Le 21 novembre 2024, un mandat d’arrêt est lancé par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à l’encontre de l’un des chefs du Hamas, Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri, l’ex-ministre de la Défense Yoav Gallant et Benjamin Netanyahou, l’actuel premier ministre israélien[1].
Cette décision est une réponse à l’escalade de violence que connaît le conflit israélo-palestinien depuis l’attaque du Hamas contre Israël en octobre 2023[2]. Cet événement a engendré une riposte des Israéliens sur la bande de Gaza perçue comme justifiée pour certains et disproportionnée et cruelle pour d’autres.
Cette « actualité » est l’occasion de comprendre quel est le rôle de la CPI, quels sont les évènements ayant abouti à sa création, quelles sont les controverses et critiques qui l’entourent, et enfin quels sont les effets concrets de ce mandat d’arrêt pour Benjamin Netanyahou.
Le rôle et la mission de la CPI
La Cour pénale internationale, dont le traité fondateur est le statut de Rome, a pour principal objectif la lutte contre l’impunité des dirigeants auteurs de crimes graves. La CPI enquête, émet des mandats d’arrêt et juge les personnes accusées d’avoir perpétré un ou plusieurs crimes internationaux[3]. Si plusieurs tribunaux pénaux ad hoc ont vu le jour durant le 20ème siècle, la CPI est la seule institution pénale internationale permanente ayant une mission universelle.
Bien que la mission de la CPI soit universelle, ce n’est pas le cas de sa compétence. En ce qui concerne sa compétence temporelle (ratione temporis), la Cour juge uniquement les actes qui se sont déroulés après l’entrée en vigueur du statut de Rome, soit après le 1er juillet 2002. Au niveau de sa compétence personnelle (ratione personae), la Cour ne peut attraire en justice que des personnes physiques étant âgées de 18 ans révolus. Les personnes morales ou encore les gouvernements sont exclus. La compétence matérielle de la Cour porte sur les crimes internationaux, à savoir le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression. Enfin, en matière territoriale (ratione loci), la CPI est compétente dans quatre situations : lorsqu’un crime international a eu lieu sur le territoire d’un État partie au statut de Rome, lorsque l’auteur du crime est un ressortissant d’un État partie, lorsque le Conseil de sécurité la saisit, que l’État en question soit partie au traité ou non et enfin lorsqu’un État qui n’est pas partie au traité reconnaît la compétence de la Cour dans un cas donné[4]. S’il est vrai que le Conseil de sécurité peut faire appel à la CPI pour certaines situations, cela ne signifie pas pour autant que la Cour est un organe des Nations Unies.
Par ailleurs, selon le principe de complémentarité, la Cour pénale internationale est subsidiaire aux systèmes judiciaires nationaux. De ce fait, elle n’intervient que lorsque les États ne peuvent pas ou ne souhaitent pas poursuivre l’auteur d’un crime couvert par la juridiction de la CPI[5].
Historique
Les origines de la CPI prennent racine au milieu du 20ème siècle. La fin de la Seconde Guerre mondiale signe le triomphe des pays alliés et l’effondrement des régimes totalitaires de l’Axe. À la suite de ce conflit sanglant qui s’est soldé par des dizaines de millions de morts dont environ 6 millions de Juifs, les alliés mettent en place des tribunaux ad hoc à Nuremberg et à Tokyo, afin de juger les crimes hors-normes commis par les Nazis et le Japon durant le conflit. Durant cette même période, la Commission du droit international (CDI) de l’ONU œuvre à la rédaction du statut d’une cour criminelle internationale compétente pour juger des crimes internationaux, mais l’avènement de la guerre froide ralentit le projet qui sera par la suite abandonné pendant de nombreuses années. Il faudra attendre la fin des années 90, marquée par la guerre de Yougoslavie et le génocide rwandais, ainsi que la création de tribunaux ad hoc respectifs, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR)[6] pour ressusciter le projet d’une Cour internationale. Le projet va finalement aboutir à l’adoption du statut de Rome le 17 juillet 1998 par 120 États et le statut entrera finalement en vigueur le 1er juillet 2002 après la ratification de 60 États[7]. Actuellement le statut de la CPI a été ratifiée par 125 pays, Toutefois, des puissances majeures comme les Etats-Unis,0 la Russie, la Chine, l’Inde ou encore l’Israël en sont des grands absents[8].
Les critiques et controverses
Les critiques et les controverses entourant la Cour pénale internationale ont débuté dès sa création et continuent de s’accentuer au fil de son existence. Beaucoup estiment que la Cour exerce une justice à deux vitesses, ciblant majoritairement les responsables africains tout en faisant preuve de complaisance envers les dirigeants occidentaux. Le reproche fait à la Cour, selon laquelle elle poursuit une politique ou plutôt une justice néocolonialiste, n’est pas sans fondement puisque la plus grande partie des enquêtes de la CPI concerne des suspicions de crimes internationaux sur le continent africain. Enfin, jusqu’à présent, les seuls condamnés par la justice pénale internationale sont des ressortissants africains[9]. Face à ces accusations, la CPI rétorque que la majorité des enquêtes ouvertes en Afrique l’ont été à la demande des pays en question[10].
Les détracteurs de la Cour pénale internationale avancent également son manque d’efficacité et sa lenteur. Depuis l’entrée en vigueur du statut de Rome, seul cinq personnes ont été condamnées pour différents crimes internationaux[11]. Le manque d’indépendance de la CPI est aussi un aspect problématique. La Cour ne dispose pas d’un appareil de répression lui permettant de poursuivre et d’arrêter les personnes accusées. Pour pallier ce manque, elle est obligée de s’appuyer sur la coopération des États-membres afin qu’ils émettent des mandats d’arrêt sur leur territoire à l’encontre des suspects désignés par la CPI. Si en théorie les États-membres sont tenus d’arrêter toute personne faisant l’objet d’un mandat de la CPI sur son sol, dans la pratique, il est courant que les États se montrent réticents à l’arrestation de certains responsables sur leur sol pour des raisons politiques et diplomatiques[12]. Ce fut notamment le cas lorsque la Mongolie a accueilli Vladimir Poutine en septembre 2024 malgré le mandat d’arrêt lancé à son encontre par la CPI depuis mars 2023[13]. La dépendance envers les États est également financière. Son existence repose principalement sur la contribution financière des États-parties, les grandes puissances signataires de la CPI comme le Japon, la France, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, sont les plus gros contributeurs. Cette dépendance financière suscite des préoccupations quant à une possible instrumentalisation politique au bénéfice des plus gros contributeurs ou encore une réticence à enquêter sur certains dirigeants de peur de voir son budget être réduit drastiquement[14].
Le cas Netanyahou, que risque-t-il vraiment ?
Tout d’abord, Israël n’étant pas partie au statut de Rome, il ne reconnaît aucune légitimité à la Cour. Ainsi, la décision de la CPI n’est aucunement contraignante pour le gouvernement israélien. En revanche, les pays parties au statut de Rome sont tenus de respecter la décision de la CPI et d’arrêter le chef d’État Israélien s’il venait à poser pied sur leur sol[15]. Si plusieurs États parties comme la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas ou encore l’Irlande ont fait savoir publiquement qu’ils allaient arrêter Benjamin Netanyahou si ce dernier se rendait sur leur territoire, d’autres pays membres comme la Hongrie se sont opposés au mandat et ont refusé de l’exécuter[16]. Depuis la décision de la CPI, Netanyahou a drastiquement réduit ses déplacements et ne s’est pour l’instant pas rendu dans un pays membre de la CPI. Ainsi, l’effet du mandat d’arrêt de la CPI est avant tout diplomatique dans la mesure où il devient compliqué pour les États parties au statut de maintenir des rapports diplomatiques publics avec le premier ministre Israélien. Toutefois ses effets diplomatiques restent limités, car l’absence de pays clés comme les Etats-Unis, la Russie ou encore la Chine au statut de Rome minimise les répercussions politiques et juridiques du mandat d’arrêt émis par la CPI. Netanyahou peut ainsi continuer d’entretenir des rapports diplomatiques publics et de se rendre dans ces pays sans risquer d’être arrêté.
Conclusion
En conclusion, le cas du mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale a permis de mettre en exergue les difficultés et les limites auxquelles fait face la justice pénale internationale pour se faire appliquer face aux intérêts politiques des dirigeants. A travers l’article nous avons également pu nous pencher sur l’histoire de la création de la CPI, sur sa mission contre l’impunité ainsi que sur les critiques auxquelles elle est confrontée. Ce tour d’horizon nous pousse à nous interroger sur le réel impact juridique et politique de la CPI ainsi que sur son avenir.
Anggy Grossrieder
[1] https://www.icc-cpi.int/fr/news/situation-dans-letat-de-palestine-la-chambre-preliminaire-i-de-la-cpi-rejette-les-exceptions
[2] https://www.rts.ch/info/monde/2024/article/la-cpi-emet-des-mandats-d-arret-contre-benjamin-netanyahu-et-le-chef-de-la-branche-armee-du-hamas-28702375.html
[3] https://onu.delegfrance.org/cour-penale-internationale-cpi
[4]https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf
[5] https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/09/ior400012004fra.pdf
[6] https://press.un.org/fr/1998/19980615.l202.html
[7]https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf
[8] https://www.pgaction.org/fr/ilhr/rome-statute/states-parties.html
[9] https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2014-v45-n1-ei01412/1025115ar.pdf
[10] https://www.icc-cpi.int/fr/news/la-cpi-souligne-son-impartialite-et-reitere-son-engagement-la-cooperation-avec-lunion
[11] https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/294485-justice-penale-internationale-quel-bilan-par-johann-soufi
[12] https://information.tv5monde.com/international/la-cour-penale-internationale-une-justice-sans-pouvoir-coercitif-2749569
[13] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/18/justice-internationale-si-l-on-ne-veut-pas-que-la-cpi-ne-soit-qu-un-sabre-de-bois-il-faut-prevoir-la-possibilite-de-juger-par-defaut_6323015_3232.html#:~:text=Oui%20%3A%20si%20l’on%20ne,possibilité%20de%20juger%20par%20défaut.).
[14] https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/11/states-shouldnt-use-icc-budget-to-interfere-with-its-work/
[15] https://fr.timesofisrael.com/mandats-darret-de-la-cpi-contre-gallant-et-netanyahu-reactions-internationales/
[16] https://www.reuters.com/world/europe/pm-orban-says-he-will-invite-israeli-pm-netanyahu-hungary-after-icc-move-2024-11-22/.
Bibliographie :
Cour pénale internationale (2024). Situation dans l’État de Palestine : la Chambre préliminaire I de la CPI rejette les exceptions. [En ligne]. Disponible sur : https://www.icc-cpi.int/fr/news/situation-dans-letat-de-palestine-la-chambre-preliminaire-i-de-la-cpi-rejette-les-exceptions [Consulté le 1 février 2025].
Radio Télévision Suisse (RTS) (2024). La CPI émet des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahou et le chef de la branche armée du Hamas. [En ligne]. Disponible sur : https://www.rts.ch/info/monde/2024/article/la-cpi-emet-des-mandats-d-arret-contre-benjamin-netanyahu-et-le-chef-de-la-branche-armee-du-hamas-28702375.html [Consulté le 1 février 2025].
Représentation permanente de la France auprès des Nations unies (s.d.). Cour pénale internationale (CPI). [En ligne]. Disponible sur : https://onu.delegfrance.org/cour-penale-internationale-cpi [Consulté le 5 février 2025].
Cour pénale internationale (2002). Statut de Rome de la Cour pénale internationale. [En ligne]. Disponible sur : https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf [Consulté le 7 février 2025].
Amnesty International (2004). La Cour pénale internationale – Principes fondamentaux et pratique. [En ligne]. Disponible sur : https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/09/ior400012004fra.pdf [Consulté le 7 février 2025].
Nations unies (1998). Conférence de Rome sur la Cour pénale internationale – Adoption du Statut de Rome. [En ligne]. Disponible sur : https://press.un.org/fr/1998/19980615.l202.html [Consulté le 7 février 2025].
Érudit (2014). Ndagijimana, François-Xavier. L’Afrique et la Cour pénale internationale : La coopération ou la rupture ?. Études internationales, volume 45, numéro 1. [En ligne]. Disponible sur : https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2014-v45-n1-ei01412/1025115ar.pdf [Consulté le 12 février 2025].
Cour pénale internationale (2024). La CPI souligne son impartialité et réitère son engagement à la coopération avec l’Union africaine. [En ligne]. Disponible sur : https://www.icc-cpi.int/fr/news/la-cpi-souligne-son-impartialite-et-reitere-son-engagement-la-cooperation-avec-lunion [Consulté le 12 février 2025].
Vie Publique (2023). Soufi, Johann. Justice pénale internationale : quel bilan ?. [En ligne]. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/294485-justice-penale-internationale-quel-bilan-par-johann-soufi [Consulté le 13 février 2025].
TV5 Monde (2024). La Cour pénale internationale : une justice sans pouvoir coercitif. [En ligne]. Disponible sur : https://information.tv5monde.com/international/la-cour-penale-internationale-une-justice-sans-pouvoir-coercitif-2749569[Consulté le 14 février 2025].
Le Monde (2024). Justice internationale : « Si l’on ne veut pas que la CPI ne soit qu’un sabre de bois, il faut prévoir la possibilité de juger par défaut ». [En ligne]. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/18/justice-internationale-si-l-on-ne-veut-pas-que-la-cpi-ne-soit-qu-un-sabre-de-bois-il-faut-prevoir-la-possibilite-de-juger-par-defaut_6323015_3232.html [Consulté le 14 février 2025].
Amnesty International (2016). Les États ne doivent pas utiliser le budget de la CPI pour interférer avec son travail. [En ligne]. Disponible sur : https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/11/states-shouldnt-use-icc-budget-to-interfere-with-its-work/ [Consulté le 14 février 2025].
Times of Israel (2024). Mandats d’arrêt de la CPI contre Gallant et Netanyahou : réactions internationales. [En ligne]. Disponible sur : https://fr.timesofisrael.com/mandats-darret-de-la-cpi-contre-gallant-et-netanyahu-reactions-internationales/ [Consulté le 15 février 2025].
Reuters (2024). PM Orban says he will invite Israeli PM Netanyahu to Hungary after ICC move. [En ligne]. Disponible sur : https://www.reuters.com/world/europe/pm-orban-says-he-will-invite-israeli-pm-netanyahu-hungary-after-icc-move-2024-11-22/ [Consulté le 15 février 2025].
Source image : https://www.pexels.com/fr-fr/photo/globe-de-bureau-sur-lentille-peu-profonde-335394/