Découverte du métier de juriste bancaire : Interview de Maître MARTI

Découverte du métier de juriste bancaire : Interview de Maître MARTI

Directeur de l’unité d’affaires juridique et conformité qui comprend plusieurs départements dont celui du département juridique et conformité de la Banque Cantonale de Genève, Maître Philippe Marti qui d’ordinaire cultive une grande discrétion, a accepté de nous accorder un entretien et nous l’en remercions vivement.

En espérant, qu’à travers le récit de son parcours ainsi que de ses précieux conseils, ceux qui parmi nos lecteurs sont intéressés, voire curieux de la fonction de juriste en entreprise, trouveront des pistes et informations utiles à leur questionnement.



Maître Philippe Marti

Maître Marti, bonjour,  après d’âpres recherches sur votre parcours, force est de constater que vous étiez très discret, donc trouver des informations sur celui-ci s’est révélé impossible. Ainsi, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Me P. Marti. Effectivement, je pratique l’adage qui dit  que « pour vivre heureux, vivons caché ». Je suis né au bord de la mer en France, d’un père français et d’une maman genevoise. Après avoir vécu brièvement à Madagascar, nous nous sommes rapidement installés à Genève, lorsque j’avais six ans. Donc, je suis fondamentalement genevois.

Quel est votre parcours académique ?

Me P. Marti. Mon parcours est banalement original pour un juriste de formation genevoise. J’ai fréquenté le Collège Rousseau. À cette époque, le Collège Rousseau était très libéral tant par la pratique du système à options que par la mentalité et l’ambiance qui y régnait. Le Collège était très élitiste et il destinait uniquement à l’université. L’enseignement de matières telles que le droit ou la comptabilité était contre-nature. Ce type de matières était enseigné qu’au sein des écoles de commerce où l’on apprenait les professions dites pratiques. Puis, j’ai fait la faculté de Droit de l’Université de Genève où j’y ai obtenu une licence en Droit.

Pourquoi avoir choisi des études de droit ?

Me P. Marti. J’ai choisi d’étudier le droit et non pas une des autres disciplines déjà étudiées au collège (telles que le latin, le français ou bien encore les mathématiques), parce qu’à l’issue de ma scolarité post obligatoire j’ai eu une certaine lassitude des matières dites basiques. Donc, à un moment je me suis dit « tiens le droit je ne connais pas, je n’en ai jamais fait ». Le choix des études de droit s’est donc fait par élimination et par goût de choisir quelque chose de nouveau.

Si je comprends bien, le droit n’était pas votre premier choix ?

Me P. Marti. Personnellement je ne suis pas un « passionné du droit » et je ne suis pas loin de penser que les passionnés de droit doivent développer des névroses assez puissantes. D’ailleurs, à cette époque j’ai hésité à devenir musicien professionnel, car je faisais beaucoup de guitare classique. Toutefois, je pense avoir fait le bon choix .

Quelle est la suite de votre parcours académique et professionnel ?

Me P. Marti.  Après l’obtention de ma licence, j’ai fait un stage d’avocat avec à la clé le brevet d’avocat dans une Étude qui était plutôt orientée droit des affaires et qui n’existe plus dans sa composition actuelle. Puis, j’ai travaillé pendant deux ans dans cette Étude en tant que jeune avocat. Après cela, j’ai eu envie de changer et je suis parti à l’UBS pour y effectuer un stage « allround » de vingt-quatre mois. Le but de ce type de stage était de découvrir le fonctionnement du monde bancaire en travaillant dans divers départements avant d’être affecté à un service précis. Dans mon cas,  l’idée était de finir au service juridique. Et effectivement, après avoir travaillé dans plusieurs départements et services dont celui du secrétariat général (qui était une espèce de cockpit sur toutes les activités), j’ai terminé mon stage au service juridique et j’y suis resté. Depuis, je n’ai plus quitté le monde bancaire.

Ce stage à l’UBS marque donc votre passage de l’exercice de la profession de juriste en cabinet vers une pratique en entreprise. Quels sont les autres postes que vous avez occupés après votre départ de l’UBS ?

Me P. Marti. Actuellement, j’occupe le poste de Directeur juridique et conformité à la Banque Cantonale de Genève. Ma fonction relève plutôt du rôle de supervision et d’organisation dans une équipe qui comporte 42 personnes dans différents types de départements. Mais auparavant, comme je l’ai précédemment indiqué, j’ai travaillé pendant de nombreuses années à l’UBS en tant que juriste généraliste, car à l’époque il n’y avait pas spécialités, on devait savoir tout faire. Puis, la crise immobilière de la fin des années 80 et du début des années 90 a entraîné une transformation rapide du Département Juridique de l’UBS en un Département de contentieux et j’ai trouvé cela limitatif. J’ai eu l’opportunité de reprendre la responsabilité du Département juridique de la Banque Populaire, Après son rachat par le Crédit Suisse, j’y ai travaillé encore sept ans au sein du Département juridique pour la Suisse romande. Un peu plus tard, j’ai travaillé d’abord quatre ans à la BNP Paribas dans le domaine du Private Banking, puis au Crédit Agricole Suisse où j’ai exercé la fonction de responsable de la section du service juridique qui s’occupait des affaires de Private Banking, pour enfin rejoindre la Banque Cantonale de Genève.

Au préalable, vous vous êtes décrit comme étant profondément genevois, par conséquent, cela fait sens d’occuper votre fonction actuelle au sein de la Banque Cantonale de Genève ?

Me P. Marti. Il y a 11 ans, le Private Banking était malmené à la suite du scandale relatif au secret bancaire et de l’agression des autorités américaines à l’égard de la clientèle étrangère. Ce domaine perdait de sa superbe. J’ai donc choisi de saisir l’opportunité de retourner à des activités plus régionales, plus larges et diversifiées, en prenant la direction du Juridique d’une banque locale mais universelle. À la BCGE nous faisons  des activités très diversifiées au sein du département juridique. D’ailleurs, nous sommes la seule banque universelle genevoise qui est gérée à Genève et non pas à Zurich ou Londres pour ne citer que ces deux villes. Dans ce type de banque, on a la faculté d’appréhender tous les domaines.  Par exemple, on peut être amené à  s’occuper d’un contrat de bail parce que la banque est propriétaire, d’un contrat de travail, de la distribution d’un produit bancaire ou bien encore répondre à une question sur l’étendue d’une procuration etc… C’est donc très large et très challenging. Cela nécessite de garder une curiosité et une capacité à appréhender tous les domaines.

Au vu de votre actuelle fonction, peut-on en déduire que vous aviez une appétence pour le domaine économique lorsque vous étiez à l’université ?

Me P. Marti. Pour être honnête, je n’avais aucune appétence ou goût pour les affaires. Lorsque j’étais au Collège,  mes domaines de prédilection et mes forces étaient plutôt la philosophie et le français. À mon époque, il n’y avait pas ce genre de filière ou de spécialisation.  À titre illustratif, les deux seules matières qui se rapprochaient le plus du domaine des affaires, c’était le cours de droit commercial qui était obligatoire et celui de droit fiscal qui lui en revanche était facultatif. D’ailleurs, j’avais choisi de suivre les cours de philosophie du droit et de propriété intellectuelle qui eux étaient en option.

Donc, si j’ai bien compris, pour exercer ultérieurement la fonction de juriste bancaire, il n’est pas nécessaire de choisir obligatoirement, des matières purement économique voire une filière telle qu’une maîtrise en droit économique ?

Me P. Marti. Pour moi la réponse est évidente, on doit faire ce qui nous porte, ce pourquoi on a un désir, une flamme et ce que l’on est capable de faire avec intensité et qualité. Dans le fond, finalement peu importe ce qu’on étudie. Par exemple, dans notre Département Juridique, nous avons des collaborateurs aux profils et parcours atypiques et diversifiés. Dès lors qu’on a le goût du travail et la motivation, je pense que la capacité pour exercer cette fonction peut être acquise par la persévérance dans des activités qui sont totalement indépendantes du domaine juridique.

Le plus important, c’est que l’étudiant fasse ce qu’il est capable de faire en fonction de ses aspirations, là où la flamme le porte. S’il excelle dans un domaine qui lui plaît, qu’il parvient à défricher et maîtriser les sujets dans ce domaine et bien par la suite il sera capable de reproduire ce même mécanisme dans le domaine bancaire. Par exemple un étudiant qui choisit la filière de droit humanitaire par envie et qui le réussit  et bien la maîtrise de la matière bancaire est parfaitement à sa portée. Donc, il n’est pas absolument nécessaire d’avoir suivi les branches qui sont spécifiquement économiques. Même s’il s’agit d’un pari audacieux.

De plus, il ne faut pas oublier que la banque est un domaine qui regroupe de nombreuses professions qui sont nécessaires. Évidemment, si l’on veut être juriste au sein d’une banque, il faut avoir fait des études de droit. Mais je pense que si je dois engager quelqu’un, je ne vais pas forcément regarder uniquement celui qui a fait une formation, qui à priori serait plus adéquate. Il y a une question d’attitude, de motivation, de capacité de travail, d’intérêt de la passion.

Enfin, il faut démystifier cette idée reçue qui veut que lorsqu’on choisit un cursus plus économique on est forcément motivé par le gain. Il y a une dimension humaine qui est extrêmement puissante et non négligeable dans le domaine bancaire. Par exemple, lorsqu’il s’agit de statuer sur une réclamation de quelqu’un qui est en grande difficulté financière, il faut faire valoir sa sensibilité, son appréciation d’une situation singulière. Il y a donc une place à la subjectivité et au rapport humain qui est très forte dans le domaine économique.

Au regard de votre fonction et de vos expériences, quelles sont selon vous, les qualités et les compétences requises pour devenir un bon juriste ?

Me P. Marti. Pour travailler dans une entreprise et particulièrement dans une banque, il y a des constantes de caractères et de comportements qui sont nécessaires. D’ailleurs, je pense que ces qualités s’appliquent tant à l’exercice en entreprise qu’à celle au barreau.

  • D’abord, le juriste d’entreprise, tout comme l’avocat indépendant, doit inspirer confiance. Il doit comprendre les besoins et privilégier une approche holistique des choses en pensant à long terme. Par exemple, avoir une vision à long terme en rédigeant un contrat ou un formulaire, en tenant compte de la durée de vie de ces documents ;
  • Puis, pour exercer correctement le métier de juriste d’entreprise, il est nécessaire d’être curieux mais de rester critique, d’être empathique mais indépendant ;
  • Il faut savoir conserver ses connaissances à jour parce qu’il y a une inflation de règlementation, de changement. La faculté de se maintenir à jour permet de ne pas perdre pied et de conserver son employabilité ;
  • Enfin, il faut être capable de s’exprimer avec simplicité et savoir faire passer les messages, avoir la faculté de synthèse. Il faut absolument éviter le jargon qui a beaucoup caractérisé les professions d’avocats et de médecins, car au fond on ne comprend pas ce charabia. En réalité, avant ces professions cultivaient cette habitude d’utiliser des termes compliqués pour ne pas être compris et créer une distance par rapport aux clients. Il y a encore une vingtaine d’années dans le Département Juridique des banques il était de bon usage d’utiliser des locutions latines dans les réponses au front.

Quels sont les principaux enjeux actuels à appréhender pour les jeunes juristes d’entreprise ?

Me P. Marti. Une chose qui a radicalement changé en 30 ans c’est la vitesse d’exécution. Aujourd’hui, il faut aller vite, il faut être capable de délivrer. Avant, nous pouvions prendre le temps pour peaufiner, réfléchir et l’impératif de rentabilité était moins important. Actuellement, il est essentiel de savoir fixer des priorités et gérer son temps et ça c’est difficile. Par exemple, je reçois une centaine de mail par jour, si je devais tous les lire avec grande attention, je m’y perdrais.

Il faut savoir choisir quels sont les bons combats, savoir quand est-ce qu’il faut intervenir plutôt que laisser faire. Ainsi, de temps en temps, une réponse imparfaite ou un contrat moyennement rédigé peut suffire car on ne peut pas en permanence tout contrôler et tout bien faire, sous peine de ne rien délivrer. Cela nécessite une certaine tolérance dans l’exécution des choses.  On ne travaille pas plus mal, mais plus vite.

Pour conclure, quels conseils, donnez-vous aux étudiants en droit qui sont intéressés ou sérieux  d’exercer ce métier ?

Me P. Marti. Je leur dit, fonce ! Travaille ! N’ai pas peur de la difficulté, soit prêt à en prendre dans la figure et à te relever. Il faut être prêt à travailler.

Après ces mots très encourageants, nous renouvelons nos remerciements à Maître Philippe Marti, pour le temps qu’il a bien voulu nous accorder et pour tous les précieux conseils.

Kettia CASIMIR LAYAT

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