Dans un contexte de séparation ou d’un divorce, la question du droit de l’enfant à entretenir des relations personnelles avec ses deux parents devient un enjeu majeur. Ce droit, essentiel au bon développement de l’enfant, se heurte cependant parfois à des situations de conflits importants et persistants et ou à des risques pour son bien. Comment préserver ces relations personnelles tout en garantissant la sécurité de l’enfant ? Le Point Rencontre joue ici un rôle important, en offrant un espace sécurisé et neutre pour préserver ces relations, tout en garantissant la protection du bien de l’enfant. Cependant, les rencontres encadrées doivent rester une solution temporaire, visant à restaurer progressivement des relations plus directes entre parents et enfants. Cet article explore les enjeux et les limites du droit aux relations personnelles et met en lumière l’importance du Point Rencontre pour maintenir ces relations dans des situations où cela ne serait pas possible autrement. Dans une deuxième partie qui sera publiée ultérieurement, une interview avec un Point Rencontre viendra apporter des précisions quant au but du Point Rencontre, de l’organisation des visites ainsi que de l’impact que ces visites peuvent avoir sur les personnes concernées.
But et principes du droit aux relations personnelles
Lorsqu’un couple divorce, l’enfant ainsi que le parent qui n’a pas l’autorité parentale ou la garde ont un droit à des relations personnelles (art. 273 CC). Ces relations personnelles avec les deux parents sont essentielles au bon développement de l’enfant, ainsi qu’à la construction de son identité[1]. Le but des relations personnelles est non seulement de garantir, mais aussi de favoriser le développement positif de l’enfant[2]. La nécessité de maintenir des relations personnelles avec les deux parents s’applique à tous types de familles, sans distinction du genre ou sexe des figures parentales[3].
Le droit aux relations personnelles est considéré comme un droit de la personnalité de l’enfant. En conséquence il convient de privilégier l’intérêt de l’enfant, celui des parents étant mis en second plan[4].
Quelles sont les limites au maintien de ses relations personnelles ?
Il est important de préciser que les parents ont un devoir de loyauté l’un envers l’autre. Ils n’ont pas le droit de perturber les relations que l’enfant entretient avec l’autre parent (art. 274 al.1 CC). Ce devoir de loyauté va même plus loin : les parents doivent promouvoir une attitude positive de l’enfant vis-à-vis de l’autre parent et faciliter les rencontres entre eux. Les enfants doivent être mis à l’écart des conflits conjugaux. Une violation grave du devoir de loyauté, ou sa violation répétée, peut entraîner un changement de garde, voire à une limitation des relations personnelles[5].
Dans les familles hautement conflictuelles, les jeunes enfants se retrouvent souvent à prendre le parti du parent gardien, soit le parent ayant la garde de l’enfant, ce qui se manifeste fréquemment par un refus ou une résistance à entretenir des contacts avec le parent non-gardien, soit le parent qui n’a pas la garde, mais qui bénéficie d’un droit de visite/droit aux relations personnelles. C’est pourquoi il est essentiel de ne pas laisser les conflits conjugaux nuire au bon développement de l’enfant[6].
Retrait ou restriction du droit aux relations personnelles
Le droit aux relations personnelles n’est pas un droit absolu. Dans des situations hautement conflictuelles, maintenir ces relations peut être préjudiciable pour l’enfant. Il devient alors nécessaire de restreindre, voire retirer, ce droit[7]. Lorsque les parents violent leurs obligations, ne se soucient pas sérieusement de leur enfant, ou lorsque d’autres justes motifs mettent en danger le bon développement de l’enfant (274 al.2 CC), l’État doit garantir la protection de l’enfant en refusant ou en retirant ce droit[8]. Il y a danger pour le bien de l’enfant si la présence du parent non-gardien menace son développement physique, psychique ou moral. La négligence, les mauvais traitements physiques et/ou psychiques, en particulier les abus sexuels, ainsi que le fait que l’enfant assiste à la violence domestique entre ses parents, sont des comportements qui mettent en danger le bien de l’enfant. En ce qui concerne les soupçons ou cas avéré d’abus sexuel, ils doivent exclure le droit aux relations personnelles, à moins qu’un droit de visite surveillé ou accompagnée suffise à préserver le bien de l’enfant. La violation du devoir de loyauté constitue également une violation des obligations du parent détenteur du droit aux relations personnelles et peut porter préjudice au bien de l’enfant. Quant aux conflits persistants et graves entre les parents et la volonté de l’enfant, s’il est capable de discernement, ils font partie des autres justes motifs pour lesquelles il est possible de restreindre, voire refuser le droit aux relations personnelles lorsque cette situation mène à un stress psychologique insupportable pour l’enfant[9].
Pour en arriver au retrait du droit aux relations personnelles, il est impératif de respecter le principe de proportionnalité : cette mesure doit rester un dernier recours[10]. On commence par un rappel à l’ordre/rappel des devoirs parentaux. Ensuite, il convient de recourir à des démarches telles que des séances de consultations, la médiation, la thérapie ordonnée ou la mise en place d’une curatelle de surveillance (art. 307 al.1 & 308 al.2 CC). A ce stade, il est également possible de donner des instructions précises quant à l’organisation des rencontres. Ce n’est qu’en dernier recours qu’il est possible d’envisager le retrait ou la restriction de ce droit[11].
Afin de retirer ou refuser ce droit, les effets négatifs des relations personnelles doivent être insupportables pour l’enfant dans le cas de leur maintien. Toutefois, si l’encadrement des relations personnelles peut réduire le préjudice pour l’enfant, il n’est pas possible de supprimer totalement ce droit[12]. Il existe en effet, en pratique, une grande conviction comme quoi le contact avec les deux parents est essentiel pour l’enfant, même dans des situations où il y a une mise en danger de son bien[13].
L’encadrement des relations personnelles
Pour en arriver à la nécessité de l’encadrement des relations personnelles, il doit y avoir une mise en danger concrète du bien de l’enfant ou un des autres motifs précités de l’art. 274 al.2 CC, comme la violation des obligations des parents, l’absence de soucis sérieux pour l’enfant ou d’autres justes motifs. Il est également possible d’avoir recours à un encadrement des relations lorsque celles-ci ont été interrompues pendant une longue période et que la pesée des intérêts entre le risque potentiel pour l’enfant et les avantages pour son développement psychologique à moyen terme penche en faveur des avantages pour l’enfant[14]. En effet, afin d’éviter l’idéalisation ou la dévalorisation d’un parent absent, il est important pour le développement de l’enfant d’entretenir des relations personnelles avec un parent avec lequel il n’a pas encore eu l’opportunité de créer une relation affective ou dont la relation s’est perdue[15].
Une manière d’encadrer les relations personnelles consiste en l’organisation de visites surveillées ou accompagnées. L’objectif de la mise en place de ces visites est de protéger l’enfant, de désamorcer les situations de crise, de réduire les craintes grâce à la surveillance et d’améliorer les relations parent-enfant. L’organisation de ces visites dans un lieu protégé spécifique, comme un Point Rencontre ou une institution similaire, permet d’assurer cet encadrement. Toutefois, cette solution doit être provisoire et être décidée par un juge[16]. En complément des visites surveillées ou accompagnées, il est toujours possible de continuer les séances de consultations, la médiation, la thérapie ordonnée ou la curatelle de surveillance (art. 307 al.1 & 308 al.2 CC).
Le rôle du Point Rencontre dans les relations personnelles entre parents et enfants
Un Point Rencontre sert à maintenir la relation entre l’enfant et son parent lorsque les rencontres sont sources de conflits ou trop difficiles, et qu’aucune autre solution n’est possible. Il s’agit d’un lieu neutre et autonome, dont l’objectif est de faciliter, prendre ou reprendre contact lorsque d’autres options ne peuvent être envisagées. L’objectif à long terme est que, dans la mesure du possible, les rencontres puissent se dérouler à nouveau directement entre parents et enfants, sans besoin d’intervention du Point de Rencontre[17]. Généralement le processus se divise en trois étapes : lors de la première, la visite se fait sur les lieux du Point Rencontre pour une durée définie ; lors de la deuxième, le parent non-gardien vient chercher l’enfant et le dépose dans les lieux à la fin de son droit de visite ; lors de la troisième et dernière, les parents peuvent s’organiser pour les rencontres sans avoir besoin de l’intervention du Point Rencontre[18].
Afin que les visites surveillées ou accompagnées soient fructueuses, il est essentiel que le parent gardien accepte que les enfants aient un contact avec le parent non-gardien à long terme. Il est également crucial que les parents aient pour objectif de fonctionner, à terme, sans l’aide de ces visites. Dans des situations hautement conflictuelles entre les parents, il est souvent difficile d’atteindre un modèle parental coopératif. Dans ce cas, il est important de progresser étape par étape. Il convient de tendre vers une parentalité parallèle, dans laquelle la communication se fait uniquement pour les aspects logistiques liés aux visites, et où aucun contact en dehors de cela n’a lieu entre les parents. Ce n’est que lorsque ce mode de fonctionnement est stabilisé qu’il devient possible de viser une parentalité coopérative, dans laquelle les décisions concernant l’enfant sont prises conjointement et où il y a une communication concernant l’éducation de l’enfant[19].
Dans environ la moitié des cas, les visites surveillées ou accompagnées, en cas de conflits importants entre les parents, mènent à une amélioration des relations parentales, et les enfants perçoivent cette évolution comme un soulagement[20]. Ces visites peuvent donc, dans de nombreux cas, aider à passer d’une parentalité parallèle à une parentalité plus coopérative. Il reste cependant la deuxième moitié des cas, où il n’y a pas d’amélioration des relations parentales.
Lorsque rien n’a fonctionné et que le droit aux relations personnelles est refusé ou retiré, il est possible d’ordonner des rencontres destinées à maintenir le souvenir du parent non-gardien, appelées contacts de rappel. L’objectif de ces rencontres est d’éviter un retrait total du contact entre l’enfant et le parent non-gardien. Elles ont lieu une à deux fois par an, également dans un endroit neutre comme un Point Rencontre, en présence d’une tierce personne, et servent à discuter des dernières nouvelles concernant l’enfant et le parent non-gardien. Toutefois, ces rencontres ne font pas l’unanimité. Certains auteurs, comme Joseph Salzgeber (psychiatre) et Joachim Schreiner (psychologue), estiment que cela peut représenter une source importante de stress pour l’enfant et que cela sert principalement l’intérêt du parent, alors que celui de l’enfant devrait être au centre. D’autres auteurs, comme Liselotte Staub (psychothérapeute) et Gisela Kilde (professeure en droit), estiment que ces rencontres faciliteraient une reprise de contact ultérieure[21].
En ultima ratio, lorsque qu’aucune autre solution n’est envisageable, et que les contacts de rappel ne sont pas non plus possibles, le retrait ou refus des relations personnelles peut être envisagé pour le bien de l’enfant (art. 274 al.2 CC).
Maéva Crausaz
[1] CR CC I-Cottier, CC 273, N 4.
[2] TF, 5A_972/2024, consid. 3.1.3.
[3] CR CC I-Cottier, CC 273, N 4.
[4] ATF 130 III 585, consid. 2.2.1.
[5] CR CC I-Cottier, CC 274, N 2 s.
[6] Weizenegger/Contin/Fontana, p. 885 s.
[7] CR CC I-Cottier, CC 273, N 14.
[8] CR, CC I-Cottier, CC 274, N 4.
[9] CR, CC I-Cottier, CC 274, N 7 – 12.
[10] CR, CC I-Cottier, CC 274, N 5.
[11] CR, CC I-Cottier, CC 273, N 25 ss.
[12] CR, CC I-Cottier, CC 274, N 5.
[13] Droz-Sauthier/Gianella-Frieden/Krüger/Cottagnoud/Mahfoudh/Mitrovic, p.577.
[14] Weizenegger/Contin/Fontana, p. 887 s.
[15] CR CC I-Cottier, CC 273, N 5.
[16] CR, CC I-Cottier, CC 273, N 28 ; TF, 5A_568/2017, consid. 5.1.
[17] Point Rencontre (Enfant-Divorce), pour maintenir la relation de l’enfant avec son parent (neuchatelfamille.ch), (07.11.2024).
[18] Maison de l’enfance, Point Rencontre, divorce, neuchâtel (neuchatelfamille.ch), (07.11.2024).
[19] Weizenegger/Contin/Fontana, p. 896.
[20] Weizenegger/Contin/Fontana, p. 887 s.
[21] Büchler/V.Enz, p. 934 ss.
Bibliographie :
Büchler Andrea/V.Enz Benjamin, Der persönliche Verkehr – Unter besonderer Berücksichtigung des Kinderwillens, inFamPra.ch 4/2018, Berne (Stämpfli Verlag AG) 2018.
Droz-Sauthier Gaëlle/ Gianella-Frieden Ersilllia/Krüger Paula/Gottagnoud Susanne/Mahfoudh Amel/Mitrovic Tanja, Mesures de protection de l’enfant en cas de violence dans le couple parental : de la Convention d’Istanbul au droit suisse. Analyse et propositions, in FamPra.ch 3/2024, Berne (Stämpfli Verlag AG) 2024.
Pichonnaz Pascal/Foex Bénédict/Fountoulakis Christiana (édit.), Commentaire romand, Code civil I, 2e éd., Bâle (Helbing Lichtenhahn) 2023 (cité : CR CC I – Auteur-e).
Weizenegger Benedikt/Contin Brigitte/Fontana Selina, Wiederaufbau des Kontakts zum getrenntlebenden Elternteil in einer Hochkonfliktfamilie – eine Einzelfallstudie, in FamPra.ch 3/2019, Berne (Stämpfli Verlag AG) 2019.
Source image :
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