Lutter contre l’impunité des crimes internationaux : TRIAL International

Lutter contre l’impunité des crimes internationaux : TRIAL International

Le droit international pénal est une branche du droit international public et concerne les « crimes internationaux », soit les violations les plus graves que l’humanité puisse commettre : le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime d’agression[1]

Afin de prévenir la commission de telles atrocités, un certain nombre de mesures ont été prises par la communauté internationale, la plus connue étant la création de la Cour Pénale Internationale (CPI) située à La Haye. Les victimes de crimes internationaux demeurent cependant souvent assoiffées de justice et les coupables restent en liberté, entre autres à cause des ressources limitées de la CPI. 

Créée en 2002 par l’avocat suisse Philip Grant, l’ONG genevoise TRIAL International cherche à combattre cette impunité et soutenir les victimes lors de leur recherche de justice. Dans le cadre de cet article, LCS a pu s’entretenir avec Mme Giulia Soldan, responsable du programme Procédures et enquêtes internationales de l’organisation et M. Jean-Marie Banderet, chargé de communication. Pour des raisons de rédaction, les citer directement n’a pas été possible – notre discussion a cependant été essentielle à la rédaction de cet article. 



FOCUS ET OUTILS JURIDIQUES DE L’ORGANISATION

La mission de TRIAL International est « de lutter contre l’impunité des crimes internationaux et de soutenir les victimes dans leur quête de justice »[2]. Plus précisément, l’organisation se concentre sur le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, la torture, les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et les violences sexuelles en temps de conflit. En 2020, l’organisation a soutenu 2054 victimes, dont 1025 femmes et 391 victimes de violence sexuelle[3]

La méthode de TRIAL International consiste à effectuer un travail d’enquête et de soutien aux victimes lors des procédures. Outre les postes de gestion et management, il existe donc deux tâches principales pour les juristes de l’organisation : les enquêtes, qui permettent aux juristes de constituer un dossier à l’aide d’entretiens avec les victimes et d’éventuels témoins en vue de faire une déposition aux autorités compétentes ; et l’assistance juridique, à travers laquelle les juristes accompagnent les victimes lors des procédures juridiques et les mettent en contact avec des avocats et autres acteurs locaux. Ces juristes sont répartis en départements, dont trois régionaux (Népal, Bosnie-Herzégovine et Grands Lacs : Burundi et RDC) et un concentré sur la compétence universelle, lequel nous aborderons plus bas. 

L’organisation ne se limite pas à l’application du droit, mais encourage la mise en place de changements structurels dans les pays où elle intervient afin d’assurer la pérennité du combat contre l’impunité en renforçant les capacités locales. Pour ce faire, TRIAL International propose des formations pour différents types d’acteurs dans la lutte contre l’impunité. TRIAL International a une approche progressive du droit international, et cette vision est particulièrement remarquable dans la responsabilité des entreprises pour d’éventuels crimes internationaux et les affaires traitées en compétence universelle. L’organisation est aussi active en contentieux stratégique.

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES

En règle générale, les États n’imposent pas ou peu d’obligations aux entreprises de respecter les droits humains à l’étranger, et privilégient l’adoption de règles volontaires. Ceci est considéré comme insuffisant par nombre d’organisations de défense des droits humains, d’autant plus que certains acteurs économiques ont aujourd’hui une influence considérable sur la scène internationale et peuvent se rendre complices – voire responsables – de certaines violations de droit pénal international.

Il est cependant possible de traduire en justice certaines entreprises et/ou leurs employé-e-s si la complicité d’un crime international leur est imputable dans un pays où celle-ci opère. Ainsi, l’homme d’affaires suisse Christoph Huber fait actuellement l’objet d’une enquête pénale par le Ministère public de la Confédération suisse suite à une dénonciation pénale faite par TRIAL International. Le Ministère cherche à déterminer si son exploitation du sous-sol congolais constitue un pillage, soit un crime de guerre au sens de l’art. 8(b)(xvi) du Statut de Rome (1998)[4]. Cette dénonciation est la culmination d’une enquête jointe avec l’ONG Open Society Justice Initiative portant sur le lien entre M. Huber et le groupe armé RCD-Goma, et l’implication de son entreprise dans les éventuels crimes internationaux commis dans l’est de la République Démocratique du Congo.

LE PRINCIPE DE COMPÉTENCE UNIVERSELLE

Ce principe repose sur l’idée que certains crimes sont d’une gravité telle que tous les Etats ont l’obligation de les poursuivre, impliquant que les victimes ont la possibilité de porter plainte devant un tribunal autre que ceux de leur pays d’origine. 

TRIAL International, et plus particulièrement le département Procédures et Enquêtes Internationales, utilise cette avenue juridique afin de permettre à certaines victimes d’obtenir justice devant des Cours étrangères. Les juristes de cette unité enquêtent sur les faits et constituent des dossiers dans l’objectif de faire une dénonciation pénale, tout en soutenant la victime dans les procédures juridiques. 

En outre, TRIAL International cherche à développer l’application de la compétence universelle et publie chaque année le UJAR (Universal Jurisdiction Annual Review). Le UJAR répertorie les affaires publiques traitées en compétence universelle ayant vu des développements dans l’année concernée[5].

CONTENTIEUX STRATÉGIQUE

Le contentieux stratégique correspond à la poursuite d’affaires juridiques dans le cadre d’une stratégie de promotion des droits humains. En se concentrant sur une affaire individuelle, les juristes tentent de provoquer un changement social plus large en élaborant des précédents juridiques favorisant les victimes. Ces procédures entraînent des changements législatifs, politiques et sociaux en exposant publiquement les injustices et en sensibilisant l’opinion publique. 

Les procédures judiciaires stratégiques sont un outil important pour TRIAL International, qui recherche un changement systémique pour toutes les victimes des mêmes crimes. L’organisation cherche à améliorer durablement la situation des victimes en utilisant toutes les voies légales disponibles, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau régional et international.

C’est la stratégie qu’a adopté TRIAL International dans son travail contre la torture incarcérale en RDC. Bien qu’une loi interdisant cette pratique ait été promulguée en 2011, elle n’est que très peu appliquée par les magistrats. Grâce à l’enquête de TRIAL International, le tribunal de Bukavu chargé de cette affaire a rendu en 2019 une décision historique en condamnant des policiers pour crime de torture en détention[6]. Ce verdict est un grand pas en avant pour la fin de la torture incarcérale en RDC, les juges ayant désormais un précédent sur lequel s’appuyer. 

OBSTACLES ET DIFFICULTÉS DANS LA LUTTE CONTRE L’IMPUNITÉ

L’entretien avec Mme Soldan et M. Banderet a permis à Law Career Start d’obtenir une perspective plus personnelle sur les activités de TRIAL International, notamment quels obstacles se dressent contre la réussite de leur mandat.

L’obstacle principal à la réalisation du mandat de TRIAL International est la lenteur des procédures, en partie inhérente à des affaires aussi sérieuses et complexes que les crimes internationaux. Cependant, cela signifie aussi que les victimes doivent attendre parfois plusieurs années, et peuvent éventuellement se décourager. Le passage du temps fait aussi que les prévenus et témoins peuvent décéder, ou au moins avoir plus de difficultés à offrir un témoignage précis. 

En outre, il peut être très difficile d’accéder aux victimes dans certains pays dont la situation sécuritaire est incertaine. A moins que les éventuels crimes faisant l’objet d’enquêtes aient été commis il y a longtemps, le climat politique dans les zones concernées est souvent dangereux.

Il existe naturellement certains obstacles politiques à l’application du droit pénal international. Bien qu’il ne soit pas possible d’obtenir trop de détails du fait de la confidentialité des affaires traitées, le système juridique suisse est remarquablement lent à traiter les affaires portées devant lui en compétence universelle. Philip Grant, fondateur et directeur exécutif de TRIAL International déclarait en 2018 au journal Justice Info que « [la] Suisse a des bonnes lois, mais ne s’est pas donnée les moyens de les appliquer. Pour le Ministère de la Justice, ce n’est pas une priorité »[7].

Il existe enfin certains obstacles juridiques, notamment le principe de la non-rétroactivité du droit international qui limite largement son champ d’application. L’immunité des chefs d’Etat est une autre difficulté, pouvant fortement entraver une éventuelle enquête à leur sujet.

REJOINDRE TRIAL INTERNATIONAL EN TANT QUE JURISTE

Travailler à TRIAL International pourrait convenir à des juristes intéressé-e-s par le droit international pénal et la protection des individus en droit international. 

Selon Mme Soldan, une formation de base en droit est requise pour être juriste dans l’organisation, et il est préférable d’être formé en droit international pénal. Le barreau n’est pas obligatoire, mais le travail demandé requiert une certaine capacité à enquêter, faire passer des entretiens, et constituer des dossiers. Bien que les langues de travail soient le français et l’anglais, le multilinguisme est évidemment favorisé en raison du travail international qu’effectue l’organisation. 

Outre ces compétences académiques et professionnelles, le travail de l’organisation exige une capacité à l’écoute et de présence auprès des victimes, ainsi qu’une certaine sensibilité à différents contextes culturels. Il faut aussi être prêt à se déplacer dans divers endroits du monde, être patient et engagé. Le travail de juriste dans une telle organisation est intense et exigeant: les procédures sont longues et les affaires montrent le pire de ce dont l’humain est capable. Il faut donc avoir une conviction forte et sincère dans le mandat de TRIAL International, soit le combat contre l’impunité des crimes internationaux, et le soutien dont les victimes ont cruellement besoin.

Sophie MARTIN


[1] Enoncés à l’art. 5 du Statut de Rome (1998). 

[2] Site de TRIAL International.

[3] TRIAL International Annual Report, 2020 (peut être consulté sur leur site).

[4] Pour plus d’informations, voir https://trialinternational.org/fr/latest-post/lexploitation-du-sous-sol-congolais-peut-elle-constituer-un-crime-de-guerre/.

[5] L’UJAR 2021 est disponible sur le site de TRIAL International (https://trialinternational.org/latest-post/ujar-2021/)

[6] Pour en savoir plus, visiter le site de TRIAL International. (https://trialinternational.org/fr/latest-post/torture-dans-les-prisons-en-rdc-vers-la-fin-de-lomerta/).

[7] Burnand Frédéric, Fight Against Impunity For Mass Crimes Becomes More Universal, Justice Info, 20 mars 2018 (consulté le 3 octobre 2021), traduction libre. 


BIBLIOGRAPHIE 

Burnand Frédéric, Fight Against Impunity For Mass Crimes Becomes More Universal, Justice Info, 20 mars 2018 (consulté le 3 octobre 2021). 

Soldan Giulia et Banderet Jean-Marie, TRIAL International, entretien réalisé pour LCS, octobre 2021. 

https://trialinternational.org/fr/ (consulté le 4 octobre 2021). 


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