Révision de la loi sur les brevets d’invention (LBI) : vers un brevet suisse effectif et compétitif

Révision de la loi sur les brevets d’invention (LBI) : vers un brevet suisse effectif et compétitif

A l’heure où l’innovation et les technologies ne cessent de se développer, la Suisse est en plein processus de révision de sa loi sur les brevets d’invention (LBI – RS 232.14). De par ses entreprises innovantes et ses Hautes Écoles de premier ordre, la Suisse trône depuis plusieurs années en tête de l’Indice mondial de l’innovation. Comme souvent, il appartient à la législation de suivre la cadence afin de s’aligner sur la réalité moderne. Le Conseil fédéral souhaite ainsi actualiser l’appareil législatif suisse dans le domaine des brevets d’invention afin de l’harmoniser aux réglementations internationales et de mieux répondre aux besoins des inventeurs. 

Voici une réflexion sur le projet de révision de la LBI dont la procédure de consultation a pris fin le 1er février dernier. Les deux nouveautés phares sont l’introduction d’un examen complet des demandes de brevet par l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (ci-après IPI) ainsi que l’apport d’un modèle d’utilité.



Cornell University, INSEAD, and WIPO (2020). The Global Innovation Index 2020: Who Will Finance Innovation? Ithaca, Fontainebleau, and Geneva.

LÉGISLATION ACTUELLE 

A ce jour, la validité d’un brevet suisse est discutable, l’IPI n’examinant que quelques conditions légales une fois la demande déposée, telle que la conformité de l’invention à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (motif d’exclusion de brevetabilité). Pourtant, ni la nouveauté ni l’activité inventive ne sont contrôlées. 

Certes, cet examen partiel a le mérite d’être rapide, mais un désavantage considérable persiste : les titulaires de brevets peu connaisseurs sont convaincus à tort que suite à l’enregistrement, leur brevet est de facto pourvu de force juridique, du fait que l’IPI ait effectué un examen et délivré le brevet. En réalité, les brevets suisses ne sont pas analysés quant à la nouveauté et à l’activité inventive. Ainsi, il est fréquent que des tiers contestent ces brevets en justice par le biais d’une action en nullité au sens de l’art. 26 LBI. L’examen de la validité juridique du brevet – à savoir la subsomption de toutes les conditions – s’effectue alors régulièrement dans le cadre d’une procédure civile, l’issue étant incertaine. 

Cette imprévisibilité due au manque d’exhaustivité de l’examen des demandes de brevet formulées à l’IPI a notamment pour effet que de nombreux demandeurs préfèrent se diriger vers un brevet européen avec examen complet. Depuis l’adhésion de la Suisse à la Convention sur le brevet européen (CBE – RS 0.232.142.2), le brevet suisse est en déclin. Au 31 décembre 2019 (dernières statistiques en date), un total de 131’719 brevets étaient décernés dans le pays : les brevets suisses ne représentaient qu’environ 5 % de la totalité (7’066 brevets), la majeure partie étant des brevets européens avec effet en Suisse (124’635 brevets)[1]A contrario, 8’266 demandes de brevet européen en provenance de la Suisse ont été déposées auprès de l’Office européen des brevets (ci-après OEB) la même année[2], soit plus que l’ensemble des brevets suisses.

Certes, il est d’ores et déjà possible de requérir un brevet soumis à un examen complet auprès de l’OEB pour étendre la protection du titre à la Suisse. Cependant, cette option est complexe et coûteuse, en particulier pour les PME et start-up ne disposant pas de financements comparables à ceux de grandes entreprises. Ceux-ci n’ont d’ailleurs pas toujours l’utilité d’une protection étendue à l’échelle européenne mais préfèrent une garantie judiciaire suisse efficace.


PROJET DE RÉVISION

Le 12 décembre 2019, le Parlement a adopté la motion 19.3228 déposée par Thomas Hefti « Pour un brevet suisse en phase avec notre époque »[3] chargeant le Conseil fédéral d’élaborer un projet de révision du droit suisse des brevets. Est notamment visée dans cette révision l’inclusion d’un examen complet des brevets par l’IPI s’étendant à toutes les conditions de brevetabilité, qui répondrait aux standards internationaux tout en offrant des procédures d’opposition et de recours efficaces à des frais raisonnables. Une nouveauté importante est également la création d’un modèle d’utilité sans examen du contenu, dont la protection est certes plus courte mais la procédure de délivrance bien plus rapide.

1.    Brevet avec examen complet

Le projet de révision de la LBI propose ainsi d’admettre l’examen complet des brevets suisses par l’IPI. Divers points de la loi doivent ainsi être adaptés afin de permettre le passage à un régime d’examen complet. D’une part, les critères d’examen doivent être modifiés : si la nouveauté et l’activité inventive sont déjà des conditions pour la délivrance d’un brevet selon la législation actuelle (art. 7 al. 1 et art. 1 al. 2 LBI), l’IPI n’est pas en mesure d’examiner ces points lors d’une demande de brevet, conformément à l’art. 59 al. 4 LBI. Cette disposition est ainsi supprimée dans le projet de révision. Grâce à cette analyse exhaustive des conditions par l’IPI, la défense du brevet vis-à-vis de tiers est ainsi facilitée. Lors d’une procédure civile, l’examen complet du brevet litigieux effectué au préalable constitue un indice fort quant à sa validité. La sécurité juridique est mieux garantie et permet une meilleure transparence. Ne possédant souvent pas les ressources juridiques à disposition de grandes entreprises pour apprécier la solidité du brevet détenu, les investisseurs individuels, start-up et PME s’en trouvent mieux protégés.

D’un point de vue mondial, un brevet dépourvu d’examen complet tel que le modèle helvétique actuel est rare. Il est ainsi impératif pour la Suisse de s’harmoniser aux législations étrangères, la plupart des États européens membres de la CBE proposant déjà un brevet national avec examen complet. 

Une remarque intéressante peut être soulevée quant aux voies de recours. A l’heure actuelle, le Tribunal administratif fédéral (ci-après TAF) constitue l’instance de recours compétente pour les décisions rendues par l’IPI en matière de droit des brevets (art. 31 cum art. 33 lit. e LTAF). Cette compétence reste inchangée par le projet de révision de la LBI. Comme l’IPI n’examine pour l’instant pas les éléments cruciaux d’une demande de brevet (soit la nouveauté et l’activité inventive), les quelques recours contre des rejets de délivrance de brevet ont toujours été bornés à des questions formelles. Suite à l’étendue de l’examen fait par l’IPI, il est fortement probable d’assister à une hausse non négligeable des recours présentés au TAF contre des décisions d’examen négatives. Ces deux nouveaux critères sujets à examen ont alors une notable incidence sur les compétences du TAF, du fait qu’ils nécessitent des connaissances subtiles et approfondies dans des domaines à la pointe de l’innovation. En effet, lors de son rapport explicatif relatif à l’ouverture de la procédure de consultation de la modification de la LBI, le Conseil fédéral rappelle les éléments suivants : « Garantir, au sein de l’instance de recours, l’expertise tant technique que juridique est l’un des piliers principaux de la motion à l’origine du projet de révision. La garantie de l’accès au juge, en particulier le droit à un tribunal indépendant et impartial (art. 30 al. 1 Cst.) et le principe de délai raisonnable (art. 29 al. 1 Cst.) exigent que le tribunal dispose non seulement de connaissances dans le domaine du droit des brevets, mais aussi de connaissances techniques suffisantes. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera à même d’évaluer des cas techniques complexes et des éventuelles expertises. »[4]

2.    Introduction d’un modèle d’utilité

Le projet de révision introduit un moyen en sus de protection, à savoir le modèle d’utilité, aussi appelé « petit brevet » à l’échelle internationale. Les conditions de protection d’une invention par un modèle d’utilité sont identiques que celles du brevet, soit la nouveauté, l’activité inventive et l’utilisation industrielle (art. 87 al. 1 P-LBI ou, pour les brevets, art. 1 al. 1 LBI). La différence entre les deux titres réside dans l’étendue de l’examen, la nouveauté et l’activité inventive n’étant pas analysées pour les modèles d’utilité, à l’instar du brevet suisse sous la législation actuelle.

Du fait que l’invention en question n’est pas examinée sur le fond, le modèle d’utilité peut être délivré plus rapidement qu’un brevet. La durée de protection est de dix ans, contre vingt ans pour un brevet. Grâce à ce nouveau modèle de protection, les inventeurs ont le choix entre deux alternatives et pourront écouter au mieux leurs besoins et finances afin de définir la stratégie de protection idéale pour chaque cas d’espèce. En effet, il n’est pas toujours judicieux d’avoir un brevet soumis à examen complet et long. Cette alternative permet une protection d’une durée certes plus courte, mais à des coûts moindres et offre une couverture plus rapide. 

En principe, une procédure contre un tiers pour utilisation illicite de l’invention ne peut être portée en justice qu’après la délivrance d’un brevet. Suivant les situations, la procédure d’examen de l’invention peut durer des années avant la délivrance du brevet, limitant passablement les possibilités de défense des demandeurs. L’alternative du modèle d’utilité présente donc un avantage de premier ordre du fait qu’il est accordé sous courts délais et permet à la demanderesse de se défendre au plus vite. Selon le projet de révision, il est désormais envisageable, sur la base d’une demande de brevet pendante, d’acquérir un second titre de protection concernant la même invention en quelques semaines : un modèle d’utilité. Il rend possible la saisie des tribunaux (art. 66 ss LBI) ou l’introduction d’une demande d’intervention auprès de l’Administration fédérale des douanes afin de lutter contre l’introduction de marchandises attentatoires à leurs droits (art. 86a ss LBI).

Notons qu’au même titre que le brevet, le modèle d’utilité permet de bénéficier d’une imposition réduite sur les bénéfices (patent box)[5]. Grâce à cette dernière, les titulaires des droits peuvent déclarer séparément les revenus issus de droits de propriété intellectuelle et les imposer à un taux inférieur que les autres revenus.


CONCLUSION

Cet appareil révisé de double protection nationale des innovations étend les choix stratégiques pour les inventeurs. Selon leurs besoins, ils peuvent choisir le nouveau brevet suisse avec examen complet renforçant la sécurité juridique – toutes les conditions de délivrance étant examinées en amont d’une éventuelle action en justice – ou alors opter pour un modèle d’utilité rapide et abordable sans examen de la nouveauté ni de l’activité inventive. Ainsi outre le brevet européen avec examen complet, les inventeurs disposent tant d’un brevet suisse avec examen complet que d’un modèle d’utilité sans examen, analogue au brevet suisse actuel. 

Finalement, le système suisse des brevets gagnera en intérêt dès lors que l’anglais, langue de référence des domaines de la recherche et de la technique, pourra être utilisé aussi largement que possible dans les procédures de dépôt et d’opposition.

La présente révision représente donc une belle opportunité de garantir la compétitivité de la Suisse dans le domaine de l’innovation et de stimuler la recherche par ce délicat équilibre entre les diverses strates de protection désormais offertes.

Lucile CUCCODORO

Image, ©IGE⎜IPI

Photo de couverture : Image, ©IGE⎜IPI


[1] Statistiques de l’IPI disponibles en ligne [https://www.ige.ch/fr/prestations/publications/statistiques/brevets.html] (consulté le 16.03.21).

[2] Données issues du Patent Index 2020 de l’Office européen des brevets disponible en ligne, voir aussi les données de 2020 [https://www.epo.org/about-us/annual-reports-statistics/statistics/2020/statistics/patent-applications_fr.html] (consulté le 16.03.21).

[3] Motion 19.3228 [https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20193228] (consulté le 16.03.21).

[4] Modification de la loi fédérale sur les brevets d’invention [Loi sur les brevets, LBI], Rapport explicatif relatif à l’ouverture de la procédure de consultation, p. 24 [https://www.admin.ch/ch/f/gg/pc/documents/3160/Rapport.pdf] (consulté le 16.03.21).

[5] Mise en œuvre à Genève de la réforme de la fiscalité des entreprises (RFFA) – la « patent box » et les dépenses de R&D [https://www.ge.ch/mise-oeuvre-geneve-reforme-fiscalite-entreprises-rffa/patent-box-depenses-rd] (consulté le 16.03.21).

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