Gestion de conflits : quelle est la place de la médiation face à la machine judiciaire ? (II)

Gestion de conflits : quelle est la place de la médiation face à la machine judiciaire ? (II)

Entretien avec Madame Katia Pezuela, avocate, médiatrice et formée en droit collaboratif : Mme Pezuela vient tout récemment de quitter l’arène judiciaire et son métier d’avocate « traditionnelle » pour se consacrer à d’autres modes de résolution de conflits, plus en adéquation avec ses valeurs personnelles. Avec une amie, elle a créé AlterNeo, une société de conseil et résolution de conflits. C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai été à sa rencontre et que nous avons parlé de ses choix et de la médiation. 


Partie 2 – DROIT VS MEDIATION : alternative ou outil dans la résolution des conflits ?


Lors du règlement d’un litige, la médiation apparaît-elle comme une alternative à la procédure judiciaire ou plutôt comme un outil à disposition de l’avocat ?  

Le médiateur ou la médiatrice a pour mission de favoriser ou de restaurer la communication entre les parties afin que ces dernières puissent trouver une issue au conflit qui soit en adéquation avec leurs besoins et leurs réels enjeux. Pour ce faire, les professionnel-le-s de la médiation sont neutres afin de rester multipartites. Il ou elle se sert d’un processus et de différents outils lui permettant d’aborder le conflit sans y prendre part. 

Dans le cas classique d’un divorce, mais également dans les autres domaines du droit, une partie se battant pour recevoir un tel avantage recherche de la sécurité, de la reconnaissance, etc. Dans la plus grande majorité des cas, le problème ne sera pas résolu par une longue bataille et une laborieuse victoire au tribunal. « Au final on vient voir l’avocat pour dire je veux ça, je veux qu’il perde, la justice dira qui a tort ou qui a raison (…) les gens défendent des positions. La médiation sort de ce cadre-là, trop restrictif, souvent purement juridique. On parle d’aller voir ce qui cache sous l’iceberg ». Ainsi, la médiation permet aux parties de se réapproprier la gestion de leur conflit car elles trouvent une solution ensemble, une solution qu’elles ont choisie et donc non imposée par un tiers. Elle représente ainsi une réelle alternative à la bataille judiciaire classique entre avocat-e-s.  

En outre, la médiation peut rajouter une corde à l’arc de l’avocat- e traditionnel- le, « il y a des confrères qui font appel à un médiateur (…) pour faire une sorte d’arrêt sur image, par exemple pour travailler un blocage émotionnel ».  La médiation devient un complément. « C’est important que les confrères ne voient pas la médiation comme une concurrence, mais comme un outil aidant à la résolution du conflit, plus rapidement, en trouvant une solution mutuellement acceptable ». Les avantages d’une formation juridique pour un médiateur ou une médiatrice sont la connaissance précise du déroulement des différentes procédures et de la loi. Cela permet d’assurer aux parties que l’accord auquel elles sont parvenues soit exécutable et respecte le cadre légal.

Enfin, le fait de savoir si la double casquette d’avocat- e classique et de médiateur ou médiatrice est compatible reste très personnel. 


L’AVENIR DE LA GESTION DES CONFLITS 

Pour Mme Pezuela, « le monde de la médiation est encore un monde en pleine évolution », qui devrait prendre de plus en plus place. Bien que l’on pense d’abord à la médiation en droit de la famille, cette dernière est utile à tous les nombreux domaines du droit. Il peut s’agir de conflits commerciaux, en entreprise, entre voisins ou encore en matière pénale. Les tribunaux sont de plus en plus surchargés et rien ne laisse présager une inversion de cette tendance. Une affaire qui tarde à être traitée ou qui s’éternise risque d’envenimer le conflit et de renforcer les parties dans leurs positions. Enfin, cela engendre une augmentation des frais procéduraux et d’avocat- e- s. Tout autre mode de résolution de conflit pourrait donc apporter une issue favorable à cette situation. 

Par ailleurs, il est à souligner que le processus de médiation est un processus volontaire. La procédure de médiation est mentionnée brièvement au Titre 2 du Code de Procédure civile art. 213 ss et art. 297 ainsi qu’à l’art. 314 CC relatif à la protection de l’enfant. On relève l’effet suspensif (art. 214 al. 3 CPC) ainsi que la confidentialité du processus de médiation face à la procédure judiciaire interdisant la prise en compte des déclarations des parties lors de la première dans cette dernière (art. 216 CPC). Cependant, la médiation ne constitue pas aujourd’hui une étape obligatoire de la procédure civile. L’art. 214 CPC fait mention de la possibilité pour les parties de déposer une requête commune visant à ouvrir une procédure de médiation et de la possibilité pour le tribunal de conseiller les parties de procéder à une médiation. En outre, les parents peuvent se voir exhortés de tenter une médiation lorsqu’il est question de régler le sort des enfants dans une procédure de divorce (art. 297 al. 2 CPC) et lors de la procédure relative aux diverses mesures de protection de l’enfant (art. 314 al. 2 CC). Par ailleurs, la jurisprudence rajoute qu’une médiation ordonnée par l’autorité tutélaire contre la volonté d’un parent est admissible (Bohnet p. 538 ; Arrêt du Tribunal Fédéral 5A_457/2009 du 9 décembre 2009, consid. 4). Deux parties ne seront donc jamais envoyées en médiation contre leur volonté. Mme Pezuela considère que la médiation ou toute autre voie dite amiable devrait être davantage ancrée dans la procédure civile en la rendant obligatoire et préalable à toute procédure judiciaire. Dans cette optique, le Code de procédure civile français donne par exemple le pouvoir au juge d’ordonner une médiation (Code de Procédure civile – Article 131-1). 

La médiation est extrêmement précieuse dans les cas où les parties désirent ou sont malgré elles obligées de garder un lien, or « ce lien on ne va pas réussir à le préserver en restant campés sur ses positions et se battre dans un rapport de force ».  Même dans les cas où les avocat-e-s essaient de concilier et de négocier, ils interagissent uniquement sur position à la manière de « marchands de tapis », en se limitant au cadre juridique. L’accord n’est souvent pas satisfaisant, selon les compromis et le rapport de force qui lie les parties, d’autant que tous les intérêts n’ont pas été pris en compte. 

D’un autre côté, heureusement que le droit tente de garder une certaine objectivité car il se doit de rester un cadre, un socle de lois applicables aboutissant à un résultat certain. De plus, « la procédure reste nécessaire car il y aura toujours des gens qui ne seront jamais ouverts à la médiation ou autre mode de résolution de conflits ». 

Nonobstant, au vu des avantages que présentent ces autres modes extra-judiciaires, Mme Pezuela considère qu’«il faudrait inverser la tendance ; la voie judiciaire étant l’ultima ratio pour régler le litige ». Bien que cette vision soit également prônée par le Code de Procédure civile, elle reste très peu mise en pratique dans la réalité. En effet, les personnes en proie à un conflit insoluble vont en majorité se tourner vers un- e avocat- e or ce dernier ou cette dernière n’informe que rarement les parties sur la palette de modes alternatifs de gestion de conflit existant. Cela peut être dû à de la méconnaissance mais également à un intérêt économique propre compte tenu de la précarisation actuelle de la profession.  Médiation, négociation raisonnée, conciliation, arbitrage, ou encore droit collaboratif sont des méthodes qui gagnent à être connues et encouragées afin de permettre aux parties d’opter pour celle étant la plus ajustée à leur situation. De ce fait, le droit entrerait davantage dans un rapport de complémentarité que de supériorité avec ces différentes alternatives. 


APERÇU : LA MÉDIATION PÉNALE 

La médiation pénale est un outil de la justice restaurative. Cette dernière diffère de la justice classique car elle tend à impliquer la victime le plus possible dans le processus de réparation et impose à l’auteur qu’il reconnaisse l’atteinte qu’il a perpétrée. Mme Pezuela écrit dans son travail qu’elle se concentre « sur la reconnaissance et la réparation des conséquences de l’atteinte causée par un comportement, par opposition à la justice punitive qui se concentre sur la condamnation de l’auteur de l’infraction ».

Bien que la confrontation auteur/victime puisse choquer certaines personnes, il est à rappeler que cette démarche est purement volontaire. Par ailleurs, la Belgique, la France et le Canada connaissent ce mode alternatif de résolution de conflit. La Suisse, quant à elle, en voit les premiers balbutiements dans le canton de Vaud et de Fribourg concernant le droit pénal des mineurs et dans le canton de Genève, au niveau du droit pénal pour majeurs malgré une absence de cadre légal dans le domaine. Mme Pezuela considère que la médiation pénale et plus généralement la justice restaurative requièrent une formation approfondie afin de pouvoir appréhender avec justesse la relation auteur/victime.

La médiation pénale peut être pertinente tant pour l’auteur que pour la victime. Cependant, pour la victime l’impact est important « car dans la procédure pénale, elle n’a pas de place ». Dans la justice classique, « le focus est mis sur l’auteur et non sur ce que ressent la victime (…) Ainsi, la médiation prend tout son sens ». La médiation pénale replace la victime au centre. Elle lui « permet d’avoir un espace sécurisé, bienveillant ». On quitte les stratégies de défense telles que la négation totale des faits par l’auteur car l’autorité oppose les déclarations de la victime à celles du prévenu. Dans la justice punitive, en l’absence de preuves, la victime se retrouve donc à devoir se battre pour défendre sa version et faire entendre son sentiment d’injustice. Cela peut constituer un nouveau traumatisme. En effet, la procédure est extrêmement éreintante pour la victime car elle est longue et coûteuse quand celle-ci doit déjà se remettre de l’atteinte qu’elle a subie. 

« La justice déclare coupable (…)  la médiation pénale fait place à l’émotion de la culpabilité » et à une réelle prise de conscience qui tend à la réaction naturelle de vouloir réparer sa faute. 


APERÇU : LE DROIT COLLABORATIF 

Aussi appelé droit associatif en France et en Belgique où il est bien plus développé, le droit collaboratif est un mélange entre médiation et procédure judiciaire. En Suisse, il commence à voir doucement le jour dans le canton de Vaud mais demeure encore largement méconnu tant du justiciable que de la justice elle-même.  

Cette méthode est une procédure hors procédure, s’inscrivant dans un cadre strict. Elle se découpe en plusieurs phases comportant cinq séances communes en plus de celles à préparer individuellement avec le client. Plusieurs principes doivent être respectés dont les plus importants sont la transparence et la confidentialité. Pour garantir ces principes, les avocats s’engagent à renoncer au mandat dans le cas où l’affaire n’aurait pu être réglée et devrait partir en justice.  

Contrairement à la médiation, cette méthode requiert que chaque partie ait son propre avocat formé en droit collaboratif ; c’est donc un mode de résolution ne faisant plus interagir 3 mais 4 personnes. L’avocat opère ici plus comme un conseiller, un guide pour son client. Il donne un avis externe et éclairé du point de vue juridique en y apportant les notions techniques nécessaires telle que l’établissement d’un budget ou la détermination d’un dommage. 

En droit collaboratif, les parties forment une équipe. La notion d’adversaire est rayée, on ne recherche plus à gagner mais à avancer ensemble pour trouver une issue commune. C’est donc une toute autre manière de travailler entre confrères car il n’y a plus de stratégies néfastes à l’autre, mais de la transparence afin de trouver un véritable accord commun. Un avis contraire peut également être une ressource, il faut être créatif, oser ouvrir les champs des possibles. Chacun doit pouvoir émettre des propositions qui soient accueillies sans jugement et pour ce faire, il est possible de recourir aux mêmes outils que ceux utilisés en médiation. Au cours de la cinquième séance, chaque partie aura ainsi choisi 3 options qui lui conviennent et qui se verront confrontées. Souvent, suite au travail effectué en amont, les solutions préconisées sont identiques sinon très similaires ce qui permet de régler le conflit à l’amiable. En ayant pris le temps d’écouter l’autre, on a intégré son récit « recréer l’empathie et se mettre à la place de l’autre, c’est ce qui permet d’ouvrir la vision et d’élargir les solutions ». « Parvenir à un accord c’est prendre l’autre en considération ». 


CONCLUSION

En conclusion, il serait temps de détacher la notion de « juste » ou de « justice » du monde judiciaire et de promouvoir divers autres modes de résolution de conflit. Parmi eux, la médiation bouscule les codes du « qui a tort et qui a raison » pour trouver ses solutions « gagnant-gagnant ».  Ne serait-elle pas un réel moyen d’atteindre ce qui est « juste », cette fois-ci dans l’intérêt de chacune des parties, pour peu que celles-ci osent l’envisager ? 


Sandrine WIBIN


BIBLIOGRAPHIE

PEZUELA Katia, La médiation pénale, une alternative pour les auteurs ou pour les victimes ?, travail de CAS, médiation en entreprise 2018-2019, HEIG Yverdon. Bohnet François (édit.), Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., Bâle (Helbing) 2019.

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