« Les chauffards me détestent ! », voilà ce que nous pouvons lire à l’entrée de la ville floridienne de Pensacola. Cette phrase imprimée sur un panneau publicitaire d’environ 60m2 est visible, de jour comme de nuit, à la sortie de l’autoroute. A côté du texte, un homme, en costume, souriant. Il ne s’agit pas de la promotion d’un chanteur ou de celle d’un candidat à une élection, mais bien d’une publicité pour un avocat spécialisé en accidents de la route. Cet avocat apparaît également à la télévision, lors des interruptions des matchs de l’équipe locale et sur les réseaux sociaux tels que Twitter et TikTok. Et ce n’est pas le seul à jouer de sa créativité pour attirer des clients, une bonne partie des avocats américains utilisent ce genre de procédé. À titre de comparaison, de ce côté-ci de l’Atlantique, le Tribunal fédéral a confirmé la sanction disciplinaire d’un avocat qui a fait sa publicité lors d’un match de hockey à Bienne.[1]
QU’EN EST-IL DÈS LORS DES DIFFÉRENCES DE RESTRICTIONS ENTRE L’AVOCAT AMÉRICAIN ET L’AVOCAT SUISSE EN MATIÈRE DE PUBLICITÉ ?
En Suisse, la lettre d de l’article 12 de la Loi fédérale sur la libre circulation des avocats (LLCA)[2] régit la publicité. Elle dispose que l’avocat peut faire de la publicité, pour autant que celle-ci se limite à des faits objectifs et qu’elle satisfasse l’intérêt général.
Par publicité, on entend alors la définition classique, donc tout type de communication de la part d’un avocat (ou d’une étude) destinée à persuader des personnes à utiliser ses services.[3]
Le terme « faits objectifs » est lui un peu plus compliqué à cerner, car il concerne aussi bien le fond que la forme de la publicité. Au niveau du fond, il est clairement sous-entendu que la publicité déloyale ou trompeuse, telle qu’utiliser la promesse d’honoraires de résultats comme argument de vente, est interdite.[4]
Ce qui en revanche est moins clair, est la forme de la publicité, beaucoup plus controversée étant donné que le Tribunal fédéral admet qu’il est difficile de délimiter de façon concise les limites de la publicité.[5] Il en ressort néanmoins de la jurisprudence que les restrictions de la publicité, qui se heurtent à la liberté économique[6], sont là pour protéger la « dignité de la profession », c’est-à-dire la confiance suscitée envers les avocats par les citoyens.[7]
La publicité doit alors se limiter à répondre à un besoin d’information du public[8] ce qui, pour notre Haute Cour, signifie qu’elle ne doit être visible que par les personnes qui recherchent activement des informations sur un avocat ou un cabinet.
Une certaine retenue est donc attendue de la part de l’avocat. Les méthodes dites « tapageuses, importunes et de publicité commerciale » sont proscrites.[9]
Dans le cas d’une publicité, il y a lieu de prendre en compte aussi bien le contenu que la forme (mode de communication, taille de l’affiche, design, lieu, nombre de personnes touchées, etc…).[10]
A titre d’illustration, un avocat ne saurait s’afficher sur un panneau publicitaire à l’entrée de l’A1 ou aux tiers-temps d’un match de hockey, car ce type de publicité serait considéré comme trop voyant et allant à l’encontre de la dignité du métier.[11]
Le Tribunal fédéral est allé encore plus loin dans son interprétation restrictive de la LLCA, confirmant une décision de la Commission de surveillance des avocats du canton de Zoug. Il a ainsi été décidé qu’une enseigne lumineuse au-dessus des locaux d’une étude constituait une publicité et qu’en conséquence cette dernière ne répondait pas au besoin d’information de la majorité des passants. L’enseigne a donc dû être retirée.[12]
Avec ce peu de marge de manœuvre laissée à l’avocat, l’interprétation de cet article et la jurisprudence en découlant sont très critiquées dans la doctrine.
Certains défendent l’idée que, dans tous les cas, une publicité n’est jamais sollicitée car l’objectif final de toute publicité est de mettre en lumière un service ou un bien. Le Tribunal fédéral partirait du principe que la personne exposée à la publicité l’a recherchée de façon active.[13]Ce faisant, le Tribunal fédéral omet les personnes qui pourraient potentiellement avoir besoin d’un avocat mais ne sauraient comment faire pour en solliciter les services.
Pire encore, certains maintiennent qu’il existe un lien de causalité entre l’application trop restrictive de cette loi et la vision négative dont jouit la profession (un cercle fermé auquel seule une partie de la société aurait accès) mais qu’en plus cela empêche une concurrence équitable ainsi qu’une amélioration dans la qualité des services.[14]
Pour ce qui en est de l’étendue, personne ne sait exactement où elle s’arrête. Nous pourrions prendre l’exemple des réseaux sociaux.[15] De nombreux avocats possèdent un compte Twitter ou Facebook et sont tenus de respecter la LLCA[16]. Mais peuvent-ils librement poster sachant que des tiers ne sollicitant pas de telles informations risquent d’être exposés à leurs « posts » ? En d’autres termes, l’avocat actif sur les réseaux doit-il aller du principe que la jurisprudence restrictive s’applique à son compte quand un tiers, ne demandant rien, tombe par hasard sur celui-ci ?
Tant de questions mais très peu de réponses, étant donné que notre Haute Cour semble avoir, à tort selon une partie de la doctrine, la mainmise sur la définition de la publicité.[17]
De l’autre côté de l’Atlantique, seuls quelques coups d’œil suffisent pour voir que la mentalité vis-à-vis de la publicité des avocats (ou des attorneys) est bien différente.
Mise en scène digne de Hollywood, publicités aux finales des plus gros championnats et affiches géantes: la publicité semble en accord avec le gigantisme du reste du pays.
En effet, l’article 7.2 de l’American Bar Association[18] (l’équivalent de la Fédération Suisse des avocats) est très libéral en la matière. Tant que l’avocat est reconnu par les autorités du Barreau, qu’il ne se donne pas plus de compétences qu’il n’en possède et qu’il n’utilise pas d’arguments fallacieux, il est libre d’utiliser n’importe quel média (aussi bien dans la forme que dans le fond) pour faire la promotion de ses services.
Il faut savoir que les Etats-Unis étaient très restrictifs en la matière jusqu’en 1977, lorsque deux avocats remontèrent jusqu’à la Cour suprême pour attaquer la condamnation reçue par le Barreau de l’Arizona à leur encontre.[19] Leur étude avait fait de la publicité dans un journal local, violant ainsi les restrictions visant la publicité. La Cour suprême est parvenue à la conclusion qu’une restriction de la publicité dans le domaine juridique constituait une violation du premier amendement de la Constitution (notamment liberté économique et liberté d’expression).
Cette mentalité libérale a ses avantages mais également son lot de critiques.
L’un des avantages est que, comme le démontrent certaines études, il y a très peu de barrières à l’entrée du marché pour un avocat mais aussi que l’avocat est plus accessible à l’Américain moyen et qu’il y a un avocat pour chaque budget.[20]
La plupart des critiques remettent en question l’éthique de la publicité dans le domaine. Certains considèrent que trop de publicité affecte la vision que le citoyen moyen a de l’avocat. La dignité de sa profession risque d’être moins prise au sérieux à cause de certaines publicités spectaculaires, en ce sens que l’avocature risque d’être réduite à un business où seul le bénéfice compte. Nous pourrions citer le concept des ambulance chasers[21] comme exemple, où des avocats passent leur journée à suivre les ambulances pour ensuite proposer leurs services à des blessés.
L’autre risque est que plus les études sont en concurrence, plus les publicités peuvent devenir indirectement fallacieuses. Il n’est pas rare que certains avocats promettent de ne faire payer le client que s’ils gagnent au tribunal mais ce qu’ils ne disent pas, c’est qu’ils feront payer les frais de procédures quel que soit le verdict. Le citoyen lambda risque ainsi de tomber facilement dans le piège.
UN BESOIN DE SE METTRE À JOUR
De retour en Suisse, la profession d’avocat n’est pas épargnée par la constante évolution de la technologie et des moyens de communication. La plupart des pays européens ont souligné l’importance d’une certaine libéralisation de la publicité et ont d’ailleurs libéralisé le marché.[22]
Le problème est que la LLCA ne prend pas en compte l’impact créé par les nouvelles technologies et que son application restrictive empêche l’avocat de disposer d’une saine compétitivité tant au niveau du marché intérieur qu’extérieur.
Il est également important de noter que de plus en plus d’études abandonnent le modèle traditionnel en se créant sous diverses formes juridiques mais également en dématérialisant l’étude. Cela demande alors d’avoir une plus grande visibilité pour les clients potentiels[23].
Pour que le métier d’avocat puisse évoluer en même temps que la technologie, une libéralisation de la publicité est plus que nécessaire pour que les avocats puissent équitablement se mettre en concurrence avec d’autres cabinets de conseil tel que les fiduciaires ou les experts fiscaux qui eux ne sont pas soumis à ces restrictions.
Bien entendu, lorsque l’on parle de laisser une plus grande marge de manœuvre à l’avocat, l’objectif n’est pas de se calquer au modèle américain, mais plutôt de lui permettre de cibler les clients potentiels en fonction de ses capacités et spécialisations.
Il existe une différence nette entre un avocat qui fait sa publicité à la mi-temps d’un match à la Praille et une étude qui loue une salle pour présenter à des investisseurs la façon dont ils pourraient les aider au sujet de la fiscalité des NFT.
Des études prouvent d’ailleurs que la qualité des services s’améliore mais aussi que les nouveaux besoins sont plus rapidement traités si l’avocat est plus visible[24].
LA SUISSE PEUT-ELLE S’INSPIRER DES ÉTATS-UNIS ?
Pour conclure, nous pouvons dire que la Suisse possède une législation très restrictive en matière de publicité alors que les Etats-Unis sont eux très (trop ?) libéraux.
En simplifiant, l’avocat américain va chez le client alors que c’est le contraire en Suisse. Un entre deux serait cependant possible, où l’avocat et le client se retrouveraient à mi-chemin.
Comparer les deux pays n’est pas forcément évident étant donné le rôle énorme que joue l’aspect culturel dans la publicité en général. Néanmoins, si la Suisse peut apprendre quelque chose des Etats-Unis, c’est sur la question de fond. Comme l’ont démontré les études citées, si l’avocat peut se mettre en avant, cela pourrait avoir un impact positif pour l’image de sa profession mais également en matière de concurrence interne et externe et dans les domaines en développement.
Pour ce qui est de la forme, il est peu probable qu’une majorité des avocats suisses souhaitent voir leurs visages s’afficher sur un panneau publicitaire mais, plutôt, qu’ils voudraient avoir une plus grande marge de manoeuvre pour modeler à leur goût leur enseigne et être plus aisément à la disposition de clients potentiels.
Comme le sous-entend Lukas Müller,[25] la Suisse n’est pas les Etats-Unis et l’avocat ne se transformera pas en Saul Goodman[26] pour faire sa publicité.
Jad-Alexandre Ghazzaoui
[1] TF, 2C_259/2014
[2] RS 935.61
[3] Schütz, p. 61ss
[4]TF, 2A.98/2006, c. 4.
[5] ATF 139 II 173 =JdT 2014 I 53.
[6] Art. 27 Cst
[7] TF, 2C_714/2012, c. 4.4
[8] TF, 2C_259/2014, c. 2.3.
[9] ATF 139 II 173 =JdT 2014 I 53.
[10] ATF 139 II 173 =JdT 2014 I 53
[11] TF 2C_259/2014, c. 3.2.1
[12] ATF 139 II 173 =JdT 2014 I 53.
[13] Gurtner, Le sponsoring d’un club sportif par un avocat, N. II 3
[14] Müller, p. 1570
[15] Chappuis/Gurtner N. 265
[16] Chappuis/Gurtner N. 1613
[17] Müller L, p. 1571
[18]https://www.americanbar.org/groups/professional_responsibility/publications/model_rules_of_professional_conduct/rule_7_2_advertising/
[19] Bates v. State Bar of Ariz. – 433 U.S. 350, 97 S. Ct. 2691 (1977)
[20] Peltz, p. 108ss
[21] https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/ambulance-chaser
[22] https://www.legislation.gov.uk/eudr/2006/123/contents
[23] Gurtner, Les études d’avocats virtuelles aux Etats-Unis et en Suisse
[24] Cebula, p. 504
[25] Müller, p. 1571
[26] https://fr.wikipedia.org/wiki/Saul_Goodman_(personnage)
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages de doctrine
Cebula R., Does Lawyer Advertising Adversely Influence the Image of Lawyers in the United States ? An Alternative Perspective and New Empirical Evidence in The Journal of Legal Studies, Vol. 27, No. 2 (June 1998) (cité Cebula)
Chappuis B., Gurtner J., La profession d’avocat, Schulthess, Zurich, 2021 (cité Chappuis/Gurtner)
Gurtner J, Le sponsoring d’un club sportif par un avocat : commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_259/2014 du 10 novembre 2014 in ANWALTS REVUE DE L’AVOCAT 6/7/2015 (cité Gurtner, Le sponsoring d’un club sportif par un avocat)
Gurtner J., Les études d’avocats virtuelles aux Etats-Unis et en Suisse : Réalité ou fiction ?, in RDS Vol. 133, No 3, 2014/1, pp. 319–345 (cité Gurtner, les études d’avocats virtuelles aux Etats-Unis et en Suisse)
Müller L., Schadet Anwaltswerbung dem Image des Berufsstandes? In PJA 2016, 1570 (cité Müller)
Peltz R., LEGAL ADVERTISING – OPENING PANDORA’S BOX? In 19 Stetson L. Rev. 43 (1989), p. 44- 136 (cité Peltz)
Schütz A., Anwaltswerbung in der Schweiz – UWG als Alternative zu Art. 12 lit. d BGFA?, Schulthess, Zurich, 2010 (cité Schütz)
Jurisprudence
ATF 139 II 173 =JdT 2014 I 53.
Arrêt du Tribunal fédéral 2C_259/2014 du 10. 11. 2014
Arrêt du Tribunal fédéral , 2A.98/2006 du 24.07.2006
Bates v. State Bar of Ariz. – 433 U.S. 350, 97 S. Ct. 2691 (1977)
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