Le viol, la plus vieille arme de guerre du monde ?

Le viol, la plus vieille arme de guerre du monde ?

Avertissement aux lecteur.rices.x : 

TW : Le contenu de l’article aborde le sujet des violences sexistes ainsi que sexuelles et peut particulièrement vous heurter si vous présentez des traumatismes liés à ces thématiques. 

Par violences sexuelles, nous englobons tous types d’actes portant atteinte à l’intégrité physique et sexuelle des femmes, que cela soit le viol, les grossesses et la prostitution forcées, la torture sexuelle, etc. Cette liste n’est pas exhaustive. Quant aux violences sexuelles sur les hommes, si elles ne sont pas abordées ici, elles n’en n’existent pas moins, et feront peut-être l’objet d’un prochain article.



ABSTRAIT 

Plus de sept mois après l’invasion russe en Ukraine, l’usage prohibé du viol comme arme de guerre continue de persister et d’enfreindre l’article de 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui considère les violences sexuelles de masse, entre autres, comme un crime contre l’humanité. Certaines violences sexuelles peuvent également être jugées comme constituant des crimes de guerre par la Convention de Genève.

En mars 2022 déjà, l’aspirante chancelière et ministre des Affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock soulignait au Bundestag (Assemblée fédérale allemande), l’importance d’inclure une vision féministe dans la politique extérieure, en prêtant plus d’attention aux crimes commis contre les femmes en temps de guerre.[1] Lors de son intervention, elle citait notamment le cas des femmes abusées lors des guerres d’ex-Yougoslavie, par les soldats serbo-bosniens. Ces actes n’étaient en rien des bavures exceptionnelles ni des dommages collatéraux occasionnels puisque le viol comme arme de guerre est d’usage depuis des siècles. 


UN PEU D’HISTOIRE

Dans le berceau de nos civilisations occidentales en Grèce et dans la Rome antique, les armées se seraient déjà livrées à des viols de guerre.[2] Gerda Lerner qui a grandement travaillé sur l’histoire du patriarcat explique que “la pratique du viol des femmes d’un groupe conquis est restée une caractéristique de la guerre et de la conquête du deuxième millénaire avant J.-C. à nos jours.”[3]

Selon Lerner, les Grecs de l’Antiquité considéraient le viol des femmes pendant la guerre comme un « comportement socialement acceptable et conforme aux règles de la guerre », et les femmes conquises représentaient pour les guerriers, un « butin légitime, utile comme épouses, concubines, esclaves ou trophées de champ de bataille ».  La conquête des richesses et des biens d’un ennemi était considérée comme un motif légitime de guerre en soi. Les femmes étaient incluses dans les « biens », puisqu’elles étaient considérées comme étant sous la propriété, qu’il soit père, mari, maître d’esclaves ou tuteur, qui possède la femme. Dans ce contexte, le viol d’une femme était considéré comme un crime commis contre l’homme qui possédait la femme.[4] A contrario, l’une des premières références aux lois de la guerre ou aux traditions de la guerre a été faite au premier siècle avant J-C, par Cicéron qui a exhorté les soldats à respecter les règles de la guerre, car l’obéissance aux règlements séparait les « hommes » des « brutes ». 

Du Moyen Âge aux siècles suivants, les violences sexuelles faites aux femmes lors des guerres persistent pour des raisons souvent très similaires. Les femmes, traitées comme du patrimoine, se font enlever, vendre, violer, acheter et cela est à nouveau vu comme des atrocités complètement banales qui appartiennent à la guerre.[5]

Fransisco de Goya l’illustrait, au début du XIXᵉ siècle, par cette gravure intitulée No quieren  qui signifie “elles ne veulent pas”. Elle représente une femme, probablement espagnole, se faisant agresser par un soldat vraisemblablement français et, à côté d’eux, une vieille femme qui tente de défendre la jeune victime avec un couteau.[6] Ce n’est qu’au début de ce siècle que les violences sexuelles furent, pour la première fois, considérées comme illicites et vues d’un mauvais œil, car interdites par les codes militaires européens.[7]  Cela n’empêche en rien les viols et autres agressions sexuelles d’être perpétrés jusqu’à nos jours. Des guerres ottomanes aux guerres mondiales, en passant par celle du Vietnam puis de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda, pour n’en citer qu’une infime partie, les agressions et violences sexuelles sont d’usage partout, de tout temps, comme arme de guerre. Ces violences sont perçues comme des dommages collatéraux difficilement évitables des conflits armés et ne sont pas ou que très rarement punies. Lorsqu’elles l’ont été, cela avait souvent des motivations religieuses et non pas humaines.[8] Pour donner un ordre de grandeur, dans le Grand Berlin de la fin de la IIème Guerre Mondiale, plus de 125 000 femmes ont été violées par les Soviétiques majoritairement, mais aussi par des soldats français, américains et britanniques.[9]

 Fransico de Goya y Lucientes, Los desastros de la guerra, No quieren, 1810-1814

QU’EN EST-IL DE NOS JOURS ? COMMENT CELA EST-IL LÉGIFÉRÉ PAR LE DROIT INTERNATIONAL ?

Le viol et les autres violences sexuelles sont inscrits depuis 1998 dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale comme étant des crimes contre l’humanité[10]. Cette même année, le Tribunal pénal international pour le Rwanda reconnaît pour la première fois les violences sexuelles faites aux femmes comme des crimes de guerre. Au début des années 2010, les violences sexuelles en Syrie intentées par Daesh ont même été jugées comme crime de génocide.[11] En effet, les violences sexuelles peuvent avoir plusieurs desseins ce qui les mènent à être jugées différemment. Théoriquement, un État pourrait même être poursuivi pour deux crimes, voire trois crimes simultanément, si les violences sexuelles intentées englobent les conditions des trois infractions. Seule la peine la plus lourde sera retenue, les peines n’étant, en droit international, pas cumulables.


QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, UN GÉNOCIDE ET UN CRIME DE GUERRE ?

Selon le Statut de Rome, commet un crime contre l’humanité l’entité étatique ou les tiers qui causent intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale, et “dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile”.[12] Le crime ne doit pas avoir forcément lieu lors d’un conflit armé, mais doit remplir les autres conditions énumérées ci-dessus. Dans le Statut de Rome sont mentionnées explicitement ces agressions: “viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation for­cée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable”. Puis, dans le chiffre 2 de ce même article 7, une précision est apportée concernant les grossesses forcées. Il y est explicité que “par grossesse forcée, on entend la détention illégale d’une femme mise en­ceinte de force, dans l’intention de modifier la composition ethnique d’une population ou de commettre d’autres violations graves du droit inter­national”.[13]

Quant au crime de génocide, lui aussi peut résulter d’infractions commises par atteinte à l’intégrité sexuelle des femmes. L’usage de violences sexuelles peut alors être considéré comme une arme de guerre, lorsque, à des visées de destruction du groupe concerné, on viole des femmes avec l’objectif de les féconder par la force[14] Les auteur.e.x.s de doctrine ne s’accordent pas sur l’intention qui peut être prêtée à l’auteur afin de considérer le viol des femmes comme remplissant les conditions du génocide. Certain.e.x.s restreignent la définition du crime de génocide aux grossesses forcées ayant pour seul dessein possible le viol à caractère génocidaire, tandis que d’autres trouvent que des viols de masses, sans intention spécifique de féconder, remplissent tout de même les conditions.[15]

C’est en 1994, comme énoncé précédemment que les violences sexuelles sont jugées pour la première fois comme crimes de guerre par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Le descriptif des infractions est le même que pour le crime contre l’humanité à savoir: “le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle constituant une infraction grave aux Conventions de Genève”. 


CONCLUSION

Bien que les violences sexuelles aient toujours existé dans le cadre des conflits armés, elles sont de plus en plus dénoncées et le nombre de lois tentant d’amoindrir l’impunité des perpétrateurs ne fait que grandir. Pourtant, il reste très difficile de rendre justice aux victimes car les agresseurs restent souvent impunis et même lorsqu’ils sont poursuivis, cela prend des années avant qu’ils ne soient réellement sanctionnés pour leurs actes. Comme Baerbock le souligne, les avancées féministes dans le droit international sont des progrès essentiels, mais dans l’état actuel des choses – les femmes ukrainiennes vous le diront – cela ne suffit malheureusement plus, et il est plus qu’indispensable de trouver une solution pérenne et efficace pour protéger la moitié de l’humanité contre ces agressions.

Jasmina Widmer


[1] https://www.merkur.de/politik/schroeder-baerbock-merz-gedoens-gruene-cdu-bundestag-feministische-aussenpolitik-91432677.html

[2] Gerda Lerner, The Creation of Patriarchy, Oxford University Press, 1986

[3] ibid

[4] Kelly Dawn Askin, War Crimes Against Women: Prosecution in International War Crimes Tribunals, Cambridge University Press, 1997

[5] Gerda Lerner, The Creation of Patriarchy, Oxford University Press, 1986

[6] Maisah Robinson, Review of Francisco Goya’s Disasters of War, Associated Press, 2006.

[7] Raphaëlle Branche and Fabrice Virgili, Rape in Wartime, The American Historical Review, 2013

[8] ibid.

[9] ibid.

[10] https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2002/586/fr

[11] https://interactive.unwomen.org/multimedia/infostory/justicenow/fr/index.html

[12] https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2002/586/fr

[13] ibid

[14] Samuel Totten et Paul R. Bartrop, Dictionary of Genocide, Greenwood, 2007 

[15] Lisa Sharlach, Rape as Genocide: Bangladesh, the Former Yugoslavia, and Rwanda,  New Political Science, vol. 1, 2000

Droit international:

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, conclu à Rome le 17 juillet 1998 

Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, conclue à Genève le 12 août 1949


Bibliographie :

Gerda Lerner, The Creation of Patriarchy, Oxford University Press, 1986

Kelly Dawn Askin, War Crimes Against Women: Prosecution in International War Crimes Tribunals, Cambridge University Press, 1997

 Maisah Robinson, Review of Francisco Goya’s Disasters of War, Associated Press, 2006.

 Raphaëlle Branche and Fabrice Virgili, Rape in Wartime, The American Historical Review, 2013

 Samuel Totten et Paul R. Bartrop, Dictionary of Genocide, Greenwood, 2007 

ONU Femmes, Justice maintenant, [en ligne], https://interactive.unwomen.org/multimedia/infostory/justicenow/fr/index.html 

Nach langer Überlegung: Baerbock teilt mit Schröders „Gedöns“-Satz kräftig gegen Merz aus, [en ligne], https://www.merkur.de/politik/schroeder-baerbock-merz-gedoens-gruene-cdu-bundestag-feministische-aussenpolitik-91432677.html


Sources images : 

https://pixabay.com/fr/illustrations/soldat-femme-silhouette-guerre-1682561/ 

https://www.museodelprado.es/coleccion/obra-de-arte/no-quieren/5d3842c9-c391-4970-8b06-259a9afbfe01


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