-sur-la-charte-de-l-energie-dans-sa-version-modernisee-n-a-pas-pu-etre-adopte-151197.html, (consulté le 01/12/2022).

D.C, « CO » : RWE toujours en tête des pollueurs européens », 21/11/2007, [en ligne], URL : https://www.lesechos.fr/2007/11/co2-rwe-toujours-en-tete-des-pollueurs-europeens-545670, (consulté le 01/12/2022).

DUPRÉ Mathilde, « Le parlement exige la sortie de l’UE du TCE », 24/11/2022, [en ligne], URL : https://www.veblen-institute.org/Le-Parlement-exige-la-sortie-de-l-UE-du-TCE.html,, (consulté le 01/12/2022), (Cité : DUPRÉ, Sortie du TCE).

DUPRÉ Mathilde, « Plainte de 5 jeunes victimes climatiques devant la CEDH contre 12 États au sujet de la protection des investissements fossiles », 23/06/2022, [en ligne], URL :  https://www.veblen-institute.org/Plainte-de-5-jeunes-victimes-climatiques-devant-la-CEDH-contre-12-Etats-au-1282.html, (consulté le 01/12/2022), (Cité : DUPRÉ, Plainte devant la CEDH).

EXIT ECT, [en ligne], URL : https://www.exitect.org, (consulté le 01/12/2022).

FEBVRE Coralie, « L’Allemagne lance sa sortie du charbon », 16/01/2020, [en ligne], URL : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/transitions-ecologiques/l-allemagne-lance-sa-sortie-du-charbon-837346.html, (consulté le 01/12/2022).

GENDRE Inès, « Qu’est-ce que traité sur la charte de l’énergie ? », 24/10/2022, [en ligne], URL : https://greenly.earth/fr-fr/blog/guide-entreprise/qu-est-ce-que-le-traite-sur-la-charte-de-l-energie, (consulté le 01/12/2022).

LE PARLEMENT SUISSE, « Pour la transition énergétique. Se retirer du traité », 11/03/2021[en ligne], URL : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20213151, (consulté le 01/12/2022).

CHALLENGES, France : La France se retire du Traité sur la charte de l’énergie, 21/10/2022, en ligne], URL : https://www.challenges.fr/videos/france-la-france-se-retire-du-traite-sur-la-charte-de-lenergie_q5558pz, (consulté le 01/12/2022)

NATIONS UNIES, « L’Accord de Paris », [en ligne], URL : https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris, (consulté le 01/12/2022).

ROCKHOPPER EXPLOIRATION PLC, « Succefull arbitration out come », 24/08/2022, [en ligne], URL : https://otp.tools.investis.com/clients/uk/rockhopperexploration2/rns/regulatory-story.aspx?cid=441&newsid=1618241, (consulté le 01/12/2022).

SECRETARIAT GENERAL DETEC, « Energie : le Conseil fédéral adopte la nouvelle mouture du Traité sur la charte de l’énergie », 09/11/2022, [en ligne], URL https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-91286.html, (consulté le 01/12/2022).

WILSON Alex Benjamin, La charte de l’énergie : une procédure multilatérale de gestion des relations commerciales dans le domaine de l’énergie : analyse approfondie, Luxembourg (Publications Office), 2017. 


Source image : https://pixabay.com/fr/vectors/vent-énergie-éolienne-7595553/


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