Fabrice ANTHAMATTEN et « La Pâquerette » : une thérapie qui vire au drame

Fabrice ANTHAMATTEN et « La Pâquerette » : une thérapie qui vire au drame

Depuis notre plus jeune âge, on nous apprend que chacun de nos actes entraîne des conséquences. Certains se rappelleront même des réprimandes qu’ils ont vécu au sein de leur foyer ou durant leur scolarité. A travers cet article, nous nous pencherons sur les fonctions de la sanction pénale, du centre de « La Pâquerette » ainsi que du cas de Fabrice ANTHAMATTEN. 



Fonction de la sanction 

Il existe deux grandes catégories de fonction de la sanction. Entre expiation et rétribution, la sanction a en premier lieu une dimension morale.

Nous ne sommes pas sans savoir que la religion a longtemps exercé une grande influence sur le fonctionnement des différentes sociétés. Certains philosophes tels que Rousseau avec le contrat social étaient intimement persuadés que le droit et la morale étaient liés. C’est ainsi que la purgation de la sanction pouvait être considérée comme une purgation de l’âme, « une souffrance imposée à la suite d’une faute »[1].

« On conçoit alors la peine comme entièrement subordonnée à la possibilité du salut du criminel, ce qui, dans la perspective d’une rédemption religieuse, peut signifier l’ouverture à une dimension qui réside au-delà de l’offense, à un avenir qui dépasse la culpabilité. »[2], Daniela LAPENNA, docteur de recherche en philosophie politique et juridique

La loi du talion concrétisée parle célèbre proverbe connu de tous « œil pour œil, dent pour dent », marque une facette de nos sanctions. Alors que la vengeance et la justice individuelle semblent loin de notre système judiciaire, lorsque nous abordons le sujet houleux de l’intensité des sanctions qui devraient être prononcées, notamment dans le cadre de crimes particulièrement atroces, la société semble déchirée en ce qui concerne la réciprocité entre peine et acte. La sanction est dès lors synonyme de punition dont l’auteur doit s’acquitter en raison des préjudices qu’il a fait subir à la société.

« Si l’on pratique « oeil pour oeil, dent pour dent », le monde entier sera bientôt aveugle et édenté »

GANDHI

Ainsi, la sanction ne doit pas seulement se focaliser sur le passé mais doit aussi préparer l’avenir. La seconde fonction qu’on lui attribue est celle dite utilitaire. En prononçant des sanctions, le sentiment d’injustice que pourrait ressentir la société face à de tels actes est adouci et la cohésion sociale, moteur d’un équilibre durable, est préservée. Celle-ci doit aussi permettre la resocialisation de l’auteur afin qu’il puisse réintégrer de manière pérenne la vie en communauté. La sanction a un également un rôle de dissuasion. Elle contribue avant tout, à une prévention spéciale, en favorisant une prise de conscience de la part de l’auteur par rapport à la gravité de ses actes et de ce fait limite les récidives.[3] De surcroît, la dissuasion se fait ressentir parmi tous les auteurs potentiels par le biais d’une prévention générale. Enfin, parmi les nombreuses utilités de la sanction se trouvent la réconciliation, la réparation mais surtout le maintien d’un espace de vie sécuritaire pour chacun d’entre nous.

« La Pâquerette »

C’est dans une volonté de repenser le milieu carcéral que le centre de sociothérapie « La Pâquerette » a vu le jour en 1986. Installé au 4ème étage de la prison de Champ-Dollon dans le canton de Genève et à l’origine, en étroite collaboration avec les Hôpitaux Universitaires de Genève, « la Pâquerette » accueille une dizaine de détenus considérés comme étant particulièrement dangereux et souffrant de trouble de la personnalité. Depuis 1999, le centre de « La Pâquerette » est avant tout un centre thérapeutique indépendant appartenant aux HUG. 

C’est en prenant en considération « que la condition carcérale porte en elle-même un risque élevé de dommage psychique »[4] que le centre de « La Pâquerette » a su se montrer pionnier dans l’accompagnement des détenus considérés comme particulièrement dangereux. 

La sociothérapie dont l’objectif est de permettre la réintégration des patients dans un groupe communautaire afin d’améliorer les relations sociales, offre aux détenus dûment sélectionnés l’opportunité de quitter le milieu carcéral traditionnel.[5]

« Notre mission est clairement de préparer les conditions personnelles et environnementales au retour à la vie libre »[6], Véronique MERLINI dans le Temps, directrice du centre

Ainsi, des sorties accompagnées et individualisées sont organisées progressivement dans le but de permettre notamment aux détenus de «favoriser la reprise des relations familiales, affectives [et] sociales »[7].

Fabrice Michel Claude ANTHAMATTEN

L’affaire de Fabrice ANTHAMATTEN est très certainement la plus tourmentée du centre de « La Pâquerette ». En 1999, Monsieur ANTHAMATTEN, franco-suisse, est condamné par la Suisse à 18 mois de prison avec sursis, après avoir menacé au couteau, passé les menottes puis violé une femme à Ferney-Voltaire. En 2001, l’auteur récidive : il menace avec un couteau sa nouvelle victime, la menotte, la viole, la vole puis fuit à Dublin avec les 25’000 francs volés[8].

Le violeur multi récidiviste est condamné à 15 ans de peine privative de liberté avec une « obligation de soins psychiatriques »[9] et est transféré en 2008 pour continuer de purger sa peine à la prison de Champ-Dollon, en Suisse, après en avoir fait la demande.[10]  Alors que sa peine initialement prévue incorporait des soins psychiatriques obligatoires au risque de voir sa peine privative de liberté être prolongée de 5 ans, arrivé en Suisse, Fabrice ANTHAMATTEN est devenu « un prisonnier lambda », qui, de lui-même, s’est porté volontaire pour effectuer un suivi thérapeutique. 

« Nous sommes ainsi passés d’une obligation de soins psychiatriques – la plus élevée prévue par le code de procédure pénale français, je le répète – à un suivi thérapeutique volontaire »[11]

Thomas BLÄSI

C’est ainsi que Fabrice ANTHAMATTEN a intégré le centre de « La Pâquerette ». Alors qu’il suit les divers programmes de ce service, le 12 septembre 2013, le drame se produit.

En ce jour, une sortie équestre favorisant sa réinsertion sociale est organisée. Adeline MOREL, thérapeute au sein de « La Pâquerette » depuis 2007 l’accompagne. Cependant, ni Fabrice ANTHAMATTEN, ni Adeline MOREL ne se rendront au rendez-vous. 

Le prévenu ayant quelques courses à faire, les deux individus se sont rendus à la Place du Marché à Carouge. Parmi les achats effectués, se trouvait un couteau « destiné à nettoyer les sabots des chevaux »[12]. Le corps d’Adeline MOREL, mère d’un enfant de huit mois, a été retrouvé égorgé, attaché à un arbre à proximité du centre équestre. Après quoi, une notice rouge a été demandée par la Suisse auprès d’Interpol et le fugitif a été retrouvé proche de la frontière germano-polonaise, le 15 septembre 2013.[13] Le prévenu a été extradé vers la Suisse deux mois après son arrestation. 

À la suite de diverses enquêtes administratives, il a été mis en évidence que « La Pâquerette » a souffert de dysfonctionnement qui ont mené inévitablement à ce drame. La permission de sortie de Fabrice ANTHAMATTEN fut remise en cause dans la mesure où il s’agit d’un criminel dangereux. La permission de l’achat du cure-pied a en outre été blâmée. La situation a mené à deux jugements dont le premier qui a eu lieu en 2016 a dû être reporté en 2017 afin de procéder à une énième expertise psychiatrique du détenu. 

Enfin, le 24 mai 2017, Fabrice ANTHAMATTEN a été condamné pour meurtre, enlèvement, contrainte sexuelle et vol à une peine privative de liberté à vie.[14]

Quant au centre « La Pâquerette », à la suite de diverses mesures entreprises telles que l’interdiction de l’utilisation de téléphone ou encore la mise en place d’une fouille générale, celui-ci a fermé ses portes le 15 janvier 2014.[15]L’établissement fermé Curabilis a désormais pris le relais concernant la prise en charge des détenus nécessitant des traitements thérapeutiques. Malgré les similarités, l’établissement Curabilis a su trouver un équilibre entre sécurité et réinsertion.

«À La Pâquerette, il y avait un certain mélange des rôles. Les thérapeutes soignaient les détenus et décidaient aussi s’ils pouvaient sortir. A l’avenir, ce ne sera plus le cas»[16]

Mauro POGGIA, Responsable de la santé

Pour conclure, l’affaire de « La Pâquerette » reste et restera une tragédie bouleversante de notre système carcéral. Elle met en avant, la nécessité mais aussi la difficulté de trouver un équilibre entre sanction et réinsertion des détenus. L’utilité de la sanction pénale est mise en avant mais le centre de sociothérapie « La Pâquerette », malgré sa bonne volonté a sans aucun doute été dépassée par la réalité carcérale.

Carole Petot


[1] KUHN, p.78

[2] LAPENNA, p. 241

[3] KUHN, p. 61

[4] BERNHEIM, N. 141-147.

[5] HUG.

[6] MANSOUR.

[7] MERLINI, p. 171.

[8] GRABET.

[9] https://ge.ch/grandconseil/m/memorial/seances/010414/79/.

[10] ARRIGONI.

[11] https://ge.ch/grandconseil/m/memorial/seances/010414/79/.

[12] LE FIGARO.

[13] INTERPOL.

[14] GRABET GHI.

[15] SECRETARIAT DU GRAND CONSEIL, p. 154.

[16] ROSELI/DAVARIS.


Bibliographie : 

ARRIGONI Germain, Fin de cavale du Franco-Suisse soupçonné de meurtre, Ici, 15.09.2013, [en ligne], URL: https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/fin-de-cavale-du-franco-suisse-soupconne-de-meurtre-1379250120(dernière consultation le 26.10.2023).

BERNHEIM Jacques, Sociothérapie institutionnelle des détenus présentant un désordre grave du caractère : l’expérience de « La Pâquerette » à d Champ-Dollon (Genève), Justice et psychiatrie, École nationale de la Magistrature, Paris, 1991, N. 141-147.

GRABET Laurent, L’affaire Anthamatten: quand le laxisme et l’amateurisme conduisent à la mort, GHI, 04.08.2023, URL: https://www.ghi.ch/laffaire-anthamatten-quand-le-laxisme-et-lamateurisme-conduisent-la-mort (dernière consultation le 26.10.2023) (cité : GRABET GHI).

GRABET Laurent, L’homme a déjà deux viols à son actif, Le Matin.ch, 13.09.2013, [en ligne], URL: https://www.lematin.ch/story/lhomme-a-deja-deux-viols-a-son-actif-402524892769 (dernière consultation le 26.10.2023).

HUG, Communiqué de presse, Communauté thérapeutique en milieu carcéral, le Centre de sociothérapie « La Pâquerette » fête ses 25 ans, 22.11.2011.

INTERPOL, Un violeur en fuite recherché par la Suisse via INTERPOL arrêté en Pologne, 16.09.2013, [en ligne], URL: https://www.interpol.int/fr/Actualites-et-evenements/Actualites/2013/Un-violeur-en-fuite-recherche-par-la-Suisse-via-INTERPOL-arrete-en-Pologne (dernière consultation le 26.10.2023).

KUHN André, Sommes-nous tous des criminels ?, Introduction à la criminologie, 5ème éd., Charmey (Les Éditions de l’Hèbe) 2019. 

LAPENNA Daniela, Une approche « spiritualiste » : la peine comme expiation, in Le pouvoir de vie et de mort, France (Presse Universitaire de France) 2011, p. 241 à 267.

LE FIGARO, Le violeur récidiviste recherché par Interpol a été arrêté, 15.09.2013, [en ligne], URL: https://www.lefigaro.fr/international/2013/09/15/01003-20130915ARTFIG00063-traque-transfrontaliere-pour-retrouver-un-violeur-recidiviste.php (dernière consultation le 26.10.2023).

MANSOUR Fati, La Pâquerette, ou la prison autrement, Le Temps, 20.11.2011 (modifié le 16.10.2017), [en ligne], URL: https://www.letemps.ch/suisse/paquerette-prison-autrement (dernière consultation le 26.10.2023).

MERLINI Véronique, Le Centre de sociothérapie La Pâquerette à Genève : quelles réalités derrière le concept de « dangerosité » ?, in Système pénal et discours publics : entre justice câline et justice répressive, Berne (Stämpfli) 2012, p. 163 ss.

ROSELI Sophie/DAVARIS Sophie, Réinsertion des détenus, La sociothérapie est revue et corrigée pour Curabilis, in La Tribune de Genève, Mercredi 5 février 2014.

SECRETARIAT DU GRAND CONSEIL, Rapport de la Commission d’enquête parlementaire instituée par la motion 2252, chargée de faire rapport au Grand Conseil sur les dysfonctionnements ayant conduit à la mort d’Adeline M, 17.04.2018. 


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